Et si on arrêtait de transformer Steve Jobs en icône du management ?

Désolé par avance de chiffonner les Applemaniacs dévoués et les commentateurs en pamoison devant la stature de Steve Jobs mais je ne peux m’empêcher d’être effaré par le tombereau de louanges emphatiques qui a suivi le décès du créateur d’Apple. Autant l’homme a incontestablement révolutionné l’industrie high-tech sous toutes ses coutures, autant son style de management et son leadership autoritaire ont été globalement escamotés dans l’avalanche d’articles et de billets publiés sur le sujet.

Un succès de marque ne doit pas devenir forcément un modèle de management à révérer en dépit du succès commercial avéré et du mythe ineffable que la Pomme engendre depuis des décennies. Or, à lire çà et là les témoignages de ceux ayant côtoyé l’idole, on a véritablement le sentiment que Steve Jobs est en passe de devenir le Mahatma Gandhi du management. En d’autres termes, on n’est plus très loin du gourou dont on relira longtemps après les oracles pour présider aux destinées d’une entreprise et de ses équipes. Si on se calmait un peu ?

Saint Steve, priez pour nous !

Dans un Apple Store, des fans laissent leurs condoléances

Ainsi, l’ancien patron d’Apple France, Jean-Louis Gassée, n’hésite-t-il pas à déclarer au magazine Fortune que son mentor était un génie frisant la perfection (1) : « Il avait raison presque à chaque fois et même lorsqu’il avait tort. Les démocraties ne font pas de superbes produits. Vous avez besoin pour çà d’un tyran compétent ».

Dans la Silicon Valley, les concurrents ne sont pas en reste pour célébrer avec dévotion cette implication extrême que Steve Jobs développait à l’encontre du moindre détail. Le magazine économique Challenges raconte notamment une anecdote édifiante du pouvoir de fascination qu’a laissé le démiurge de Cupertino à l’égard de Vic Gundotra, un des plus hauts membres du comité de direction de Google. Lors d’une messe dominicale, ce dernier reçoit un appel masqué. A peine l’office achevé, Vic Gundotra consulte sa messagerie. Il s’agit de Steve Jobs qui s’inquiète de la couleur du « O » du logo Google d’une application iPhone.

Impressionné par tant de souci du détail, Vic Gundrota se fend d’un hommage vibrant sur son blog (2) : « Quand je pense au leadership, à la passion, au souci du détail, je pense à cet appel de Steve Jobs ». Pas de doute, le mythe Jobs est bel et bien lancé par delà sa propre mort.

Mythe ne fait pas vérité !

Pour Roland Barthes, le mythe est générateur d’une doxa avec ses codes et ses signes qui alimenteront et consolideront la perception de l’objet, la marque ou la personne en question

En 1957, le sémiologue Roland Barthes écrivit Mythologies, un ouvrage absolument fondateur sur la façon dont les mythes naissent, s’imbibent et finissent par modifier les perceptions collectives qu’a la société d’un objet, d’un être, d’une marque ou d’un personnage. A ce propos, il notait (3) « le divorce accablant de la mythologie et de la connaissance. La science va vite et droit en son chemin ; mais les représentations collectives ne suivent pas, elles sont des siècles en arrière, maintenues stagnantes dans l’erreur par le pouvoir, la grande presse et les valeurs d’ordre ». En relisant l’abondante homélie médiatique qui a suivi la disparition de Steve Jobs, l’analyse de Roland Barthes demeure diablement d’une acuité très actuelle. Selon lui, le mythe est générateur d’une doxa avec ses codes et ses signes qui alimenteront et consolideront la perception de l’objet, la marque ou la personne en question.

Plus prosaïquement, on a coutume de dire que les morts deviennent soudainement des êtres parfaits dont la vie n’a été qu’une succession de belles et bonnes actions, reléguant dans les oubliettes, les facettes moins avouables et les secrets de famille. Steve Jobs n’échappe pas à cette propension d’autant que les produits issus de son imagination créative et disruptive ont effectivement bousculé nos modes de vie, de travail et de dialogue. C’est incontestable et de ce point de vue-là, cela constitue même une avancée appréciable tant l’accès à la connaissance et au partage a acquis une dimension nouvelle là où jusqu’à présent, une certaine aristocratie sociale le détenait et le planquait même jalousement.

