Exclusif ! A lire l’avant-propos du futur livre du Blog du Communicant 2.0

Encore quelques semaines de patience et j’aurai l’immense plaisir de pouvoir publier en ligne un essai intitulé « Journalistes, nous avons besoin de vous !  » grâce au concours d’une jeune maison d’édition numérique, Edicool et de mes amis de Noise. Pour remercier les fidèles lecteurs du Blog du Communicant 2.0, je diffuse donc en avant-première l’intégralité de l’avant-propos de l’ouvrage. N’hésitez pas à réagir !

Le livre s’attachera dans un premier temps à rappeler en quoi la pratique du journalisme entraîne nécessairement des rapports de force complexes et ambivalents avec les pouvoirs politiques et économiques où alternent tentatives de mise au pas, antagonismes et/ou collusions. Il décortique ensuite les reproches et les critiques qui nourrissent la fracture médiatique entre les journalistes et l’opinion publique. Fracture qui a entraîné aujourd’hui l’émergence d’un alter-journalisme sur Internet avec un mot d’ordre permanent autour de la théorie du complot et de la vérité occultée par les grands médias.

Il revient également pourquoi la presse traditionnelle traîne des boulets structurels qui lui sont de plus en plus fatals face aux nouveaux médias numériques dont le business model reste encore certes aléatoire mais tellement inéluctable au regard de l’explosion de la consommation des contenus digitaux.

Pour finir, le livre esquisse quelques pistes pour que les journalistes reviennent au coeur des enjeux éditoriaux et démocratiques pour que chacun puisse continuer à disposer d’une information viable et éclairante dans un monde saturé d’images et de mots en haut débit. Il en va de la pérennité de la démocratie et de la libre expression. Et maintenant, place à l’avant-propos !

Journalistes, nous avons besoin de vous !

Il suffit désormais d’un clic sur son ordinateur, son smartphone ou sa tablette dernier cri pour disposer in extenso de l’actualité du jour

L’interpellation peut paraître brutale, iconoclaste, voire saugrenue. Pourtant, à juger la profusion de livres, d’articles, d’interviews annonçant avec une solennité mortuaire la fin de la presse classique, le citoyen peut légitimement se demander si l’ère jurassique des plumitifs reporters n’est pas bel et bien révolue.

La technologie ne permet-elle pas en effet aujourd’hui d’appréhender en un clin d’œil et en temps réel la globalité des événements qui agitent le monde quand elle ne transforme pas le lecteur lui-même en émetteur de ses propres informations ! Au rebut le kiosque à journaux où l’on se rendait pour découvrir les nouvelles de la planète dans les colonnes d’un grand quotidien du soir. Au rabais le rituel cathodique du JT de 20 heures qu’on regardait attentivement pour s’informer des soubresauts de ce monde. Il suffit désormais d’un clic sur son ordinateur, son smartphone ou sa tablette dernier cri pour disposer in extenso de l’actualité du jour, que dis-je de l’heure écoulée quand ce n’est pas de l’instant même ! Alors à quoi bon attendre la parution du journal ou la diffusion des flashs quand tout est accessible et partageable instantanément ? A-t-on encore réellement besoin des journalistes lorsque le chef économiste de Google, Hal Varian nous révèle (1) en plus que 70 secondes est le temps moyen qu’un internaute consacre quotidiennement à la lecture des infos sur Internet !

Oui, la question mérite d’autant plus d’être posée qu’en parallèle de cette technologie galopante qui grille le plus réactif des reporters, les médias sont secoués par un vent mauvais de suspicion et de défiance à leur égard. A vouloir trop souvent s’imposer juge avant les juges, à préférer commenter et critiquer plutôt qu’éclairer et expliquer, à cultiver un laxisme gestionnaire quasi atavique, à force de jouer un obséquieux pas-de-deux avec les pouvoirs politiques et les puissances financières tout en invoquant la sacro-sainte éthique journalistique, ils ont eux-mêmes brouillé les fondamentaux de la profession et chamboulé autant son essence que sa raison d’être et sa pérennité. Ils sont désormais débordés par des citoyens militants qui s’improvisent journalistes et entendent faire aussi bien sinon mieux que les titulaires patentés.

Le 4ème pouvoir brûle-t-il ?

Le film « Good Night, Good Luck » où un présentateur de télévision ose braver les interdits et critiquer ouvertement la chasse aux sorcières du sinistre sénateur McCarthy

Longtemps, le journalisme a été paré d’une aura (à tort ou à raison) fascinante. Communément surnommé le 4ème pouvoir, il est considéré comme le baromètre assidu de l’évolution de la société, le poumon incontournable de la vie démocratique et l’assurance-vie inoxydable de la liberté d’opinion. Avec sa sagacité en bandoulière, le journaliste se doit d’être le chroniqueur inflexible et le décodeur tatillon des pouvoirs et des ambitions qui s’entrechoquent et s’affrontent.

