6èmes Etats de la France : «A la croisée des chemins»

Entre une dégradation du triple A de la performance économique du pays et la perspective des élections présidentielles en mai prochain où l’enjeu de la dette publique sera crucial, jamais la France semble n’avoir été autant entre le marteau et l’enclume. C’est autour de cette délicate équation socio-économico-politique que s’est déroulée la 6ème édition des « Etats de la France » le 6 décembre à Paris. Experts, analystes, penseurs, entrepreneurs et journalistes ont débattu à livre ouvert de l’avenir de la France dans la compétition mondiale.

Doit-on s’aligner sur les objurgations pessimistes qui estiment inéluctable le point de non-retour et d’écroulement ? Ou alors peut-on espérer voir la nation française rebondir et reprendre en main son destin ? Voici une petite synthèse forcément un peu réductrice et subjective tant les interventions ont été abondantes en perspectives et points de vue.

La crise oui mais laquelle ?

C’est surtout le découplage de la croissance européenne face au reste du monde qui constitue le maillon faible

Karine Berger, économiste et auteur de « Les Trente Glorieuses sont devant nous » a d’emblée entamé la discussion sur cette question iconoclaste. La crise sévit mais pas forcément partout et pour tous. La preuve ? L’Europe a enregistré un taux de croissance de 0,4% au 3ème trimestre 2011. Petit bond certes mais pas totalement constitutif d’une crise si profonde. Pour elle, tous les indicateurs n’ont pas viré au rouge. Seuls (mais ils sont d’importance), l’investissement des entreprises et la consommation des ménages ont sérieusement décéléré avec une potentielle crise des liquidités pour 2012.

Michel Didier, président de Coe-Rexecode, s’inscrit dans ce refus d’une vision cataclysmique. A cet égard, il note qu’en dehors de l’Europe, l’économie mondiale aligne en 2011 des taux de croissance en hausse : 3,7% au 1er trimestre, 3,4% au second, 4,1% au troisième et probablement 3,5% pour clore l’année. C’est surtout le découplage de la croissance européenne face au reste du monde qui constitue le maillon faible.

Christian de Boissieu, président du Conseil d’analyse économique, constate un symptôme identique pour les Etats-Unis. Mais au-delà des baromètres économiques, il faut absolument à ses yeux cesser de réviser en permanence les prévisions et de courir après les événements. Une telle attitude risque de nous écarter des enjeux véritables : les problèmes structurels des économies occidentales qui doivent être totalement remis à plat et ne pas être réduits seulement à des indicateurs périodiques.

L’axe franco-allemand et la BCE au cœur de la machine

L’axe franco-allemand est essentiel pour l’Europe mais pas la seule fin en soi

Tous les intervenants de la première table ronde ont fortement insisté sur le rôle crucial du tandem franco-allemand ainsi que le poids de la Banque Centrale Européenne (BCE). Pour Christian de Boissieu, cette dernière doit peser dans les débats financiers de manière plus prépondérante tout comme le Fonds européen de stabilité monétaire (FESM). Ces deux organismes pourraient effectivement contrer plus efficacement les jeux spéculateurs envers l’Euro.

Michel Didier a même poussé la réflexion un cran plus loin en n’hésitant pas à militer pour la fusion des dettes des pays de la zone monétaire afin de créer un marché de la dette Euro. Conservation ou dégradation du triple A, là n’est pas le problème majeur pour lui. Si l’Euro devient une monnaie attractive, alors les perspectives peuvent radicalement changer pour soutenir de grands programmes d’infrastructures ou encore les PME comme le suggère Christian de Boissieu.