Les « Saintes Ecritures » arrivent !

La biographie officielle sort le 24 octobre aux Etats-Unis. Rupture de stock programmée !

Depuis la mort de Steve Jobs, on ne compte plus les articles qui décortiquent la pensée du maître pour en extraire la substantifique moëlle et la retranscrire sous d’inflexibles tables de lois pour qui voudrait réussir comme le fondateur d’Apple. Par exemple, le magazine américain Entrepreneur a-t-il compilé les 7 clés du succès selon Steve Jobs (4). Un parfait petit bréviaire dans la droite ligne de l’image décalée et ascétique que se plaisait à cultiver à l’envi le père du MacIntosh, de l’iPhone et autres objets incontournables de l’aficionado geek.

Tout cela en attendant la « bible » ultime que tout adorateur du brillant maniaque se devra de posséder : la biographie sobrement intitulée Steve Jobs qui doit sortir le 24 octobre aux Etats-Unis avant d’être ensuite diffusée dans la foulée dans le monde entier (En France, le 2 novembre chez JC Lattès). Se sachant condamné par son inexorable maladie, Steve Jobs avait entrepris depuis deux ans l’écriture de son extraordinaire parcours de vie avec le concours de Walter Isaacson, ancien rédacteur en chef du Time et auteur des bios d’Albert Einstein, Benjamin Franklin et Henry Kissinger.

L’engouement est en tout cas déjà là : les précommandes de l’ouvrage ont bondi de 39.600% aux États-Unis en quelques heures sur Amazon (5). Cette biographie autorisée ne sera d’ailleurs pas le seul missel publié. Dès le 27 octobre sortira en France, iSteve : Intuitions, sagesses et réparties de Steve Jobs, un recueil de citations publié chez Michel Lafon. Il y a fort à parier désormais que les producteurs d’Hollywood s’arrachent déjà furieusement les droits pour réaliser le long métrage sur la légende high-tech qu’est Steve Jobs.

Manager, vous avez dit manager ?

Le management en étoile d’Apple est d’une orthodoxie quasi-militaire (dessin www.manucornet.net)

Que les fans de Steve Jobs veuillent continuer à s’abreuver du mythe peut à la limite se concevoir. Mais que celui-ci passe progressivement pour un modèle de patron qui devrait inspirer les générations actuelles et futures de dirigeants d’entreprise a de quoi susciter une inquiétante perplexité. Même s’il se peut se targuer d’évidents succès interplanétaires, Steve jobs n’était pourtant pas vraiment un manager dont le style de leadership est exportable et même souhaitable pour la performance d’autres entreprises.

Quelques journalistes ont osé braver l’imagerie iconique du maître ès design et informatique pour rappeler quelques vilains traits de management. Son autoritarisme patenté et son exigence de soumission étaient d’ailleurs assumés par l’impétrant lui-même (6) : « Quand je recrute un senior, la compétence prime. Ils doivent être vraiment intelligents. Mais le vrai enjeu pour moi est de savoir s’ils vont tomber amoureux d’Apple. Parce que s’ils tombent amoureux d’Apple, tout le reste suivra ». Autrement dit, lorsque vous signez votre contrat avec Apple, vous entrez en religion et devez y consacrer votre énergie en exclusivité.

Une exclusivité proche de la philosophie sectaire que l’organigramme maison se chargeait de consolider à la moindre occasion. Aucune décision, petite ou grande, ne devait échapper à l’approbation ou au rejet de Steve Jobs qu’il s’agisse d’un dépôt de brevet stratégique ou de changer le look des navettes transportant les salariés. Ce management en étoile était d’une orthodoxie quasi-militaire et obsédée par le culte du secret. A tel point que le site spécialisé américain Gizmodo avait raconté en 2009 qu’un commando interne baptisé « Worldwide loyalty team » était chargé de repérer les collaborateurs déviants (7).

H comme humain ? Syntax Error

Steve Jobs n’a jamais proféré la moindre parole envers les salariés mécontents de Foxconn, le sous-traitant d’Apple fabricant tous les terminaux de la marque

Résultat de ce mode de management : nombreux étaient les collaborateurs terrorisés à l’idée de se retrouver seul avec le grand patron, de se faire étriller en public ou piéger par une question vicieuse. Lorsqu’il travaillait à la rédaction de son best-seller du management Objectif Zéro Sale Con, le professeur de l’université de Stanford, Robert Sutton, se remémore notamment avec une certaine pointe d’ironie, la masse de personnes issues d’Apple prêtes à témoigner des sales histoires internes (8).

