Victime je pense donc victime je suis ! (1/3)

Longtemps réduites au silence et reléguées à l’arrière-ban, les victimes se sont progressivement structurées ces vingt dernières années au point d’occuper aujourd’hui un rôle fondamental. L’expression des victimes est devenue prépondérante et leur pouvoir redoutable. Les politiques les courtisent sans modération tandis que les médias les enluminent avec compassion. Quant à la justice, celle-ci subit sans relâche le feu de quelques associations actives résolues à ce que le droit s’oriente et se façonne à leur profit exclusif, quitte à parfois raboter ou à renier des lois élaborées jadis pour préserver l’ensemble de l’équilibre social et les droits de tous.

La psychanalyste Caroline Eliacheff et l’avocat Daniel Soulez Larivière ont baptisé ce phénomène victimaire avec beaucoup d’acuité « Le temps des victimes », titre par ailleurs de leur ouvrage éponyme (1) publié en 2007. Grâce à une prise de parole tenace et déterminée et une irruption permanente sur la scène médiatico-politico-judiciaire, les victimes jouissent d’une image incontournable et pourtant quelquefois totalement disproportionnée par rapport à leur représentativité véritable. Or, si la société (et la justice en particulier) continue d’accepter implicitement ces logiques duales où celui qui hurle le plus fort et arrache des larmes l’emporte systématiquement sur tout le reste, elle s’expose dangeureusement à des déviances terribles et des crises certaines. Premier volet de l’analyse d’une tendance qui n’est pas prête de s’estomper.

De la victime oubliée à la victime considérée

Pendant longtemps, les victimes ont eu du mal à se faire entendre de la justice (photo Nord Eclair)

Pour mieux comprendre comment et pourquoi la victime a conquis autant de terrain dans les prétoires (particulièrement dans la justice pénale) et dans la foulée politiques et médias, il est utile de remonter quelque peu le fil de l’histoire. Initialement, le droit français a défini deux juridictions pour traiter les délits et les conflits qui émaillent la société : le civil et le pénal. Au sein de l’instance civile, il s’agit prioritairement de permettre la réparation d’un préjudice commis par une personne à l’égard d’un tiers. En conséquence, cela se traduit par l’attribution de dommages et intérêts pour la victime selon l’appréciation d’un juge et en fonction de la gravité de la faute ou du contentieux qui oppose deux parties.

Au sein de l’instance pénale, il s’agit en revanche de punir un individu ou une entité morale coupable d’une infraction au regard de la société entière. C’est l’Etat et seulement lui qui est en charge de la poursuite publique et qui fixe le barème des sanctions à appliquer sous forme d’amendes et/ou d’emprisonnement à l’encontre du prévenu. La victime quant à elle, est uniquement présente via la constitution d’une partie civile. Pendant longtemps, ces parties civiles ont joué un rôle relativement subsidiaire en se contentant d’assister aux débats, aux plaidoiries et au verdict rendu par le président du tribunal.

Dans les années 70, ce schéma juridique entre civil et pénal est petit à petit devenu poreux. D’abord de manière épisodique puis répétitive, des juridictions pénales ont commencé à accorder à leur tour des indemnisations financières aux victimes en plus des amendes et des peines de prison traditionnellement infligées aux accusés. En parallèle de la condamnation pénale prononcée, a progressivement émergé la notion de réparation à l’encontre de cette même victime. C’est ainsi qu’en janvier 1977, décision est prise par Jean Lecanuet, alors ministre de la Justice de créer des Comités d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) au sein de chaque tribunal de grande instance. Toute personne étant victime d’un préjudice corporel peut alors demander réparation avec la saisine d’un CIVI pendant trois ans à compter de la date de l’infraction pénale et dont l’auteur n’a pu être identifié ou est insolvable. C’est le point de départ d’une immixtion de la victime dans la sphère pénale de la justice qui ne va cesser de croître au fil des décennies.

La victime grandit

Geneviève Jurgensen fait partie des pionniers qui ont fait entendre les revendications des victimes (Photo Bertrand Desprez – Agence VU)

Au cours des années 80, le statut de victime acquiert une importance capitale. Les premières associations de victimes et d’aide aux victimes entrent alors en scène suite à des catastrophes, des attentats ou encore des drames individuels. Les causes défendues par ces associations sont souvent hétérogènes. En revanche, toutes partagent une volonté commune récurrente : aider les victimes à obtenir reconnaissance et réparation mais aussi (et c’est nouveau) peser dans les débats judiciaires pour éviter d’autres préjudices du même type à l’avenir.