Parmi les pistes les plus citées à entreprendre en priorité, on peut retenir le soutien accru aux PME (avec notamment un accès plus grand au crédit)

Toutefois, attention à ne pas se leurrer sur l’axe franco-allemand comme moteur principal, a souligné avec pertinence Tony Blanco, directeur général de Barclays Bank France. Aujourd’hui, il existe un réel risque de divergence des modèles entre les deux pays si rien n’est entrepris pour une plus grande homogénéité. Quand la France s’appuie sur des gains de productivité et la relance de la demande intérieure, l’Allemagne mise aussi sur la productivité mais en se tournant vers l’exportation. Un grand écart que Michel Didier et Karine Berger n’excluent pas si le couple franco-allemand ne s’aligne pas plus solidement l’un à l’autre.

Avec de surcroît une condition essentielle pour Tony Blanco et probablement clé capitale du quinquennat 2012-2017 : apporter une histoire lisible pour inciter les investisseurs étrangers, notamment en France. Parmi les pistes les plus citées à entreprendre en priorité, on peut retenir le soutien accru aux PME (avec notamment un accès plus grand au crédit), la réduction des charges fiscales sur le travail, l’emploi des jeunes, la réduction des inégalités tout en mettant l’accent sur une redistribution plus efficace et moins dispendieuse. Autre idée (pourtant morte née en avril 2007 !) : l’introduction d’une TVA sociale pour financer ces programmes de relance.

Le corps politique français est-il à la hauteur des enjeux ?

Les Français sont politisés mais avec une vision négative et une envie d’en découdre envers les partis classiques soit en s’abstenant massivement, soit en se tournant vers le vote protestataire

Face aux enjeux brossés par les experts économistes, les participants de la deuxième table ronde ont débattu de la capacité des décideurs politiques à s’emparer des initiatives nécessaires et à convaincre l’électorat français. Pour Christophe Barbier, directeur général du Groupe Express Roularta, ce dernier est prêt à entendre un discours de rigueur mais à la condition expresse que la règle des 3 « V » soit pleinement appliquée. Pour le premier « V » comme Vérité, il constate des progrès comme par exemple le discours de François Bayrou qui fut un des premiers à évoquer ouvertement le problème de la dette dès 2007. Pour le second « V » comme Vitesse, cela va requérir une volonté de mettre en place les remèdes tout en dégageant des résultats visibles rapidement. Enfin pour le troisième « V » comme Vision, l’acceptation du corps sociétal ne se fera que si les perspectives sont clairement tracées et ne relèvent pas de la posture tacticienne opportuniste comme cela reste encore le cas.

A cet égard, Pascal Perrineau, directeur du centre de Recherches politiques de Sciences Po, souligne que les fondamentaux ne sont pas très encourageants au sein de la population française. Il note que certes les Français sont politisés mais avec une vision négative et une envie d’en découdre envers les partis classiques soit en s’abstenant massivement, soit en se tournant vers le vote protestataire.

Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos France, partage cette analyse. La France est « un chaudron » selon ses propres termes qui restera en ébullition jusqu’aux élections de mai 2012 mais qui pourrait fort éclater ensuite si les problèmes perdurent avec acuité. Problèmes qui sont selon lui focalisés sur la perte de pouvoir d’achat, la rigueur inégalitaire qui frappe les plus faibles et l’accès difficile des jeunes à l’emploi.

Quel profil peut émerger et sur quels critères ?

Quelle personnalité peut parvenir à rallier suffisamment de convictions et de suffrages autour de sa candidature

Pour Christophe Barbier, le vainqueur de 2012 sera un profil politique avec un talent de meneur. Selon lui, il est bien difficile d’en identifier un précisément aujourd’hui. La gauche est « explosée » entre ambitions personnelles, alliances aléatoires et un fluctuant corpus d’idée. La droite est « épuisée » avec un manque flagrant d’idées fortes et nouvelles et des jeunes plus réticents à la suivre qu’en 2007.

De son côté, Pascal Perrineau remarque que le traditionnel clivage gauche-droite s’estompe quelque peu. A ses yeux, le clivage des classes sociales a de moins en moins de sens de même que l’opposition entre libéralisme économique et social-démocratie. En revanche, on assiste à l’émergence d’autres clivages plus dogmatiques comme le refus de l’Europe (36% des Français pour un retour au Franc), la détestation de la mondialisation et la distorsion accrue entre les élites privilégiées et les classes intermédiaires qui se sentent fragilisées.