De fait, Steve Jobs était un patron pouvant être odieux, manichéen et évacuant sur le champ tout salarié lui déplaisant. Dans son logiciel interne, l’humain était réduit à la portion congrue. Plusieurs médias ont ainsi rapporté l’absence de dons aux œuvres de charité (contrairement à Bill Gates qui y consacre des millions et un engagement sans faille) ou son refus pendant longtemps de verser une pension alimentaire à sa première fille alors qu’il était déjà multi-milliardaire.

De même, on ne l’a jamais entendu proférer la moindre parole envers les salariés de Foxconn, le sous-traitant d’Apple fabricant tous les terminaux de la marque. Des salariés dont onze se sont suicidés en 2010 pour dénoncer des conditions de travail dantesques et injustes. Lui qui était pourtant si prolixe pour pleurer devant son slogan « Think different » (9) ou délivrer une leçon de vie émouvante aux étudiants. Mais chassez le naturel, il revient au galop !

Les biographes non-officiels de Steve Jobs s’en souviennent encore (10). Lorsque Jeffrey Young et William Simon publient iCon, ils n’hésitent pas à écorner l’image de Steve Jobs en révélant notamment son allergie inextinguible à la moindre contestation. En représailles, ce dernier avait banni tous les livres de leur éditeur de la boutique iBookstore.

Conclusion – Les managers les plus brillants ne sont pas forcément les meilleurs

Steve Jobs ou le management totalitaire

C’est un fait. Notre société ultra-médiatique aime à se repaître de héros hors normes que même le meilleur des storytellings à l’américaine ne saurait accoucher. A cet égard, le parcours de Steve Jobs est hallucinant. Pour autant, il serait largement souhaitable de ne pas succomber comme des groupies hallucinées et de savoir dissocier l’évident succès technologico-commercial d’Apple et le management pratiqué au sein de l’entreprise. D’autant que dans la Silicon Valley et ailleurs, les clones managériaux à la Steve Jobs abondent dans toutes les strates des entreprises. Certes, ils sont moins connus mais se réfèrent justement à des modèles comme Jobs pour justifier un management par la terreur et un leadership totalitaire.

Or, question management, l’OS de Steve Jobs est à proscrire même si Apple a connu ses plus belles années sous sa houlette. Comme le préconise le cabinet Mozart Consulting, les entreprises ont tout à gagner à « appréhender l’humain dans l’économique » (11) et non l’inverse.

Une vertueuse analyse qui fait écho à un prophétique article de Harvard Business Review qui pose en 2009 avec finesse le diagnostic (12) : « Nous survalorisons peut-être trop le fait que les PDG très connus sont ceux qui font bien (ceux qui font les couvertures de magazine, qui parlent de leurs prochains grands chantiers et qui expliquent leurs résultats court-terme). Nous perdons ainsi de vue (et les gros titres aussi) des PDG moins connus mais qui font aussi bien tout en se consacrant à créer de la valeur sur le long terme. Sans doute est-il temps de rediriger notre attention et de commencer à saluer une espèce différente de PDG ». Un constat qui n’en fait plus que sens devant l’idolâtrie actuelle d’un Steve Jobs où même son célèbre pull noir avec col cheminée devient un relique qu’on s’arrache !

Sources

(1) – Joseph Macé-Scaron – « Steve Jobs, saint patron du capitalisme charmeur » – Marianne – 15 octobre 2011
(2) – Gilles Fontaine – « Steve Jobs, la passion créatrice d’un brillant maniaque » – Challenges – 13 octobre 2011
(3) – Roland Barthes – Mythologies – Seuil – 1957
(4) – Carmine Gallo – « Steve Jobs and The 7 rules of success » – Entrepreneur – 14 octobre 2011
(5) – Benjamin Ferran – «Une biographie officielle de Steve Jobs comme testament » – Le Figaro.fr – 8 octobre 2011
(6) – Gilles Fontaine – « Steve Jobs, la passion créatrice d’un brillant maniaque » – Challenges – 13 octobre 2011
(7) – Laurance N’Kaoua – « Un manager adulé et craint » – Les Echos – 8 octobre 2011
(8) – Louise Couvelaire – « Saint Jobs, priez pour nous » – M le magazine du Monde – 15 octobre 2011
(9) – Gilles Fontaine – « Steve Jobs, la passion créatrice d’un brillant maniaque » – Challenges – 13 octobre 2011
(10)  – Natacha Tatu – « La mystique Jobs » – Le Nouvel Observateur – 13 octobre 2011
(11)  – Muriel Jasor  – « Pour en finir avec les idées reçues » – Les Echos – 3 septembre 2011
(12) – Herminia Ibarra and Morten T. Hansen – « Do we celebrate the wrong CEOs ? » – Harvard Business Review – 14 décembre 2009