Cela a engendré des figures aussi mythiques que le tenace Joseph Rouletabille, journaliste d’investigation créé par Gaston Leroux ou le vaillant Tintin d’Hergé, redresseur de torts contre la canaille affairiste Rastapopoulos et le général dictateur Tapioca. L’industrie cinématographique n’est pas en reste pour magnifier en permanence le travail de journaliste. C’est Humphrey Bogart qui fait éclater la vérité contre la pègre dans « Bas les masques ». C’est Al Pacino qui s’attaque aux magouilles de l’industrie du tabac dans « Révélations ». C’est Nick Nolte qui est confronté aux affres de la manipulation en pleine guerre civile au Nicaragua dans « Underfire ». C’est encore Patrick Dewaere qui dénonce la corruption d’un politicien ambitieux dans « Mille millions de dollars ». Plus récemment, Georges Clooney a continué d’exploiter le filon en réalisant « Good Night, Good Luck » où un présentateur de télévision ose braver les interdits et critiquer ouvertement la chasse aux sorcières du sinistre sénateur McCarthy. Russel Crowe lui a emboité le pas dans « Jeux de pouvoir » en perçant les secrets d’un complot au plus haut sommet de l’Etat.

Aujourd’hui pourtant, c’est le désamour acerbe qui prévaut entre les journalistes et le reste de la société, public, pouvoirs politiques et entreprises confondus. Certes, les poussées de fièvre, les prises de bec et les noms d’oiseaux ont régulièrement émaillé les relations entre les différents acteurs. La tradition française est à cet égard particulièrement empreinte d’une certaine ambivalence à l’égard des journalistes. Ce rapport amour-haine ambigu a par exemple nourri le personnage des Illusions Perdues de Balzac, Lucien de Rubempré ou encore celui de Bel Ami de Maupassant, Georges Duroy. Tous deux se servent du journalisme comme d’un strapontin à leur inextinguible soif d’ascension sociale parmi les gouvernants et les entrepreneurs. Tour à tour, ils sont dépeints par leurs auteurs (qui savent de quoi ils parlent puisqu’ils ont eux-mêmes tâté de la profession !) comme superficiels, arrivistes, égocentriques, comploteurs, obséquieux avec les forts et contempteurs avec les faibles.

Toutefois, jamais les médias n’ont affronté une période aussi turbulente et viciée qu’actuellement. La profession fait l’objet de salves critiques nourries et constantes autour de ses dérapages éditoriaux et de ses dérives déontologiques. Elle est pointée d’un doigt accusateur pour ses collusions trop systématiques avec les pouvoirs, voire ses complicités organisées et ses alcôves consanguines.

Psychodrame ou psychothérapie ?

Une série française produite en 2007 par Canal + intitulée « Reporters » a excellemment mis en exergue la dichotomie qui écartèle la presse actuelle

A force d’effectivement se tirer des balles dans un pied et d’avancer à cloche-pied de l’autre sur les terrains mouvants des jeux d’influence, la presse française s’est abîmée. Une série française produite en 2007 par Canal + intitulée « Reporters » a excellemment mis en exergue la dichotomie qui écartèle la presse actuelle et la nasse inextricable dans laquelle elle se débat avec l’énergie du désespoir. Tout a été dit, écrit et ressassé sur les dérives et les tares qui affectent la presse française.

Depuis une bonne quinzaine d’années, plusieurs journalistes n’y sont d’ailleurs pas allé de main morte avec leur propre confrérie. Les librairies et les bibliothèques regorgent de titres assassins et comminatoires. Il y est question de l’omerta française (2), des nouvelles censures (3), de la trahison des médias (4), de délits d’initiés (5), de face cachée (6), des médiacrates (7), de la mal-info (8). Philippe Cohen et Elisabeth Levy se désolent de constater que le métier a mal tourné (9). Un collectif anonyme de journalistes de TF1 s’agace de la main mise du pouvoir sur leur chaîne (10). Albert du Roy pronostique même la mort de l’information (11).

Doit-on par conséquent se résigner à regarder le cadavre tomber à l’instar du recensement macabre entrepris par le site Internet (12) « Magazine Death Pool » sur les journaux américains qui déposent régulièrement le bilan ? Veut-on réellement que la prophétie des Nostradamus de la presse rejoigne le diagnostic implacable posé par l’expert et analyste américain Ross Dawson ? Tel un chirurgien examinant froidement un cancéreux en phase terminale, celui-ci a établi en 2010 un calendrier (13) d’extinction planétaire des journaux. Ses prédictions accordent encore six années de répit pour le papier américain avant le trépas final. Les Anglais sont un peu mieux lotis avec 9 années de rab. En revanche, l’orée de 2020 marquera alors partout l’enclenchement d’un inexorable compte à rebours mortel au cours duquel la presse hexagonale devrait s’éteindre en 2029 !