C’est ainsi que naît par exemple en 1983 la Ligue contre la violence routière à l’initiative de Geneviève Jurgensen, écrivain et journaliste qui trois ans plus tôt, avait perdu ses deux petites filles dans un accident de la route. Avec son association, elle va devenir un acteur de poids pour faire évoluer la réglementation routière auprès des instances politiques et judiciaires et pourfendre sans relâche les chauffards et les affranchis du Code de la route. Un engagement si fort qu’il lui vaudra les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur remis en mains propres par le président de la République en 2003. Sa réputation ira même au-delà des frontières hexagonales puisque le magazine Time la consacre comme « European Hero » en 2005.

En 1986, apparaît le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et de réparation intégrale des préjudices des victimes. Autre fait notable qui intervient la même année : une cinquantaine d’associations d’aide aux victimes choisit de se fédérer sous la bannière de l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (Inavem) nouvellement créé et financé en grande partie par le ministère de la Justice.

Dans l’œuvre de reconnaissance des victimes, l’Inavem va dès lors agir comme une véritable cheville ouvrière. Elle multiplie les groupes de travail, les conférences et les rapports en étroite liaison avec les instances ministérielles. En 1993, l’Inavem devient également un centre de formation pour les salariés et les bénévoles des associations. Depuis 2001, une plateforme téléphonique et des numéros Azur ont été mis à disposition des victimes pour les écouter et les orienter dans leurs démarches juridiques. Aujourd’hui, l’Inavem annonce (2) regrouper 150 associations et aider annuellement plus de 290 000 victimes.

Le politique s’empare du sujet

Nicole Guedj a dirigé l’éphémère secrétariat d’Etat des Droits des victimes de 2004 à 2005

Le pouvoir politique a rapidement perçu l’enjeu crucial que représentait cette force grandissante des victimes. Nombreux sont les Gardes des Sceaux qui ont à leur tour multiplié les gestes et les actes pour toujours faire progresser la prise en charge et la solidarité avec les victimes. Sur le terrain des lois, le périmètre ne cesse alors de s’élargir (3). L’une d’entre elles, la loi du 6 juillet 1990, marque une avancée majeure. Elle institue un régime d’indemnisation autonome de la victime d’infraction devant les CIVI qui se voient conférer un caractère juridictionnel. Autrement dit, la victime n’a plus à attendre le verdict prononcé à l’issue de la procédure judiciaire pour pouvoir bénéficier d’une compensation financière.

Côté politique publique d’aide aux victimes, les efforts ne se relâchent pas non plus. En 1999, une commission présidée par Marie-Noëlle Lienemann formule 114 propositions rassemblées dans un rapport intitulé « Pour une nouvelle politique d’aide aux victimes ». Ce rapport se traduit surtout par la création du Conseil National d’Aide aux Victimes (CNAV). Pas moins de douze ministères (ainsi que l’Inavem) y sont représentés pour coordonner les politiques et se concerter sur les pratiques les plus adaptées en matière d’aide aux victimes.

Le point d’orgue le plus symptomatique est sans doute atteint en mars 2004 avec la constitution d’un secrétariat d’Etat aux Droits des victimes confié à la juriste Nicole Guedj et sous la tutelle du ministère de la Justice. Par la voix de l’Inavem, les associations se réjouissent de voir ainsi leur problématique dotée d’une structure étatique propre. Mais déjà les premières réticences critiques se font aussi sentir. Le flou règne sur les moyens alloués à cette structure et son périmètre exact d’intervention. Le président de l’Union syndicale des Magistrats (USM) monte au créneau et qualifie le nouveau secrétariat « d’entreprise démagogique » (4). La presse se fait ironique et accole à Nicole Guedj le titre de « secrétaire d’Etat aux gerbes de fleurs » (5).

Au final, cette structure demeurera surtout à la postérité pour avoir été le plus éphémère secrétariat d’Etat de l’histoire républicaine puisqu’il disparaît le 31 mai 2005 à l’occasion d’un remaniement ministériel. De ce bref intermède, subsistera seulement la création d’un numéro d’appel unique, le 08 Victimes. Il n’en demeure pas moins que la cause des victimes est maintenant clairement ancrée dans les priorités des pouvoirs publics. En 2002, les crédits accordés aux associations s’élevaient à 4,6 millions d’euros (6). En 2007, le montant se situait à 7,3 millions d’euros soit une progression de 58%.

