Risque & Progrès : L’effet papillon est parmi nous (9/12)

Provoquées par la main de l’homme ou simplement subies, les catastrophes ont toujours rythmé le cours des activités humaines. Plus ou moins bien vécue sur l’instant selon son degré de gravité, l’impact de la catastrophe a longtemps eu tendance à s’estomper progressivement au fil du temps qui passe comme viennent de le retracer les épisodes précédents du dossier « Risque & Progrès ». Il en reste certes des traces dans les livres ou dans les témoignages mais la charge émotionnelle n’a plus la puissance de celle qui avait pu prévaloir à l’instant où l’accident s’était déroulé. Les années 70 vont marquer un nouveau tournant dans la perception des risques liés au Progrès. Avec instantanéité, ubiquité et durabilité.

Depuis quarante ans, l’information planétaire est devenue une réalité plus que tangible. Le fameux « village global » cher à Marshall McLuhan dans ses ouvrages, s’est urbanisé à vitesse galopante, d’abord avec l’avènement de la télévision et de la radio puis aujourd’hui avec celui d’Internet et de ces vidéos instantanées que l’on échange et diffuse à la demande via le téléphone et des sites spécialisés comme You Tube, Daily Motion ou encore via Twitter. Lointaines ou proches géographiquement, les catastrophes et les drames peuvent maintenant être vécus en direct (ou presque) et perdurent ensuite dans la mémoire collective.

A peine la jeune Iranienne Neda était tombée que le monde entier s’est alarmé

Là où un journal peinait parfois à retranscrire une explosion touchant par exemple une usine chimique dans une zone reculée du Japon, les images de la télévision et du Web apportent immédiatement l’horreur et la douleur à l’état brut sur l’écran de Monsieur Tout le Monde. Pour s’en convaincre, il suffit de se souvenir des images de la jeune étudiante iranienne prénommée Neda et tuée lors des manifestations contre le pouvoir en juin 2009. A peine, les images avaient été capturées au coeur de la contestation qu’elles se retrouvaient déjà exposées à l’échelle planétaire grâce à la mobilisation des blogueurs.

Les médias traditionnels et plus récemment ceux qualifiés de sociaux, sont devenus de véritables amplificateurs qui ont le pouvoir de multiplier ou d’infléchir la puissance d’un événement. La conjugaison du cortège d’accidents inédits avec le nouveau pouvoir de représentation du monde que procure la télévision et les nouveaux médias, va se révéler être un cocktail anxiogène particulièrement détonnant dans la perception du risque au fil des décennies jusqu’à nos jours.

De marée noire en marée noire

 

retrouver ce média sur www.ina.fr

La perception de l’industrie pétrolière va par exemple se transformer au gré des naufrages répétés des supertankers sur les rivages du monde entier et de la couverture médiatique qui en est faite. En 1967, le Torrey Canyon laisse échapper 123 000 tonnes de pétrole de ses soutes et souille 180 kilomètres de côtes en France et en Grande-Bretagne. L’émotion est vive et suscite une large indignation. Pourtant, on est loin d’atteindre le niveau de celle agite l’opinion publique onze plus tard quand l’Amoco Cadiz  fait à son tour naufrage en 1978 au large des rivages français en laissant s’écouler 220 000 tonnes d’or noir qui défigurent les récifs des Côtes d’Armor.

De catastrophe lointaine, la marée noire est désormais tracée heure par heure sur Google

L’écho médiatique monte encore d’un cran en 1989 lorsque l’Exxon Valdez coule à proximité de l’Alaska avec 40 000 tonnes de brut et des images horribles de cormorans et de phoques mazoutés et de sauveteurs nettoyeurs en ciré jaune englués dans les nappes de pétrole. En 1999, le paroxysme est sans doute atteint avec l’Erika qui s’éventre au large des côtes vendéennes et répand 12 000 tonnes de pétrole, contraignant la société Total à mettre en place des pare-feux médiatiques tous azimuts pour tenter de préserver la réputation de la société et ne pas passer pour un effroyable et irresponsable pollueur des mers. Un scénario qui se reproduit encore en 2002 avec le Prestige en perdition au large de la Galice espagnole dont la cargaison se répand du Portugal jusqu’au sud de la Bretagne. A chaque fois, la perception de la marée noire gagne en proximité, y compris chez ceux qui vivent à des milliers de kilomètres des lieux de la catastrophe.