L’analyste américain Ross Dawson a établi un calendrier d’extinction des journaux

Mais une fois passé le piétinement consciencieux et lugubre de cette presse devenue si abhorrée, que va-t-il nous rester en matière d’information ? La vraie, celle qui permet de comprendre le monde, d’échanger des points de vue, de progresser et de conserver la liberté d’opinion et la démocratie. Que faire pour que les journalistes cessent de perdre leurs plumes et retrouvent leur ramage ? Que faire pour enrayer la désertion programmée des lecteurs, surtout parmi les jeunes générations ? Quel garrot financier appliquer pour que les comptes d’exploitation des médias cessent de rougir de faillite ?

Déliquescence ou renaissance ?

Le site WikiLeaks est emblématique du nouveau paradigme éditorial émergent

La crise morale (et économique) de la presse a atteint un tel paroxysme qu’elle suscite désormais un « journalisme » numérique parallèle qui se veut citoyen et révélateur incorruptible de la vérité non-officielle. A cet égard, WikiLeaks, le site fondé par l’énigmatique missionnaire de l’information Julian Assange, est emblématique de ce paradigme éditorial émergent derrière lequel les médias classiques courent tant bien que mal. En l’espace de quelques mois, WikiLeaks est devenu le parangon de la liberté d’expression et de la transparence de l’information. Dans ce climat malsain et soupçonneux envers les journalistes, on atteint même des paradoxes incroyables qui font qu’aujourd’hui le blog accusateur d’un quidam lambda est forcément moins entaché de connivence et de parti-pris que l’éditorialiste d’un grand titre national.

C’est un fait. La presse classique ne sera jamais parfaite. Elle sera même toujours source d’approximations agaçantes et d’incohérences énervantes. Mais au bout du compte, ne vaut-elle pas mieux que ce marché aux puces de l’information déstructurée qui déboule partout et à tout instant ? Ce grand café du commerce échevelé où n’importe quel individu se proclame journaliste et jongle avec l’information depuis son blog personnel et sa caméra numérique. Souvent avec des ficelles contestables qui exacerbent la peur, la méfiance et les logiques binaires d’affrontement. Chez ces talibans en herbe au clavier dénonciateur, le monde est forcément un vaste champ de mines où tout n’est que complots, magouilles et duperies qu’ils entendent combattre haut et fort contre l’oligarchie médiatique.

Est-ce vraiment le monde de l’information que nous voulons ? Que de nouveaux acteurs viennent challenger les tenants de la chaîne journalistique semble sain et même souhaitable. Qu’une plus grande implication soit accordée aux lecteurs capables aujourd’hui d’être des éditeurs avisés semble également nécessaire. Pour autant, faut-il continuer à s’adonner à un populisme guillotineur appelant à l’éradication des médias pour faire place nette à un nouvel ordre de l’information ? Pas si simple et surtout pas si sûr que la démocratie et la qualité de l’information en sortent vainqueurs au final. C’est véritablement pourquoi les entreprises de presse doivent retrouver un rôle crucial d’éclairage et de mise en perspective en acceptant d’entendre les critiques, en s’affranchissant d’une certaine gangue corporatiste et surtout en embrassant les évolutions sociétales et technologiques non plus comme des couperets mais des opportunités de régénérer le journalisme.

Le temps du réveil a sonné

Cela inclut de toute évidence une réflexion et des actions autour de l’éthique et de la pratique du journalisme.

Les Etats Généraux de la presse à l’automne 2008 ont tenté d’esquisser des pistes d’amélioration et des chemins d’évolution. Dommage cependant que l’initiative se soit focalisé prioritairement sur l’angle économique, subventionniste et fiscal en déplorant de surcroît que la France ne compte aucun groupe média puissant. Il s’agit certes d’une véritable faiblesse structurelle qu’il convient de palier. Encore faut-il s’entendre sur le sens profond attribué à ce concept ! Parle-t-on d’une entreprise d’information avec une solide stratégie éditoriale et commerciale ou simplement d’un outil d’influence à fonds perdus au service d’intérêts très spécifiques ? La question reste totalement non tranchée malgré quelques propositions qui ont découlé de cet atrium médiatique très contesté.

La renaissance de la presse n’aura de sens et de pertinence que si elle est appréhendée dans sa globalité. Cela inclut de toute évidence une réflexion et des actions autour de l’éthique et de la pratique du journalisme. Notamment pour s’affranchir de cette propension laxiste à trop céder au culte racoleur de l’audimat, au sprint avide du scoop ou encore aux raccourcis caricaturaux si fréquents où entrepreneurs et notables sont forcément de vilains Goliath contre d’innocents collectifs de David citoyens forcément sincères et vertueux.