A lire en complément

– Ryan Tate – “ What everyone is too polite to say about Steve Jobs ?” – Gawker – 11 octobre 2011
– Jean-Marc Proust – “Chaque génération a les deuils qu’elle mérite » – Slate.fr – 7 octobre 2011
– Benoît Arnaud – « Steve Jobs : le management par le perfectionnisme » – Blog Management de l’EDHEC – 6 octobre 2011



14 commentaires sur “Et si on arrêtait de transformer Steve Jobs en icône du management ?

  1. Francois  - 

    Steve jobs etait surtout une icone du management et il n’a pas revolutionné la high tech mais l’a democratisée. Il a su créé une entreprise et la rendre extremement profitable alors qu’elle etait sur le point de mourir. N’importe quel actionnaire voudrait un steve jobs comme ceo. Meme si apple n’a pas tout invente, steve avait un flaire pour connaitre l’etat de l’art technologique. Il a commence par vendre des blue box alors que le truc venait juste de sortir, il a visite le Xerox PARC, il a su combiner un lecteur MP3 (ipod) avec un site marchand (itunes) et les 2 existaient deja a l’epoque, Apple n’a pas les brevets sur le multi touch mais l’a fait decouvrir a tout le monde. Meme l’echec du Newton a permis la creation de la societe ARM qui est une grande reussite. Si steve jobs est « idolatre » c’est justement par ce que c’est une icone du management qui a melange sa personne avec la marque de l’entreprise. Et meme si il est vrai que sur le plan personnel (il a quand meme laissé sa propre fille et sa mere dans le denuement pendant 2 ans) c’etait quelqu’un de peu recommandable, il y a aussi des exemples de devotion chez apple. Par exemple Ron Avitzur qui a continue a venir travaille pendant 1 an pour terminer son projet qui avait ete annule et sans etre paye.

  2. douguipat  - 

    L’analyse est très intéressante.
    On sait tous que Steve jobs n’était pas un enfant de coeur.
    Ce billet aurait très bien pu être publié avant sa mort et aurait été tout aussi pertinent !

    Mais il est vrai que les produits de la Pomme ont révolutionné notre société tout autant que ceux de Google 😉 .

    Je ne suis pas un fan de Steve mais il a su incarner une marque et la pousser à devenir une multinationale comme il y en a peu.
    Ses traits de caractère sont ce qu’ils sont mais on ne peut lui reprocher de n’avoir jamais abandonné et toujours suivre ses convictions même quand il était au plus mal.

    Sa manière de faire est contestable mais ce trait de caractère est indispensable dans la vie. Ne jamais baisser les bras et croire en ce qu’on veut accomplir est une chose qui n’est pas facile à accomplir surtout lorsqu’on touche le fond. Il a su le faire. Il s’est relevé. Certes, il y a l’art et la manière. Il n’avait pas les deux tout comme beaucoup de dirigeants.

    Toujours est-il qu’il a contribué à l’avancée technologique de notre société et pousse d’autres géants a toujours se dépasser => la magie d’Apple.

    Il y a beaucoup de vrais dans cet écrit et le débat pourrait tourner en rond un long moment.
    Mais il restera un grand homme et a su incarner la Pomme bien que moultes de ses pratiques soient contestables.

    N’oublions pas que beaucoup de succès se sont construits sur de simples convictions personnelles menées à terme. La majorité critique mais la force de ce sentiment intérieur est plus fort que tout. Il le ressentait. Il ne pouvait faire autrement.

    La recherche du perfectionnisme est souvent incompatible avec certaines valeurs, Et Apple ne serait pas parvenu à un tel succès sans lui. Mais il est vrai qu’à terme la Pomme devra bien « s’humaniser ».