Du coup, quelle personnalité peut parvenir à rallier suffisamment de convictions et de suffrages autour de sa candidature ? Plus que le mythe de l’homme providentiel vers lequel certains électeurs sont enclins à se tourner, Christophe Barbier croit plus à un profil qui saura insuffler la confiance, notamment en résorbant le chômage et en réhabilitant l’acte d’entreprendre. Pascal Perrineau et Brice Teinturier estiment que la confiance est en effet le terreau qui permettra de restaurer la cohésion nationale et s’extirper d’un pays actuellement écartelé entre ses élites et sa population.

Conclusion – Petites pensées philosophiques avec Michel Maffesoli

Le philosophe Michel Maffesoli incite les grands dirigeants à « se purger de leurs convictions » pour s’ouvrir à d’autres valeurs

En conclusion de ce vaste et complexe panorama, j’ai choisi de reprendre quelques pensées délivrées par le philosophe et sociologue Michel Maffesoli lors de sa conversation avec Clara Gaymard, PDG de General Electric France. Cette discussion fut un authentique et profond moment de belle réflexion tout en restant accessible, pertinente et ancrée dans la vie réelle.

A la question de la valeur à accorder au mot « travail », Michel Maffesoli a notamment insisté pour que ce vocable aille au-delà de sa simple connotation économique. Pour lui, le travail doit aussi être synonyme de sens, de qualité, de plaisir, de créativité et même de ludique. De même, il faut s’affranchir du « quantitatif », du « chiffre magique » qui donne l’illusion de maîtrise et de pouvoir à tout résoudre. Il déplore que cet état d’esprit se soit pourtant capillarisé dans nos sociétés au point de tout décoder et considérer à travers des ratios et des tableaux de bord ! A ses yeux, il est impératif de modifier ce paradigme « thèse-antithèse-synthèse » qui ne répond plus aux aspirations profondes et qui réduit le travail à une seule dimension mécaniste.

Aux dirigeants, il conseille en particulier d’être plus à l’écoute des choses et cesser de penser qu’ils sont maîtres des choses. Il va même plus loin en les incitant à « se purger de leurs convictions » pour s’ouvrir à d’autres valeurs. En guise de clin d’œil, il leur signifie que « la fin d’un monde n’est pas la fin du monde ». En d’autres termes, ce n’est plus selon lui, la rationalité, rouleau compresseur de la raison, qui prévaut mais l’imagination. Au lieu du contrat rationnel qu’on a l’habitude d’imposer, privilégions le pacte émotionnel.

A cet égard, il note que la loi verticale est désuète et que c’est progressivement la loi des pairs et de ce qui vient d’en bas qui émerge. Il ne faut plus seulement être éducatif et péremptoire mais « initiateur et accompagnateur ».

Ces pépites de Michel Maffesoli devraient effectivement être plus largement diffusées parmi les managers soucieux de préserver leur autorité de petit chef étriqué. Les entreprises devraient cesser d’encourager la dictature sans partage du KPI (key performance indicator) à tout prix pour y instiller une dose de bien-être et de sens. La productivité ne s’en ressentira pas. Bien au contraire !

Pour en savoir plus

– Lire la tribune intitulée « Pourquoi nous croyons en la France » et signée par plusieurs grands dirigeants français d’entreprises étrangères – Les Echos – 9 novembre 2011

– Lire l’étude INSEAD réalisée pour les Etats de la France – « Quelle France en 2012 ? Quelle France en 2017 ? » sur la perception de la France à l’étranger

– Lire le billet du Blog du Communicant 2.0 sur la 5ème édition des Etats de la France – « Optimisme droit devant ou déprime totale ? » – 19 décembre 2010