Toutefois, cette nécessaire remise à plat n’aura d’efficacité que si elle est imbriquée dans des problématiques connexes mais souvent mises sous le boisseau par les dirigeants de presse et les journalistes eux-mêmes. Parmi celles-ci, on peut en particulier citer l’éducation aux médias, les relations avec le public, les garde-fous contre les pressions politiques et industrielles ou encore une culture entrepreneuriale où l’addiction totale à la publicité et à la subvention cède enfin le pas à une stratégie d’entreprise agile et innovante à l’instar d’un The Economist qui n’a jamais vendu son âme tout en sachant être une marque de presse profitable et capable d’innover.

Ne jamais oublier le lien social

Espérer un monde d’information plus riche qui profitera à tous plutôt qu’une cacophonie abrutissante où chacun s’enferme à double tour

La finalité de cet immense défi de la presse est parfaitement résumée par Patrick Charaudeau, professeur en sciences du langage, qui écrit (14) : « Le discours d’information est la base de la démocratie. Il permet que s’établisse dans les sociétés le lien social sans lequel il n’y aurait point de sentiment d’appartenance identitaire. Les médias sont partie prenante de cette pratique sociale ». Face aux minorités vociférantes à la versatilité toute gauloise et au nombrilisme en mal de notoriété, les médias doivent jouer à fond leur rôle démocratique d’éclairage, de décryptage et d’accès à la compréhension du monde au lieu de surfer au gré des intérêts des politiques, des lobbies catégoriels, de la sacro-sainte audience. En endossant ce rôle, ils ne seront plus perçus comme les complices plus ou moins consentants d’une machine médiatique qui tient les citoyens à l’écart des vrais enjeux.

Puisse ce modeste ouvrage de réflexion et de conviction contribuer à reprendre en main notre liberté de pensée et aiguiser notre esprit critique mais sans sombrer dans le choc frontal d’un communautarisme débridé et stérile, ni entonner la rengaine extrême et sans issue des « tous coquins, tous pourris » à l’égard des médias. Il vise à esquisser des pistes concrètes pour extirper la presse de cette ornière vicieuse où le raisonnement binaire prévaut trop abusivement. Il vise aussi à donner des clés de compréhension autant à ceux qui conspuent un peu trop facilement les journalistes qu’à ces derniers dont la boussole éditoriale semble s’être sérieusement démagnétisée. Enfin, pour la génération numérique qui va prendre le relais, j’ose aussi lui espérer un monde d’information plus riche qui profitera à tous plutôt qu’une cacophonie abrutissante où chacun s’enferme à double tour dans sa « vérité d’airain » et cherche à intoxiquer l’autre à force de crier plus fort.

Références

1 – Hal Varian – « Newspaper economics : online and offline » – Google Public Policy Blog – 9 mars 2010
2 – Sophie Coignard, Alexandre Wickham – L’Omerta Française – Albin Michel – 1999
3 – Paul Moreira – Les nouvelles censures – Robert Laffont – 2007
4 – Pierre Servent – La trahison des médias – Bourin Editeur – 2007
5 – Guy Birenbaum – Délits d’initiés, mes soupçons de citoyen – Stock – 2004
6 – Pierre Péan et Philippe Cohen – La face cachée du Monde – Mille et Une Nuits – 2003
7 – Jean Nouailhac – Les médiacrates – L’Archipel – 2008
8 – Denis Muzet – La mal-info – L’Aube – 2006
9 – Philippe Cohen, Elisabeth Levy – Notre métier a mal tourné – Mille et Une Nuits – 2008
10 – Patrick Le Bel – Madame, Monsieur, Bonsoir … – Panama – 2007
11 – Albert du Roy – La mort de l’information – Stock – 2007
12 – Visiter le site www.magazinedeathpool.com
13 – Visiter le site www.futureexploration.net et la rubrique « Newspaper extinction timeline »
14 – Patrick Charaudeau – Les médias et l’information – L’impossible transparence du discours – De Boeck – 2002 –



2 commentaires sur “Exclusif ! A lire l’avant-propos du futur livre du Blog du Communicant 2.0

  1. Elisabeth Holmes  - 

    Olivier — Je suis d’accord, bien sur que nous avons besoin des journalistes ! Des bons ! Je lirai ton livre avec d’autant plus d’intérêt que je connais ton expérience en tant que journaliste, communicant et pro du web 2.0.

    1. Olivier Cimelière  - 

      C’est gentil ! Pour autant, ce livre ne se veut pas comme un manifeste qui sait tout mais surtout comme une réflexion pour que le journalisme puisse continuer à oeuvrer pour la démocratie qui est bénéfique à tous … C’est juste ma petite voix d’ancien journaliste et de communicant chevronné que je voulais partager !:-)

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