Risque & Progrès : Le mythe, le divin et le bouc émissaire comme antidotes (2/12)

En Grèce Antique, quand la peste s’est abattue brutalement sur la cité de Thèbes, le conseil des Sages alors saisi de la catastrophe, s’est aussitôt réuni pour savoir qui avait défié les Dieux, qui avait ainsi provoqué leur colère entraînant des représailles sous la forme d’un fléau mortel envers les habitants de la cité : la peste.

Le coupable fut vite identifié en la personne du roi Œdipe. Ce dernier avait transgressé une loi divine en tuant son père pour épouser sa mère. La décision irrévocable ne tarda guère à tomber. Œdipe fut condamné à l’exil pour apaiser l’ire des Dieux et rétablir ainsi l’ordre du Monde. De cette lecture antique pour traiter la crise et les risques qu’Œdipe avait fait courir à sa cité en agissant contre la règle, découla alors une attitude récurrente à travers les siècles : désigner une victime sacrificielle ou en d’autres termes, un bouc émissaire.

Au Moyen Age, cette approche des risques perdure en dépit des calamités mortelles qui étaient légion à cette époque : hygiène douteuse et épidémies fatales, guerres civiles et invasions meurtrières, conditions climatiques difficiles et famines à répétition. Jamais les bûchers et les salles de torture n’ont autant fonctionné pour éradiquer ceux et celles qui étaient suspectés d’actes répréhensibles.

A partir du 11ème siècle, le Roi est considéré comme détenant des pouvoirs d’essence divine comme la guérison des écrouelles

En outre, deux acteurs jouaient un rôle fondamental de directeurs de conscience, capables de prendre en charge les risques, de les expliquer, de les justifier et de protéger les populations. Le premier d’entre eux est le Roi. A partir du 11ème siècle, il est même considéré comme un personnage sacré, un protecteur détenant des pouvoirs d’essence divine comme par exemple la fameuse guérison des écrouelles, une maladie d’origine tuberculeuse. Lors de la cérémonie du toucher des écrouelles, le roi prononçait la phrase rituelle : « Le roi te touche, Dieu te guérit ». Cette cérémonie avait aussi l’avantage d’entretenir l’espoir de guérison car cette maladie présentait souvent des rémissions naturelles qui faisaient guérir tout seul le malade.

Ensuite, l’Eglise servait d’intermédiaire entre un Dieu punisseur et des hommes avouant leurs péchés. Comme le note le philosophe Jean-Pierre Dupuy dans sa Petite Métaphysique des tsunamis (1), « la mort, la maladie, l’accident étaient tenus pour la juste punition infligée par Dieu à celui qui avait péché contre lui, selon le principe du summum bonum ou bien suprême ». Une personne mourait parce que son heure avait sonné et que Dieu décidait de la rappeler. Une personne guérissait parce que les prières avaient été entendues et que Dieu lui accordait grâce. L’Eglise comme le Roi possédaient la légitimité pour définir et contrôler l’ordre social, moral et religieux et rendre ainsi acceptable les catastrophes et les crises qui sévissaient en rafale. Dans la conscience collective de l’époque, les prières et les croyances étaient efficaces. A suivre …

(1) – Jean-Pierre Dupuy – Petite Métaphysique des tsunamis – Seuil – 2005