Nestlé/Greenpeace : Pas de pause KitKat sur le Web !

La récente polémique numérique déclenchée par Greenpeace envers Nestlé peut réellement être considérée comme une étape historique dans l’évolution de la communication corporate des grandes entreprises. Sur la Toile mais pas seulement. Décryptage d’une impasse communicante annoncée qui doit servir de leçon à toutes les entreprises.


Les commentaires accusant une entreprise des pires turpitudes ont toujours existé. La seule différence, c’est qu’ils empruntaient auparavant un aléatoire parcours dans les dédales improbables d’un service marketing. Lequel alternait ensuite entre un classement vertical exaspéré avec jet expéditif vers la corbeille à papier ou alors une mansuétude de bon aloi avec envoi de bons de réduction pour apaiser l’ire du mécontent.

La sévère controverse digitale qui a mis aux prises en mars 2010, la célèbre ONG environnementale Greenpeace et la non moins fameuse multinationale alimentaire Nestlé, a prouvé que cette époque était désormais révolue. N’en déplaise aux obsédés du contrôle de la communication top-down. Ce n’est certes pas la première fois qu’une campagne accusatrice se sert d’Internet pour faire porter sa voix indignée au-delà des réseaux d’initiés et des lambris capitonnés des décideurs. Ce n’est pas non plus la dernière fois qu’un géant industriel aura à subir les foudres comminatoires d’une armée d’internautes anonymes (ou presque) sous la houlette d’une ou plusieurs organisations activistes ayant élu le Web 2.0 comme navire amiral de leur arsenal militant.

Cependant, l’histoire Nestlé/Greenpeace offre un condensé très symptomatique de la mort souhaitable d’un certain modèle de communication qui n’a que trop vécu. Un condensé dont bien des entreprises devraient largement s’inspirer pour faire évoluer leurs propres pratiques tant ce modèle de communication arrogante, décalée et unilatérale persiste encore malgré l’accumulation des revers, des retours de bâtons et des brèches ouvertes par la puissance militante du Web 2.0. A cet égard, l’attitude adoptée par Nestlé à l’égard de Greenpeace est un cas d’école de désastre communicant qu’on décryptera encore pour quelques années.

Les indices existaient

Nestlé avait pourtant plusieurs atouts en main pour ne pas connaître une pareille avanie numérique et anticiper au lieu de se retrouver acculé comme il l’a été. La polémique sur l’usage industriel de l’huile de palme qui entraîne une déforestation excessive de l’habitat des orangs-outangs indonésiens et par ricochet, une extinction accélérée de l’espèce, n’a pas surgi sans crier gare. Elle sévit en effet depuis plusieurs années.

En avril 2008, Greenpeace était déjà à la manœuvre. Sa cible d’alors était l’industriel cosmétique Unilever (par ailleurs concurrent direct de Nestlé dans plusieurs segments alimentaires comme les glaces et les boissons) et son produit phare d’hygiène corporelle Dove. La tactique usitée par Greenpeace était exactement la même qui a prévalu dans l’attaque menée contre Nestlé : une vidéo bourrée d’images fortes dénonçant la destruction engendrée par l’utilisation de l’huile de palme dans la fabrication des produits Dove et une injection massive de celle-ci dans la blogosphère qui ne tarde guère ensuite à s’émouvoir du sort des victimes simiesques.

Loin de riposter aveuglément et de crier au complot manipulatoire, Patrick Cescau, à l’époque PDG d’Unilever, accepte très vite d’engager le débat avec Greenpeace. A cet effet, il annonce peu de temps après des décisions concrètes à court terme (utilisation unique d’huile de palme durable dès le 2ème semestre 2008), à plus long terme (refonte totale de la chaîne d’approvisionnement et de ses fournisseurs d’ici 2015) et un acte symbolique : l’appui d’Unilever autour du moratoire réclamé par Greenpeace sur les nouvelles plantations de palmiers. En décembre 2009, l’entreprise anglo-néerlandaise continue de joindre les actes à la parole en rompant toutes ses relations commerciales avec Sinar Mas, deuxième producteur mondial d’huile de palme et bête noire des activistes. A la même époque, Kraft Foods, n°2 de l’industrie alimentaire derrière Nestlé, emboîte le pas et résilie à son tour les contrats qui l’unissent avec le groupe indonésien si honni de Greenpeace.

Ignorance quand tu nous tiens !

