Note de lecture : Les Gourous de la Com’ d’Aurore Gorius et Michaël Moreau

Avec un titre à consonnance très conspirationniste et un sous-titre franchement aguicheur (Trente ans de manipulations politiques et économiques), on pouvait légitimement craindre à la lecture du livre, une attaque au lance-flamme dévastatrice de la part des deux auteurs contre les communicants si souvent suspectés de tirer les ficelles, de maquiller avantageusement la réalité ou encore intoxiquer les journalistes et les citoyens.

Il serait dommage de s’arrêter à ce constat lapidaire. L’ouvrage est en effet plus subtil que ne le laisse supposer son accroche éditoriale même s’il n’est pas avare en coups de griffe et formules critiques qui frôlent parfois la caricature.

Ce que j’ai aimé

312 pages de décryptage de cas d’étude

Le livre d’Aurore Gorius et Michaël Moreau a le mérite d’offrir une plongée très documentée dans les coulisses des réseaux d’influence à la croisée du monde des affaires, du pouvoir politique et de ceux qui se définissent comme conseillers en communication. Il fournit à cet égard une rétrospective historique intéressante sur la naissance de ces premiers « gourous » au premier rang desquels figure le si célèbre et si discret Jacques Pilhan qui a successivement épaulé les présidents François Mitterrand et Jacques Chirac dans l’élaboration et la diffusion de leurs messages à l’intention des médias et du corps social.

Grâce aux témoignages d’acteurs qui ont participé de très près aux événements évoqués, l’enquête explique et décrypte les mécaniques complexes d’image, de réputation et d’influence qui entrent en jeu autant dans la conquête du pouvoir politique que dans la compétition commerciale entre grandes entreprises et hauts dirigeants. Elle est de surcroît nourrie d’abondants exemples concrets tirés de l’actualité de ces dix dernières années. A cet égard, ces cas d’étude sont autant de leçons de communication (qu’il s’agisse aussi bien d’échec ou de succès) dont professionnels confirmés ou débutants peuvent largement s’inspirer pour leur propre pratique.

Ce que j’ai moins aimé

Une propension un peu excessive à voir de la manip’ partout

Même si la tonalité générale de l’ouvrage demeure assez pondérée, les auteurs n’ont malgré tout pas pu s’empêcher çà et là de recourir à l’antienne si éculée des communicants forcément machiavéliques à l’égard de journalistes impuissants. Si les communicants avaient autant le pouvoir de tout modifier par la seule force d’une formule impactante ou d’un coup de fil opportun, alors bien des crises d’image n’auraient jamais eu lieu. Lorsqu’on regarde l’actualité de ces derniers mois, on remarque que ce ne sont pas les communicants qui détiennent à eux seuls la potion magique. Ils peuvent y contribuer mais la communication au sens large n’est pas qu’une question de techniques plus ou moins manipulatoires. Elle tient aussi à la personnalité des différents acteurs qui conditionnent bien des décisions, parfois en dépit du bon sens

De même, il est un peu dommage de réduire le monde des communicants en France au seul trio Anne Méaux-Michel Calzaroni-Stéphane Fouks.  Leurs entreprises sont certes extrêmement influentes et ont pignon sur rue au sein des sociétés du CAC40. Mais c’est faire l’impasse un peu vite sur les directions de la communication des entreprises, des consultants et autres maillons essentiels qui concourent aussi au jeu médiatique. Enfin, le livre cède parfois un peu trop complaisamment à la tendance outrancière du moment qui consiste à voir de la « com » partout et forcément manipulatrice. Ce côté réducteur est probablement vendeur mais agaçant pour celles et ceux qui pratiquent la communication avec éthique et conviction.

Le passage à ne pas rater

L’anecdote ci-dessous montre précisément que la communication ne dispose pas de tous les pouvoirs maléfiques que d’aucuns lui prêtent si souvent !

(page 154) : L’accusation est lourde et l’image d’Alstom gravement abîmée de par le monde. Le PDG Patrick Kron annonce publiquement qu’il porte plainte contre le journal new-yorkais pour « diffamation » et « non-respect de la présomption d’innocence ». En coulisses, il appelle à l’aide l’agence Publicis. Seth Goldschlager est missionné pour rétablir discrètement de bonnes relations entre Alstom et Wall Street Journal, « car aucune entreprise ne fait un procès au WSJ » raconte une partie prenante du dossier. Mais le WSJ refuse tout copinage et rejette les coups de fil presssants de Publicis. Echec sur toute la ligne !

En complément

Pour se forger une opinion encore plus variée du livre, on peut également se référer aux critiques suivantes :
– Ecouter le podcast consacré au livre dans l’émission Mediapolis d’Europe 1 du 9 avril 2011 de Michel Field et Olivier Duhamel
– Lire l’article de Jean-Marie Durand – « Les gourous de la com’, ces décideurs de l’ombre » – Les Inrockuptibles – 31 mars 2011
– Lire l’article de Bertrand Le Gendre – « La tyrannie de la com’ » – Le Monde – 30 avril 2011

Le pitch de l’éditeur

«Les Gourous de la Com’ » d’Aurore Gorius et Michaël Moreau, La Découverte, 312 pages, 19 €.

«Ils vivent dans l’ombre des puissants, mais ils exercent eux-mêmes un pouvoir et une influence largement ignorés du grand public : les conseillers en communication contrôlent aujourd’hui l’image des gouvernants comme des grands patrons et ils sont passés maîtres dans l’art de manipuler les journalistes et l’opinion. Désormais, ils participent également aussi bien aux décisions stratégiques des politiques qu’à celles des groupes du CAC 40.

Ce livre, fruit d’une enquête de deux ans, dévoile qui sont ces « gourous de la communication », dont les plus influents symbolisent l’étroite imbrication entre la sphère publique et le petit monde des affaires. Ils s’appellent Anne Méaux, Stéphane Fouks ou Michel Calzaroni et répondent ici pour la première fois, comme nombre d’autres acteurs, leaders politiques ou figures patronales, aux questions sans concession des auteurs. Ceux-ci montrent ainsi comment, en trente ans, du tournant de la rigueur de Mitterrand aux années Sarkozy, se sont construits de gigantesques réseaux d’influence, qui agissent en coulisses pour des intérêts privés. Quelles sont les méthodes de ces « faiseurs de rois » ? Comment pratiquent-ils le lobbying et le « média-training », pour qui et avec quels résultats ?

Les auteurs révèlent les grands dossiers, souvent inconnus, sur lesquels les « gourous de la com’ » ont manœuvré à l’abri des regards. Et pointent du doigt les conflits d’intérêts auxquels ils font souvent face. Une enquête inquiétante sur les dérives de la démocratie rendues possibles par le rôle devenu central de ces femmes et hommes de l’ombre ».

Biographies des auteurs

Aurore Gorius et Michaël Moreau sont journalistes. Ils ont déjà publié ensemble La CFDT, ou la volonté de signer (Hachette Littératures – 2006). Michaël Moreau est également l’auteur de Le Gouvernement des Riches (La Découverte – 2004)

Lire un extrait sur le site de l’éditeur, cliquer sur ce lien.

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