Marques et médias sociaux : faut-il en être ou pas ?

J’ai participé comme auditeur à une intéressante conférence intitulée « Digital Branding: The Latest Trends and What You Need to Do About Them » qui s’est tenue le 20 octobre à Paris à l’initiative de l’association IABC France et de l’American University of Paris (AUP). Les médias sociaux sont en effet au cœur des préoccupations des communicants. Qu’ils soient en charge de marques produits ou de marques d’entreprise, la question lancinante demeure identique : faut-il céder à la « mode » des réseaux sociaux ? En d’autres termes, doit-on engager la conversation avec les internautes ou doit-on finalement se taire quand on n’a rien à dire ou à partager, voire qu’on a guère la volonté de s’investir ?

Sous la houlette de Matthew Fraser, professeur associé à l’AUP et auteur d’un ouvrage sur le sujet (Throwing Sheep in the Boardroom: How Online Social Networking Will Change Your Life, Work & World), trois experts ont débattu des dernières tendances et enseignements des expériences menées par différentes entreprises dans l’univers fascinant et fluctuant du Web 2.0. Le Blog du Communicant 2.0 vous propose un substantifique (à ses yeux !) résumé des principales interventions de Yann Gourvennec, directeur Internet & médias numériques chez Orange Business Services (ainsi que membre fondateur de l’association Media Aces en France), Hervé Kabla, président fondateur de l’agence de communication stratégique Blog Angels (et autre membre fondateur de Media Aces en France) et enfin Stanislas Magniant, directeur de stratégies digitales de Publicis Net Intelligenz.

Some like it hot

Yann Gourvennec : « Le digital branding n’est pas nouveau en soi. C’est sa perception qui a changé avec le Web 2.0 »

Le « digital branding » ou littéralement la communication des marques sur les réseaux numériques est sans conteste le sujet « chaud » du moment pour tous les acteurs du monde de la communication, du marketing et des relations publiques. Pas une semaine ne s’écoule sans que quelque part, une initiative ne suscite du buzz au sein de la communauté professionnelle.

C’est un fait. Qu’il s’agisse des entreprises, des pouvoirs politiques ou des produits, le Web 2.0 a été globalement intronisé comme un canal de communication supplémentaire en parallèle des outils classiques. En revanche, ce dernier suscite bien des tâtonnements, des interrogations, voire des interprétations qui varient largement d’un domaine à un autre ! Les trois experts rassemblés par IABC France et l’AUP ne se sont pas privés de souligner non sans humour les grands écarts et petites digressions qui essaiment çà et là autour de ce thème.

Et si le « digital branding » n’était pas si nouveau que cela ?

Pour Yann Gourvennec comme pour Hervé Kabla, le débat sur le « digital branding » se situe même à la limite du superfétatoire. A leurs yeux respectifs, le phénomène n’est pas si novateur. Il est apparu il y a une quinzaine d’années avec l’émergence des premiers sites Internet, puis dans la foulée avec les premières initiatives de commerce électronique et les premiers blogs. Aujourd’hui, les réseaux sociaux comme Facebook, YouTube, Twitter et consorts ne sont que la prolongation numérique d’une évolution technologique initiée depuis longtemps. Selon Yann Gourvennec, c’est simplement la perception des gens qui a changé avec l’avènement du Web 2.0 mais les outils demeurent intrinsèquement pratiquement les mêmes en termes de possibilité de contact.

Stanislas Magniant qui travaille et conseille plusieurs grandes entreprises d’envergure mondiale, relève pour sa part une vraie fracture générationnelle dans la compréhension in fine du phénomène des réseaux sociaux. Au-delà de 35/36 ans, les dirigeants perçoivent bien qu’il s’agit d’une opportunité potentielle mais ont du mal à en cerner réellement les avantages et les mécanismes.

La vision d’abord, les outils après !

Stanislas Magniant : « Attention à ne pas succomber à l’effet hype du Web 2.0 »

Devant la vogue désormais établie du Web 2.0, Yann Gourvennec tient toutefois à tempérer certains enthousiasmes qui se saisissent d’emblée de la boîte à outils numériques sans pour autant savoir vraiment pourquoi ils mettent un pied sur la Toile et avec quel discours. Pour lui, cette propension actuelle à ouvrir des fils Twitter et des pages Facebook ne doit pas faire l’économie d’une authentique réflexion au préalable. L’extension des possibilités technologiques doit nécessairement être sous-tendue par une vision stratégique de fond et des contenus pertinents. Plus que la présence en ligne, c’est surtout ce que vous apportez et partagez qui compte.

