Centrales EDF vs Greenpeace : Portes ouvertes et communication verrouillée

La filière nucléaire tricolore se serait probablement bien passé du nouveau coup d’éclat des activistes de Greenpeace le 5 décembre dernier. En s’introduisant frauduleusement dans les centrales d’EDF de Nogent-sur-Seine et Cruas, ceux-ci ont mis en évidence les carences de l’énergéticien français en matière de sécurisation des sites nucléaires, surtout si pareille intrusion avait été perpétrée par des terroristes aux visées nettement plus belliqueuses.

A l’offensive heuristique choc des activistes écologistes, ont aussitôt répliqué de succinctes communications d’EDF minimisant la portée des faits. Le débat déjà bien exacerbé ces dernières semaines autour de l’atome civil ne risque guère d’y gagner en clarté et en sérénité.

Le fond de l’air est « nucléaire » !

Tchernobyl, Fukushima, l’air du temps est à la défiance pour le nucléaire

Ce n’est un enseignement pour personne. Greenpeace est passé orfèvre en la matière dès qu’il s’agit de monter des opérations marquantes pour alerter l’opinion publique sur telle ou telle atteinte environnementale. A ce jeu de mise sous tension médiatique, le nucléaire a toujours fait partie des gibiers de choix de l’organisation verte qui n’a eu de cesse de dénoncer les dangers du nucléaire. Il faut bien avouer que l’air du temps n’a jamais été aussi propice pour relancer la machine activiste verte depuis que la catastrophe de Fukushima a confirmé cet intrinsèque tropisme des ingénieurs du nucléaire à occulter, voire à mentir sur les véritables conséquences sanitaires et écologiques de la fusion du cœur de plusieurs réacteurs. Un tropisme qui tend à laisser une désagréable impression de déjà-vu avec le nuage de Tchernobyl en … 1986 !  Même si d’indéniables progrès ont été accomplis dans le sens d’une communication un peu plus ouverte sur la question, les acteurs de l’atome ont toujours du mal à desserrer le corset dès lors qu’ils sont interrogés un peu impétueusement.

Ensuite, à cette suspicion sociétale récurrente envers la sécurité des centrales nucléaires, s’est ajouté depuis plusieurs mois en France un virulent débat autour de l’opportunité de démanteler le parc hexagonal à l’instar des voisins d’Outre-Rhin ou au contraire de le conserver pour poursuivre la politique d’indépendance énergétique qui a toujours orienté le programme nucléaire civil français depuis la première centrale de Brennilis en Bretagne en 1962. Un débat qui est d’autant plus monté en intensité qu’Europe-Ecologie-Les Verts en a fait un instrument de pression sur le Parti Socialiste partagé sur la question et que l’UMP n’a pas hésité à attiser les braises dans l’autre sens en parlant de « retour à la bougie » si le nucléaire devait être abandonné.

Fukushima a confirmé cet intrinsèque tropisme des ingénieurs du nucléaire à occulter, voire à mentir sur les véritables conséquences sanitaires et écologiques de la fusion du cœur de plusieurs réacteurs

Le débat binaire en action

Médiatiquement, le sujet nucléaire se résume souvent à une baston CRS-écolos

En prélude à l’infiltration des centrales nucléaires de Nogent-sur-Seine et Cruas, les militants écologistes avaient une première fois poussé leurs pions avec leurs actions de blocage du convoi Castor transportant des déchets radioactifs vitrifiés depuis le centre de retraitement de La Hague jusqu’à sa zone de stockage en Allemagne. Les axes de communication empruntés par les deux camps étaient déjà un prélude assez symptomatique de l’impossible dialogue qui perdure. D’un côté, Areva usait de l’argumentaire technique en assurant que les normes des containers étaient conformes aux normes de sureté de l’Agence internationale de l’énergie atomique. De l’autre, les  opposants clamaient la haute dangerosité du convoi. Quant à la couverture médiatique de l’événement, elle s’est essentiellement focalisée sur les images de cordons de CRS délogeant à la matraque des manifestants allongés sur les rails ou enchaînés aux wagons. Difficile dans ces conditions de se forger un avis éclairé sur la question tant les postures sont aux antipodes les unes des autres et que le sujet se résume visuellement à une baston CRS-écolos.

C’est exactement ce canevas médiatique qui s’est rejoué avec la pénétration non-autorisée des deux centrales d’EDF par Greenpeace. Un canevas qui s’inscrit de surcroît dans un contexte plutôt vicié entre le n°1 de l’énergie française et la figure de proue des combats environnementaux. En avril 2011, EDF a en effet été condamné par la justice à une amende de 1,5 million d’euros pour avoir commandité une mission d’espionnage de leurs opposants verts auprès d’une officine de surveillance privée. Dans une telle défiance ambiante, il est alors bien ardu de renouer les fils du dialogue et de confronter intelligemment les arguments.

Enfin, dernier élément relativement passé sous silence dans les médias mais habilement exploité par la suite par les écologistes : les inspections menées par deux parlementaires UMP dans les centrales de Paluel et du Blayais (1). Le 1er décembre, le duo a demandé à faire réaliser des exercices de sécurité dans les locaux afin de tester la fiabilité des dispositifs de sécurité. Les conclusions de leur rapport laissent prédominer un sentiment gênant d’improvisation et d’impréparation plutôt flagrant.