Malgré ces signaux forts, Nestlé a maintenu sa ligne de conduite et a choisi d’ignorer superbement les avertissements à répétition adressés par Greenpeace. La suite est alors d’une logique implacable comme le raconte Jérôme Frignet, chargé de campagne « Forêts » pour Greenpeace France (1) : « Nestlé faisait la sourde oreille. Nous avons décidé de frapper fort en diffusant sur Internet une parodie de la publicité pour la barre chocolatée KitKat ». Le 17 mars 2010, l’hallali est sonné avec à la clé un site Web thématique pour répercuter partout l’attaque numérique contre Nestlé !

La réaction de Nestlé ne se fait guère attendre. Une procédure est lancée auprès de YouTube pour exiger le retrait immédiat de la vidéo incriminant la marque. Mauvaise pioche car l’initiative déclenche alors un marketing viral forcené et la vidéo se retrouve postée partout sur le Web tout en stimulant la créativité acerbe des contestataires.

Sur sa page Facebook, Nestlé commet de nouveaux faux pas. A l’avalanche de commentaires offusqués et de logos Nestlé pastichés, l’administrateur de la page répond par la menace en déclarant qu’il supprimera tous les messages comportant un logo altéré ! Il n’en faut pas plus pour exciter les opposants. De 90 000 fans au début de la polémique, la page Facebook grimpe très vite à plus de 102 000 fans mais avec une large proportion d’adversaires déclarés ! Contrit, Nestlé formule alors un peu plus tard de plates excuses et cesse d’effacer les messages contradictoires.

Un mois plus tard, Nestlé concède pourtant ce qu’Unilever avait en son temps enclenché immédiatement. Lors de l’Assemblée Générale des actionnaires en avril 2010, le président du Conseil d’administration, Peter Brabeck-Letmathe est sans ambages : arrêt des achats d’huile de palme auprès de Sinar Mas, soutien appuyé au moratoire de Greenpeace sur la déforestation, engagement pour une huile de palme durable d’ici 2015 (consulter le détail sur le site corporate de Nestlé). Quelque temps après, Nestlé annonce la signature d’un partenariat avec The Forest Trust pour combattre la déforestation en Malaisie. Pourquoi n’avoir pas commencé par là ?

Un lourd passé de controverses

Cet autisme de la société helvétique peut surprendre tant il semble à mille lieues des canons académiques de la communication de crise. En fait, il est à remettre dans le contexte de la généalogie corporate de Nestlé. L’entreprise est en effet encore traumatisée par la virulente polémique qui a éclaté en 1974 avec la publication en Angleterre d’un pamphlet assassin intitulé « Nestlé tue les bébés ». Dans ce document, Nestlé est accusé de commercialiser son lait maternisé en poudre auprès des mamans africaines au mépris des règles sanitaires et éthiques les plus élémentaires. Au géant suisse, il est notamment reproché d’encourager excessivement l’abandon de l’allaitement maternel au profit de farines lactées à diluer avec de l’eau et à donner au biberon. Or, en Afrique, la qualité de l’eau potable est généralement plus que douteuse et les premiers rapports de l’Unicef ne tardent guère à établir un lien entre les effets directs ou indirects de l’alimentation au biberon et la mort d’un million et demi d’enfants chaque année.

Ancienne publicité Nestlé

Le traumatisme est d’autant plus violent que le produit mis en cause est celui-là même qui a donné naissance à Nestlé en 1867 lorsqu’un chimiste du nom d’Henri Nestlé élabore un produit révolutionnaire : un mélange de farine et de lait de vache déshydraté, destiné à pallier les carences alimentaires des nourrissons en Europe. Face à la mise en cause des années 70, Nestlé réplique aussitôt par des poursuites judiciaires qui conduiront à la condamnation pour diffamation des auteurs du rapport. Mais le mal est fait et Nestlé traîne encore aujourd’hui (en particulier en Allemagne et en Angleterre) l’opprobre de ce boulet que l’ONG britannique Baby Milk Action n’a de cesse d’entretenir activement à la moindre occasion malgré les efforts de Nestlé pour faire connaître sa position.

Ce dossier vérolé a véritablement conditionné la conduite psychorigide de Nestlé lors d’autres controverses que le groupe alimentaire a eues à affronter par la suite. Au Brésil, Nestlé est suspecté d’extraction illégale d’une eau de source. Au Ghana, la société est attaquée pour recours au travail d’enfants dans une fabrique de chocolat. En Colombie, elle est soupçonnée de liens dans l’assassinat de huit syndicalistes. A chaque fois, la réponse est d’ordre juridique et les interpellations sur la place publique sont prestement évacuées par un « no comment » bétonné à la limite du mépris. Pas étonnant dans ces conditions que Nestlé soit l’une des entreprises les plus souvent dénigrées et boycottées et que la Toile soit devenue un relais d’expression incomparable.