Stanislas Magniant confirme cette mode digitale qui consiste à vouloir à tout prix disposer des derniers outils « hype » comme Twitter ou Facebook. Un phénomène qu’il avait déjà observé dix ans plus tôt où de nombreuses entreprises jugeaient indispensables de se doter d’un site Web en « .com » mais sans vraiment réaliser les implications et les obligations d’une telle démarche. D’où la grande pauvreté de beaucoup de sites actuellement selon Yann Gourvennec.

Le modérateur Matthew Fraser a mis en exergue que le « digital branding » doit être avant tout chose un état d’esprit plus qu’un assemblage d’outils digitaux. C’est d’ailleurs cette approche que Stanislas Magniant cherche à promouvoir lors des sollicitations qu’il reçoit de grandes marques ou entreprises. Il ne s’agit pas de créer pour créer mais réellement de définir les tenants et les aboutissants de la stratégie qu’ils veulent mettre en place, notamment sur le plan des ressources humaines et financières qui sont indispensables et loin d’être neutres en termes de temps et de moyens. Pour Yann Gourvennec, l’enjeu ultime qui doit être poursuivi par toute démarche numérique est de « créer du contenu addictif ». Celui-là même qui tissera et entretiendra la conversation avec la/les communauté(s) que tel ou tel acteur cherche à atteindre.

Doit-on tous se convertir au « digital branding » ?

Hervé Kabla : « la question de la présence numérique n’épargne quasiment aucune marque, ni entreprise »

En mettant de côté l’aspect « tendance » du Web 2.0, il n’en demeure pas moins que la question de la présence numérique n’épargne quasiment personne. Hervé Kabla a ainsi cité l’exemple du Mossad, les services secrets israéliens, qui n’ont pas hésité à ouvrir un blog pour valoriser leur réputation technologique. A contrario, l’exemple totalement inverse est celui d’Apple. Si la marque est omniprésente sur la Toile, elle l’est essentiellement grâce aux contributions spontanées des accros de la « pomme » qui entretiennent eux-mêmes la force de l’image de la firme de Cupertino.

Pour sa part, Yann Gourvennec est revenu sur une étude présentée lors de la dernière conférence Media Aces le 6 octobre à l’école des Mines à Paris. Réalisée par l’agence Synthesio, cette étude s’est efforcée de cartographier et de catégoriser les marques dans le paysage digital du Web 2.0. Il en ressort quatre catégories principales. La première est qualifiée de «  marques « ennuyeuses » et constitue la majorité des marques présentes sur le Web (70% selon Synthesio). Ce sont principalement des marques sans aspérité particulière, que les consommateurs connaissent mais pour lesquelles ils ne nourrissent pas d’affection forte. Les marques de lessive ou de produits d’entretien entrent par exemple dans cette catégorie.

Ensuite, on trouve les « marques fonctionnelles ». Celles-ci sont fondamentalement associées à un service précis et connu. C’est le cas notamment d’Accor avec les services hôteliers, Orange avec la téléphonie, etc. La relation avec le client repose en priorité sur une promesse de service sur laquelle le dialogue se noue la plupart du temps lorsqu’un problème surgit.

Autre catégorie distinguée : les « marques stars ». Celles-ci génèrent de la passion chez ceux qui les aiment et les consomment. Apple est sans doute l’exemple le plus emblématique mais on peut également citer le cas des jeux Lego dont la stratégie digitale s’appuie également en majorité sur les contributions des fans de la marque danoise. L’interactivité est forte, constante et souvent bilatérale.

Enfin, la dernière catégorie est composée de « marques sensibles » qui proviennent le plus souvent des secteurs de la santé (médicaments), de la sécurité, de l’alimentaire et de l’environnement. De par leurs fonctionnalités, elles génèrent inéluctablement des questions, voire des angoisses qui nécessitent un travail d’explication et d’information. Pour Yann Gourvennec, 90% des marques ont besoin de définir une stratégie digitale quelle que soit la catégorie dans laquelle elles s’inscrivent. Il n’est plus possible de faire l’impasse du dialogue, hormis quelques rares exceptions.

Succès, échecs, où est la recette infaillible ?

Un ouvrage de référence à lire selon Yann Gourvennec

C’est la question subsidiaire par excellence que posent tous les acteurs qui ont choisi de sauter le pas et de s’investir dans une stratégie numérique. Pour Stanislas Magniant, il n’existe pas de recette magique hormis celle d’aller s’inspirer de cas d’étude dont on peut trouver les présentations sur un site comme Slideshare. Avant tout chose, il faut savoir faire preuve de pragmatisme et de sens stratégique. En revanche, un cas d’échec patent à ses yeux est le dossier Nestlé KitKat contre Greenpeace (lire à ce propos l’analyse du blog du Communicant 2.0).