    Bref je pourrai écrire des heures mais je m’arrête. Machiavel avait d’ailleurs déjà amorcé ce débat mais aucune solution proposée ne fait l’unanimité!

    A quand un billet sur Mark Zuckerberg ? 😉

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci Prince du Web de ce long et précis commentaire auquel je souscris pleinement !

      Pour info, je ne suis plus chez Google depuis quelques semaines. D’où une certaine liberté de ton retrouvée ! Il est évident que je n’aurais pu commettre un tel billet sans mettre en porte-à-faux mon (ex) entreprise et par la même occasion, moi-même ! Google et Apple sont tout de même des concurrents dans un certain nombre de domaines ! Voilà pour la petite histoire chronologique !

      Je retiens la suggestion pour Zuckerberg et vais d’ailleurs aller à la pêche aux infos sur son style de management ! Peut-être s’ensuivra-t-il un billet aussi ! Merci en tout cas pour ton intérêt et ta fidélité de lecteur !

      1. douguipat  - 

        Je ne savais pas et bonne continuation alors où que ce soit ! Et tu publié d’ailleurs un peu trop de tweet sur Google malgré mon admiration pour cette entreprise 😉

        Et pour Mark, je me rappelle d’une phrase assez explicite :  » They trust me! Dumb fucks  »

        Ce n’est pas un ange non plus.

        La gloire et le succès ont souvent des chemins sinusoidals (pas certain que ça se dit mais bon! )

        1. Olivier Cimelière  - 

          Ce qui m’est arrivé n’est pas lié à l’entreprise en tant que telle mais à 2 personnes en particulier qui auraient agi à mon égard de la même manière ailleurs et quel que soit le secteur. Je continue d’apprécier les outils Google même si j’ai forcément plus de recul !

          Bien noté en tout cas pour le cas Zuckerberg ! Rintintin se met en chasse 🙂 Amicalement

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour Edouard

      Désolé ! Je découvre votre intéressant commentaire seulement … maintenant ! Je connaissais effectivement ce discours. Sur le fond et dans les valeurs qu’il prône, il est magnifique et humaniste. C’est exactement ce qu’un bon manager doit impulser au sein d’une équipe, apprendre à apprendre, écouter activement les idées (même les plus décalées), savoir recadrer lorsque nécessaire, générer l’enthousiasme et l’envie de créer et plus que tout respecter l’humain.

      Je souscris donc pleinement à ce discours. L’ennui, c’est que Steve Jobs ne pratiquait pas comme on dit en anglais le « Walk the Talk ». En d’autres termes, pratiquer ce que l’on prêche. C’est sur ce point précis que je suis mal à l’aise lorsqu’on en fait un manager iconique. Le succès d’Apple est indéniable et a tenu tant que Jobs était à la barre. On aime ou on n’aime pas ce style de leadership (personnellement je n’aime pas !) mais maintenant vers qui vont se tourner les employés dévôts ? Tim Cook ? Jonathan Ives ? Et si ces derniers appliquaient justement les principes humanistes et un peu trublions énoncés par leur maître ? Apple pourrait en sortir encore plus fort non ?

      En tout cas, c’était un plaisir que de partager cette conférence à l’ESJ ce matin. J’ai trouvé l’ensemble des questions d’un très bon niveau. C’est encourageant de voir des futurs jeunes journalistes à l’esprit aussi alerte et déjà bien informés ! Confraternellement,
      Olivier

  3. Chob  - 

    Merci pour cet article qui va à contre-sens des éloges unanimes. Pourtant, à choisir, je préfère un dirigeant tyrannique et brillant à une personne adorable et incompétente. J’ai aussi vécu l’extrême, le tyrannique incompétent, c’est-à-dire tyrannique parce qu’incompétent 😉
    Pour continuer à admirer M. Jobs, il faut probablement distinguer l’oeuvre de l’homme. C’est vrai aussi pour de nombreux écrivains ou autres artistes…

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour Cholab !
      Evidemment que la personnalité adorable et incompétente pose problème ! Et nécessite qu’on traite le cas avec fermeté mais dignité !
      Mais je confirme qu’il existe aussi des dirigeants brillants, empathiques qui n’ont pas besoin d’inspirer la frousse pour motiver des équipes. J’ai eu la chance de travailler 4 fois pour ce type de profil ! Un régal car on a envie du coup de donner encore plus, d’oser des idées, de partager puis de se fixer des objectifs communs. C’est quand même plus épanouissant qu ‘un tyran si intelligent soit-il qu’on n’ose même plus interpeler tellement il ne supporte que d’autres puissent penser !
      Et enfin, d’accord avec le côté Janus des écrivains, artistes … J’ajouterai aussi les politiques, les sportifs. Entre l’image réelle et l’image projetée, il y a quelquefois un sacré trou que les plus fans ne veulent ni voir ni admettre !