Cette année, l’explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon au large du golfe du Mexique a quasiment été vécue en direct autant dans la couverture médiatique des dégâts provoqués que celle des tentatives d’obturation de la fuite et de la progression de la marée noire. Sur Google par exemple, chacun pouvait suivre heure par heure l’avancée inexorable de la nappe vers les côtes.

Les accidents liés aux activités humaines sont quasiment devenus une litanie quotidienne pour qui regarde assidûment le journal télévisé, lit les pages de son quotidien favori ou se connecte aux flux RSS de ses sources d’information. Certains accidents plus emblématiques et frappants que d’autres, vont même progressivement renforcer  l’idée que le monde est, à tort ou à raison, devenu une poudrière incontrôlable par la faute des hommes et de leurs inconséquences. Pas étonnant dans ces circonstances que l’anxiogène soit autant prégnant dans notre perception de la réalité et autant vecteur de crises potentielles. A suivre …

Lire les précédents articles du dossier « Risque & Progrès »

– « Pourquoi est-on en crise ? » (1/12) – 15 mai 2010
– « Le mythe, le divin et le bouc émissaire comme antidotes » (2/12) – 21 mai 2010
– « La désacralisation est en route » (3/12) – 29 mai 2010
– « Le grand écart entre Science et Sacré se poursuit » (4/12) – 2 juin 2010
– « Le mythe Progrès gagne des points » (5/12) – 14 juin 2010
– « Quand un mythe chasse l’autre » (6/12) – 2 juillet 2010
– « Premières lézardes dans la confiance » (7/12) – 8 juillet 2010
– « La confiance s’ébrèche au cours du 20ème siècle » (8/12) – 20 août 2010



2 commentaires sur “Risque & Progrès : L’effet papillon est parmi nous (9/12)

  1. Guillaume Henchoz  - 

    Pour prolonger la réflexion que vous amorcez dans cet intéressant billet, il me semble qu’il faudrait surtout réfléchir à l’utilisation et au rôle que jouent les images dans le cadre d’événements qui relèvent de différents types de catastrophes(Pour faire vite, d’Erika à Neda…). C’est en effet principalement les images et les photographies qui actualisent le sentiment de catastrophe et qui agrègent l’attention de la sphère numérique.

    Le développement des blogs, des sites et des réseaux sociaux ne fait finalement qu’accentuer un phénomène déjà présent à la télévision. Les images sont les drapeaux que l’on agite afin d’attirer l’attention, de mobiliser. Toutefois, il me semble que l’on oublie souvent que les images perdent de leur sens une fois les événements passés. l’essayiste Susan Sontag avait développé une intéressante réflexion à ce sujet dans son ouvrage « Devant la douleur des autres ». Selon elle, les images poignantes ne perdent pas fatalement leur pouvoir de choquer. Toutefois, leur mobilisation ne nous est pas d’un grand secours lorsqu’il s’agit de comprendre. Les images fortes ne font finalement qu’une seule chose selon Sontag : elle nous hante.

    En vrac et de manière pas très aboutie, voilà ce que suscite ce stimulant billet. Merci.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci Guillaume pour ces précisions et la référence à Susan Sontag que je ne connaissais pas. C’est en effet toute l’ambivalence de l’image. Elle attire nécessairement notre attention mais elle n’aide pas toujours à la compréhension et peut même induire des effets pervers et/ou non désirés. Il suffit de se souvenir de l’affaire Voise en avril 2002. L’image du petit pépé tuméfié après une agression avait véhiculé à elle seule l’insécurité en France (et aidé à la poussée du FN au 1er tour des présidentielles). En creusant l’histoire, on s’est aperçu que tout n’était pas si linéaire que l’image le suggérait !

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