Anxiogène maximal contre techno minimal

Suspicion sociétale récurrente envers la sécurité des centrales nucléaires

Avec une telle toile de fond, le scénario monté par Greenpeace partait avec une longueur d’avance que l’ONG n’a pas manqué d’exploiter ! A Nogent-sur-Seine, les neuf intrus n’ont eu aucune difficulté à franchir les grillages et investir le site même s’ils avaient été détectés par les caméras de surveillance. Ensuite, il s’est écoulé de très longues minutes avant que les indésirables ne soient au final interceptés. Quant au site de Cruas, ce fut une longue partie de cache-cache de plusieurs heures pour retrouver les deux importuns planqués dans des sacs !

Au bilan des déclarations, Greenpeace crie victoire estimant que (2) « l’opération était réussie » et qu’elle souligne « la faiblesse des installations, où on entre comme dans un moulin, et la faiblesse de l’audit sur la sécurité de ces installations qui doit être publié en janvier et ne prend pas en compte les risques humains et terroristes, tels qu’une intrusion, une explosion chimique industrielle ». En exhibant un tel scénario (plausible de surcroît), on n’ose imaginer le pire.  En réplique, EDF juge avoir maîtrisé de bout en bout les choses en déclarant et refuse d’entrer dans le jeu catastrophiste de Greenpeace (3) : « On a vu tout de suite qu’ils n’avaient pas d’armes (…) Pour nous, il n’y a pas de dysfonctionnement. Une fois que les personnes se sont introduites, elles ont été détectées et suivies, et dès lors qu’il s’agit de personnes aux intentions pacifiques, il faut intervenir dans le calme ».

Ces axes de communication irréconciliables se retrouvent sur les sites Internet de deux protagonistes et sont diablement révélateurs de l’impossible dialogue de deux camps figés sur leurs positions. Le jour de l’annonce de l’intrusion, le site de Greenpeace n’a pas hésité à proposer un live-tweeting des événements avec photos et vidéos à l’appui des « exploits » des intrus. Une stratégie d’autant plus payante en termes d’impact qu’EDF s’est astreint au service minimum avec la diffusion de deux communiqués technocratiques de quelques lignes sur l’espace presse du site corporate. Mieux, le site dédié d’EDF intitulé « En direct de nos centrales » a réussi le tour de force à ne même pas mentionner les deux péripéties survenues à Nogent et Cruas. Les dernières actus remontent au 2 décembre !

Conclusion – Si on passait du frontal au loyal ?

Face à une ligne anxiogène cultivée à l’envi par Greenpeace et ses alliés, il est vain d’opposer un rationalisme contempteur et pétri de certitudes

Médiatiquement parlant, Greenpeace a gagné haut la main la bataille et a réussi à augmenter le trouble déjà largement palpable autour du nucléaire en France. Pour autant, on peut malgré tout s’interroger sur la pertinence globale de cette stratégie qui occulte des pans entiers de la problématique du nucléaire français, notamment la question du coût économique de l’énergie en cas d’abandon au profit du renouvelable.

Certes, les déchets radioactifs et les risques d’explosion ne doivent pas faire l’objet d’un déni radical et incantatoire comme trop souvent adopté par les professionnels du secteur. Ces derniers gagneraient même amplement (surtout au sein d’une opinion soit totalement déboussolée, soit carrément acquise à l’une ou l’autre des hypothèses) à faire ouvre d’une transparence plus affirmée au lieu de slalomer entre silence opportun et jargon politiquement correct.

Face à une ligne anxiogène cultivée à l’envi par Greenpeace et ses alliés, il est vain d’opposer un rationalisme contempteur et pétri de certitudes. Par son minimalisme communicant, EDF n’a guère rendu service au débat du nucléaire. Tant que le verrouillage discursif continuera, il est fort à parier que Greenpeace enfoncera encore plus le coin de la peur. Pas sûr que le débat démocratique n’en sorte grandi en pertinence !

Sources

(1) – Hervé Nathan – « Nucléaire : les députés plus facétieux que Greenpeace » – Marianne.fr – 5 décembre 2011
(2) – « Nucléaire : EDF dédramatise, Greenpeace savoure » – France Soir.fr – 5 décembre 2011
(3) – Ibid.



Un commentaire sur “Centrales EDF vs Greenpeace : Portes ouvertes et communication verrouillée

  1. BISMUTH  - 

    Un grand MERCI à Greenpeace pour ce coup d’éclat!!!
    Une semaine plus tôt un Justicier déguisé en clown passait des heures à faire ses pitreries filmées à quelques mètres de la centrale sans que personne là encore ne s’en rende compte!
    Pour preuve voici le lien des aventures du Justicier: http://www.dailymotion.com/video/xmzj94_m-loyal-episode-7-l-energie-propre_shortfilms

    Comme Greenpeace ou Monsieur Loyal mettez vous au vert, n’hésitez plus!
    Nogent sur Seine ne se trouve qu’à 1h de Paris!

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