Yann Gourvennec estime qu’il faut s’affranchir des classiques ficelles du genre « 10 trucs infaillibles pour votre site » ou vouloir à tout prix dupliquer la stratégie digitale d’Apple. Son conseil à tous ceux tentés par l’aventure du Web 2.0 est de lire le livre d’un ancien manager de Microsoft, Scott Berkun qui s’intitule The Myth of Innovation. Hervé Kabla a surenchéri en soulignant que le succès est une notion toute relative dans le domaine du Web 2.0 ? A son sens, 200 fans ciblés et impliqués valent plus 20 000 fans inscrits mais peu actifs.

Mesurer, vous avez dit mesurer ?

C’est l’autre grande question à chaque fois qu’un projet numérique est envisagé : quel va être le ROI (Return on investment) ? Yann Gourvennec glisse même malicieusement que d’aucuns se servent de cet indicateur pour tuer dans l’œuf des projets ! Toutefois qu’on le veuille ou non, c’est le « Saint Graal » que tout le monde cherche désespérément selon Stanislas Magniant, particulièrement les équipes marketing qui aiment convertir des statistiques d’audience en performances commerciales avérées.

Un avis que rejoint Hervé Kabla mais qu’il pondère en suggérant de se fixer des objectifs adaptés à sa propre problématique et son domaine d’activité. Il est illusoire de vouloir atteindre des audiences à multiples zéros si l’on est un produit de niche très spécialisé. Yann Gourvennec fait remarquer que les gens adorent les graphes, les courbes et les chiffres mais au bout du compte, est-ce que le message est réellement passé ? Or la véritable influence ne se mesure pas uniquement à l’aune du nombre de pages vues ou de re-tweets. C’est une notion beaucoup plus subtile et pas toujours évidente à quantifier.

Comment contrôler ce qu’on dit de moi ?

Il faut savoir accepter ce que l’on dit de vous sur le Web et dialoguer

Le contrôle est un autre aspect qui préoccupe grandement les entreprises qui s’inquiètent souvent de perdre le contrôle du discours à propos d’elle-même. Néanmoins, les trois orateurs ont été unanimes : il faut savoir lâcher prise sur les médias sociaux. Pour Yann Gourvennec, il faut laisser les fans s’exprimer et même les aider plutôt que s’indigner parce qu’ils ont utilisé un mauvais logo ou vouloir interdire l’usage de telle ou telle image. Hervé Kabla abonde en estimant qu’il faut vraiment accepter les propos tenus et engager si nécessaire la discussion pour rectifier tel ou tel point.

Stanislas Magniant s’inscrit dans la même logique. Avec toutefois un obstacle de taille qui peut surgir de l’entreprise elle-même : le service juridique qui tente souvent de valider et formater les propos au risque de perdre la spontanéité et l’authenticité que peut générer un outil numérique comme un fil Twitter, un blog ou une page Facebook. En guise de conclusion, Yann Gourvennec lance cette simple phrase : « Ne demandez pas la permission ! foncez ! ».

Lectures complémentaires

– Site de IABC France
– Site de Media Aces France
– Blog d’Hervé Kabla
– Blog de Yann Gourvennec
– Blog de Net Intelligenz



12 commentaires sur “Marques et médias sociaux : faut-il en être ou pas ?

  1. debel  - 

    Il faut bien évidemment se lancer dans le digital branding. C’est même essentiel. Il faut tenter de nouvelles choses et ne pas avoir peur de faire quelques faux pas web. La puissance des nouveaux prescripteurs, les rézocialist est à exploiter par les grands comptes tout comme les pme.

      1. Benoît  - 

        Pas de soucis, à ta dispo pour toutes infos complémentaires (tu as mon mail transmis avec ma réponse)

        Pour info, actuellement Fanabriques est présente à LEGO-World (www.legoworld.nl), LA grand’messe européenne du monde LEGO ….
        look here : http://www.fanabriques.fr/index.php?conect=&action=articles&catid=2&artid=151&langue=fr

        Et plus localement, au mois de novembre en France ici :
        http://www.fanabriques.fr/index.php?conect=&action=articles&catid=3&artid=114&langue=fr
        Où la passion du fan devient de fait un véritable agent marketing « gratuit » pour la marque ! 🙂

        Ces nouvelles relations marque/public sont de véritables « collaborations » où finalement personne ne perd et pourtant sans transaction commerciale ou contrat. Je crois beaucoup en l’avenir de ce genre de modes de fonctionnement malgré le bouleversement des repères « traditionnels » en termes de marketing.

        Au plaisir !

        Benoît

  2. Hervé Kabla  - 

    Merci Olivier, superbe compte-rendu. J’ai beaucoup apprécié cette conférence, d’une part en raison du talent de Matthew Fraser, excellent modérateur, et d’autre part sur le consensus subtil sur l’utilisation des médias sociaux, alors que les intervenants (grosse agence, petite agence et grand compte) n’ont pas forcément les mêmes objectifs. Désacraliser, c’est ce qui permet d’avancer sans complexe.

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