La victime est au cœur de la justice

Les tribunaux se préoccuppent désormais énormément des droits des victimes

La victime est donc passée de l’arrière-ban mutique à une estrade influente dans le dénouement des affaires judiciaires des crises qui remuent la société à intervalles réguliers. Force est de reconnaître que les événements ont largement concouru à consolider ce statut. Ces vingt dernières années, pas un pan de la société n’a été épargné par les drames où des victimes ont perdu la vie ou sont restées gravement handicapées. La santé publique traîne comme un boulet les lourds dossiers du sang contaminé (lire à ce propos le billet du Blog du Communicant 2.0), de l’hormone de croissance, de l’amiante ou de l’hépatite B. Les transports sont encore entachés du sang des victimes du tunnel du Mont-Blanc et du crash aérien du Mont Sainte-Odile. L’industrie souffre toujours des terribles pollutions pétrolières ou de l’explosion meurtrière de l’usine AZF.

Bref, tout semble s’être agencé pour que la victimisation collective fasse tache d’huile à chaque drame supplémentaire qui intervient. Dans ces circonstances, il n’est guère surprenant que la victime apparaisse maintenant comme une priorité absolue aux yeux de l’opinion publique comme à ceux des politiques, des juges et des médias. Puisqu’éviter des catastrophes ou juguler les déviances semble a priori inaccessible, alors il faut au moins trouver et punir des coupables et leur faire réparer les dommages causés à autrui. Non seulement la demande de réparation est de plus en plus forte mais la présence de la victime dans les procédures judiciaires est de plus en plus nette. Une présence que politiques et législateurs ont grandement facilité par l’octroi de nouveaux droits qui confèrent à la victime (ou à des associations qui peuvent également se constituer parties civiles) des leviers d’action efficaces.

L’évolution législative la plus significative est sans nul doute la loi Perben II du 9 mars 2004 complétée par la loi du 12 décembre 2005 relative à la prévention de la récidive. La victime apparaît cette fois au cœur même du processus d’application des peines. Au cours d’un colloque, l’avocat Henri Leclerc a précisément pointé les nouvelles dispositions (7) : « L’article 707 fixe d’abord comme principe que « l’exécution des peines favorise, dans le respect de la société et du droit des victimes, l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive ». L’article 712-7 stipule que « s’il en fait la demande, l’avocat de la partie civile peut assister au débat contradictoire devant le tribunal de l’application des peines pour y faire valoir ses observations avant les réquisitions du ministère public » (…) Quant à l’article 720, il prévoit que préalablement à toute décision entraînant la cessation temporaire ou définitive de l’incarcération d’une personne condamnée avant la date d’échéance, le juge d’application des peines doit prendre « en considération les intérêts de la victime ou de la partie civile » et informer celle-ci des interdictions concernant la personne libérée ». Conclusion de l’avocat : le nouveau droit pénal n’est-il pas en train de devenir purement et simplement le droit des victimes ?

Vers une victime revendicatrice : l’exemple médical

Les recours en justice de victimes pour des erreurs médicales ont augmenté de façon exponentielle

La question de Maître Leclerc mérite en effet d’être soulevée. Le poids juridique sans cesse plus prégnant des victimes s’est instillé partout dans la société. Depuis déjà plusieurs années, la judiciarisation des relations entre médecins et patients est par exemple une manifestation caractéristique de cette tendance victimaire. Même si tout acte médical comporte intrinsèquement une part de risque pouvant conduire à un accident, le rapport soignant-soigné a été longtemps exempt de la défiance actuelle. Dans le passé, le patient n’osait guère aller à rebours de la sacro-sainte parole du médecin, lequel demeurait drapé dans son savoir technique inébranlable.

Le virus du SIDA a considérablement bousculé cette relation de « soumission » un peu fataliste. Souvent issus d’un milieu socioculturel élevé, voire du corps médical lui-même, les malades séropositifs ont été les premiers à se structurer pour exiger des réponses thérapeutiques rapides et faire pression sur les autorités publiques et les laboratoires pharmaceutiques. L’exigence de résultat est donc devenue une revendication de plus en plus affirmée et même presqu’un droit inaliénable d’autant qu’avec une information médicale vulgarisée plus vaste, les patients sont progressivement devenus plus avisés et régulièrement organisés en associations.