  4. reis  - 

    « La mort est un destin que nous partageons tous. Personne n’y a jamais échappé. Et c’est bien ainsi, car la mort est probablement ce que la vie a inventé de mieux. C’est le facteur de changement de la vie. Elle nous débarrasse de l’ancien pour faire place au neuf. »Steve Jobs

    J’espère que tu profiteras de cette remarque pour donner autant d’attentions critiques aux PDG vivants…qui le méritent bien !

    Quant au management, je trouve qu’on en revient au cliché de l’humanité disparue chez le travailleur victime disparaissant au profit d’un puissant égo…. quant aux arguments de démystifications en donnant en exemple des éléments persos…mouaih…Mais tout le monde s’accorde à le penser et le dire : de l’humain ! Mais quels humains pour quels types de travail.

    Et oui, il avait bien raison de vouloir des personnes qui aient le même rêve que lui dans ses équipes. Moi je ferai pareil, pas toi? Tout le monde n’a pas l’âme d’un meneur, lui oui et tant d’autres avec la personnalité qui va avec. Ses travers étaient aussi ses qualités pour accomplir un tel travail.
    Quant à ceux qui se réfèrent à Jobs pour plaquer leur totalitarisme, ça ne marche que sur des esprits maléables…

    Bref, Je me demande donc le pourquoi de cette chronique.J’aurais préféré un vivant !

    1. Olivier Cimelière  - 

      Si j’ai consacré ce billet à Steve Jobs et pas à un PDG vivant, c’est qu’aucun n’a atteint ce stade d’idolâtrie et de quasi gourou. Je ne conteste absolument pas la magie qu’Apple a apportée. La meilleure preuve est que nous avons nous-mêmes plein de terminaux sous le sigle de la pomme à la maison !
      En revanche, je suis très bien placé pour connaître les véritables ravages qu’un ego surdimensionné (si brillant et innovateur soit-il) peut engendrer parmi les gens qui travaillent pour lui. Cela fait plus de 20 ans que j’évolue dans le monde des grandes entreprises et des grands patrons. J’en ai connu des brillants qui n’avaient pas besoin d’écraser ou de pratiquer la terreur managériale pour convaincre et entraîner leurs équipes dans leur sillage avec succès à la clé. Au contraire, ils étaient même demandeurs de dialogue, pratiquaient l’écoute active et toléraient qu’on puisse avoir des vues divergentes sans que cela nuise à la créativité et à la performance de l’entreprise. J’ai adoré travailler sous la houlette de ces dirigeants.
      Ensuite, j’ai connu aussi ceux qui pensent que seules leurs convictions, leurs pensées sont les bonnes et que les autres sont là uniquement pour les réaliser. Cela peut marcher effectivement à condition que les suiveurs acceptent l’aliénation de leur propre personne pour se consacrer exclusivement à leur dévotion. C’est là où Steve Jobs a été très fort. Aujourd’hui, un Jeff Bezos d’Amazon ou un Larry Ellison d’Oracle pratiquent peu ou prou le même « management ». La limite de cet exercice est qu’en cas de coup dur, le pseudo-rêve qui soudait tout le monde éclate bien souvent.
      On peut être meneur sans être totalitaire. On peut fédérer autour de soi tout en acceptant la différence. J’en suis persuadé puisque j’ai eu le bonheur d’évoluer avec des profils pareils. Tout comme j’ai eu le malheur (et la douleur psychologique) d’être fracassé par des egos tellement sûrs de leur incomparable supériorité qu’ils brisaient toute personne jugée « déviante » à leurs yeux.
      Il faut avoir vécu en entreprise pour comprendre que cette vénération est dangereuse et pour certains, sources de détresse et de suicides. Le rêve n’autorise pas tous les excès !

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