Bis repetita !

Pourtant, la prise de conscience d’une communication plus ouverte a du mal à essaimer chez Nestlé malgré l’accumulation d’expériences douloureuses. La dernière en date (avant la grande bagarre avec Greenpeace) est révélatrice de cet atavisme intransigeant et incapable de préempter les nouveaux enjeux d’image induits par le Web 2.0. Ainsi pour tenter de redorer son blason si écorné, Nestlé USA a invité en octobre 2009, 20 blogueuses mères de famille à cuisiner avec des produits du groupe et à relater leurs expériences culinaires dans un blog spécialement dédié et relayé sur Twitter par un tag spécifique.

L’initiative ne fut pas du goût de certaines associations parentales qui s’empressèrent de dénoncer une opération marketing abusive et de jeter à nouveau en pâture le scandale des bébés africains en détournant le tag Twitter mis en place par Nestlé et en l’inondant de tweets agressifs envers la marque. A la pointe de ce combat, une association se distingue tout particulièrement : MumsOnLine.net, un forum parental en ligne. Laquelle découvrira soudain que Nestlé s’est porté acquéreur de MumsOnLine.com à la même époque pour couper l’herbe sous le pied des contestataires.

Un réflexe qui n’aura pas vraiment les effets escomptés comme le révèle une étude de réputation menée dans la foulée par Nielsen BuzzMetrics à la demande de Nestlé. Le verdict est sans appel : Nestlé y obtient une note de « positivité » de 12 sur 100 dans les réseaux sociaux là où un de ses concurrents (Kraft Foods en l’occurrence) se situe à 32. Un bas score attribué aux effets dévastateurs des blogs et fils Twitter anti-Nestlé. Selon le site spécialisée PR Week, Nestlé serait désormais à la recherche d’une agence pour surveiller sa réputation en ligne. Il serait grand temps.

Conclusion

L’exemple de Nestlé n’est pas si anachronique, ni isolé. Aujourd’hui, peu d’entreprises peuvent réellement se targuer d’avoir entrepris une démarche communicante fondée sur le dialogue et l’acceptation de la critique comme partie intégrante de la règle du jeu. Leur communication est encore empreinte d’une culture assertorique qui ne laisse guère de place à l’échange et à l’écoute. Malgré les coups de boutoir (parfois excessifs et caricaturaux, il faut bien le reconnaître) assenés par les militants du Web 2.0, beaucoup de sociétés continuent de s’agripper aux bons vieux classiques de la communication descendante. Même si d’aucuns se rassurent en mettant un pied sur la Toile avec un fil Twitter, un blog ou une page Facebook, les réflexes pavloviens reprennent vite du service dès qu’un avis de gros temps commence à poindre. Plus que les outils, c’est l’état d’esprit qui doit changer et c’est en cela également le rôle du communicant que d’évangéliser en ce sens.

Pour en savoir plus

  • Blog « ReadWriteWeb » : lire l’excellent article de Fabrice Epelboin qui décrit en détail comment Nestlé s’est pris les pieds dans le tapis avec la vidéo Greenpeace et la pression sur le Web qui s’est ensuivie
  • Blog « Internet & Opinion(s) » : lire le tout aussi excellent article de François Guillot qui tire les enseignements de cette crise et l’organisation que Nestlé aurait pu adopter
  • Blog « Social Media Today » : lire l’article de Rohit Bhargava sur les leçons que Nestlé (et d’autres) peut tirer de ce bourbier numérique

(1) – J.-F. A. – « Les industriels vidangent l’huile de palme » – Challenges – 1er avril 2010



3 commentaires sur “Nestlé/Greenpeace : Pas de pause KitKat sur le Web !

  1. Caroline  - 

    Bonjour,

    Je suis aujourd’hui en 2ème année de doctorat en science de gestion, et j’étudie le comportement du consommateur.

    Je suis actuellement en train de réaliser un terrain d’enquête en me concentrant sur le thème de l’environnement, et notamment du problème de l’huile de palme et du scandale qu’a connu la marque Kit Kat par rapport à cela.

    C’est pourquoi, je réalise des interviews. D’une part auprès des professionnels, pour comprendre de quelle manière ils gèrent leur marque sur Internet, et d’autre part auprès
    des internautes qui écoutent et prennent la parole sur le net.

    La destinée de cette interview est à but purement scientifique,
    Pensez-vous qu’une interview entre nous soit possible?

    D’avance je vous remercie.
    Bien à vous.

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