Dans ce contexte victimaire croissant, la rupture du dialogue ou la perte de confiance peuvent vite inciter des patients victimes d’aléas thérapeutiques à s’adresser à l’institution judiciaire pour attaquer l’éventuelle faute du praticien ou de l’établissement de santé et se faire indemniser au prorata du dommage subi. En avril 1993, l’arrêt Bianchi a notamment statué : « lorsqu’un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l’existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l’exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l’état initial du patient comme avec l’évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d’extrême gravité ». En désignant la responsabilité médicale des hôpitaux, la justice ouvrait ainsi largement la voie à l’indemnisation des patients.

La loi du 4 mars 2002 empruntera la même logique de raisonnement en mettant sur pied un dispositif de règlement amiable et d’indemnisation. Désormais, en cas d’aléa thérapeutique, la victime peut saisir une commission régionale de conciliation et d’indemnisation. Si l’avis est favorable, l’Office National des Indemnisations des Accidents Médicaux (ONIAM), créé pour la circonstance sous la tutelle du ministère de la Santé, compensera financièrement le préjudice du patient.

Si auparavant, il fallait apporter la preuve de la faute pour conditionner la procédure judiciaire, on assiste aujourd’hui à l’inverse. Le médecin doit prouver qu’il n’a pas commis de faute pour éviter d’être condamné. Une inversion qui n’est pas sans conséquences pour les professions médicales. Face aux recours judiciaires que les patients peuvent engager, certaines spécialités ont vu les tarifs de leur prime d’assurance s’envoler. Un gynécologue-obstétricien doit par exemple débourser entre 15 000 et 30 000 € par an pour être couvert en cas de contentieux (8). Bien que le législateur s’attache maintenant à moduler les excès potentiels de certains recours abusifs, la tendance n’est pas pour autant à l’apaisement des rapports entre médecins et patients.

De l’innocente victime à la victime médiatique

La victime rencontre aujourd’hui un écho médiatique sans précédent

Au-delà de son incrustation sur la scène judiciaire, la victime est littéralement devenue une figure de proue essentielle de laquelle aucun acteur ne peut s’absoudre. Lors d’un débat télévisé sur l’affaire Allègre (affaire où des prostituées accusaient des notables toulousains d’actes de tortures et de meurtres), la journaliste Florence Aubenas a évoqué avec lucidité le statut arrogé à la victime lorsqu’un reporter conduit son enquête (9) : « Aujourd’hui, on prend en compte les dépositions de victimes. L’enquête va d’abord s’appuyer là-dessus. Normalement, on devrait mener des investigations en parallèle, faire du contradictoire. Or, aujourd’hui, on part d’abord de ce que disent les victimes et ça devient l’élément émotif d’un dossier. Sauf que quand on parle d’émotion dans une affaire judiciaire, c’est qu’on a déjà passé une ligne rouge ». Son confrère Dominique Verdeilhan, chroniqueur judiciaire à France 2 abonde dans le même sens (10) : « On considère que la victime a toujours raison. La souffrance fait qu’on se dit « il y a quelque chose derrière, elle ne peut pas mentir ». A partir de ce moment-là effectivement, il y a un emballement. On manque de méfiance vis-à-vis d’une victime parce qu’elle a un statut particulier ».

Aujourd’hui, émettre un doute ou oser contredire la parole d’une victime est assimilé à un comportement politiquement incorrect et suspect. Pire, le manque d’empathie pour celui ou celle qui a souffert, fait passer le questionneur pour un sans-cœur irrespectueux. Dans son livre intitulé Eloge de la barbarie judiciaire, l’avocat Thierry Levy s’en indigne avec vigueur (11) : « La plainte lorsqu’elle émane d’une personne vulnérable et porte sur des faits sensibles a, aux yeux du plus grand nombre, une valeur de vérité objective (…) La procédure criminelle n’a pas de raison de contribuer à la propagation de ce culte. Déposer une plainte ne créé qu’un droit unique, celui d’être entendu sur les faits dénoncés et d’être admis à en rapporter la preuve ».

Flash-back sur l’agression du RER D

Suite à sa (fausse) agression, Marie-Léonie Leblanc a été la coqueluche des médias

La fausse agression du RER D témoigne à cet égard de la frénésie victimaire qui peut s’emparer des acteurs de la société. Le vendredi 9 juillet 2004, Marie-Léonie Leblanc prétend avoir été victime d’actes de violence alors qu’elle voyageait dans un train de banlieue avec son bébé de 13 mois. Aux enquêteurs de police, elle désigne six jeunes hommes d’origine maghrébine et noire comme étant ses agresseurs. La soupçonnant d’être juive, ceux-ci l’ont alors violenté, lacéré ses vêtements et dessiné des croix gammées sur son ventre sans qu’aucun passager présent dans la rame n’intervienne pour la défendre.

Aussitôt la dépêche AFP tombée, c’est un raz-de-marée d’indignation qui déferle de toutes parts. Médias, politiques, associations juives et antiracistes s’émeuvent dans un même élan de compassion et d’écœurement contre l’antisémitisme rampant et la lâcheté odieuse des voyageurs du train. Jacques Chirac, le président de la République promet des sanctions exemplaires dès que les auteurs seront arrêtés. Nicole Guedj, la fraîchement nommée secrétaire d’Etat aux Victimes s’entretient longuement avec la victime et exhorte les témoins à se manifester rapidement, même sans révéler leur identité.

Dans le brouhaha, personne ne prête attention aux déclarations du secrétaire général du syndicat des officiers de police qui affirme rapidement à l’AFP que (12) « depuis dimanche soir sont apparues des contradictions » et précise « qu’il n’y a pas assez d’éléments probants » dans le témoignage de la jeune femme. Personne ne se pose des questions quand le personnel de la SNCF (auprès duquel la jeune femme se serait plainte) dit ne pas se souvenir des faits. Personne ne relève l’absence de toute manifestation de témoin, même anonyme, après trois jours.

Le mardi 13 juillet, le couperet tombe sur l’affabulatrice qui avoue avoir inventé cette histoire de toutes pièces. Devant l’évidence de la supercherie, les politiques se livrent pourtant à d’étonnants commentaires. Jean-Pierre Raffarin, le Premier Ministre, conclut que (13) « cette agression réelle ou virtuelle » a provoqué « une émotion authentique » ! Nicole Guedj estime n’avoir rien à se reprocher en disant (14) « qu’il faut accorder aux victimes la présomption de bonne foi jusqu’à preuve du contraire ». Ce que Thierry Levy qualifie de (15) « dérive victimaire poussée à son paroxysme. Le statut de victime est accordé à ceux qui ont su rendre leur version des faits vraisemblables. Les autres, c’est-à-dire tous ceux que ces déclarations sont susceptibles d’atteindre, ont à prouver qu’il y a imposture, dénaturation des faits ou simple mensonge ». En d’autres termes, le doute profite à l’inimaginable et écorne au passage la présomption d’innocence. A suivre dans le deuxième volet du billet …

Sources

(1) – Caroline Eliacheff et Daniel Soulez Larivière – Le Temps des Victimes – Albin Michel – 2007
(2 ) – Site Web officiel de l’Inavem
(3) – Site Internet du ministère de la Justice : www.justice.gouv.fr
(4) – « Le droit des victimes, préoccupation récente » – La Voix du Nord – 2 avril 2004
(5) – Nathalie Raulin – « Nicole Guedj, secrétaire d’Etat aux gerbes de fleur » – Libération – 29 mai 2004
(6) – Chiffres extraits du discours prononcé le 13 mars 2007 par Pascal Clément, ministre de la Justice lors du 20ème anniversaire de l’Inavem
(7) – « Droit(s) des victimes : nouveau droit pénal ? » – Communication d’Henri Leclerc donnée le 17 novembre 2006 lors du colloque de la Faculté de droit de Toulon sur « L’effectivité des droits des victimes d’infractions pénales »
(8) – Aline Gérard et Daniel Rosenweg – « La France va bientôt manquer de dentistes » – Le Parisien – 11 septembre 2007
(9) – Magazine Mots Croisés – Affaire Allègre : comment tout a dérapé ? – Diffusé le 3 octobre 2007 sur France 2
(10) – Ibid.
(11) – Thierry Levy – Eloge de la barbarie judiciaire – Odile Jacob – 2004
(12) – Déclaration à l’Agence France Presse – 12 juillet 2004
(13) – Déclaration à l’Agence France Presse – 13 juillet 2004
(14) – Déclaration à l’Agence France Presse – 13 juillet 2004
(15) – Thierry Levy – Eloge de la barbarie judiciaire – Odile Jacob – 2004