Free Mobile : « Téléphonie outragée, téléphonie martyrisée mais téléphonie libérée ! »

Ca y est ! La fusée Free Mobile a enfin décollé de son pas de tir pour rejoindre la planète de la téléphonie mobile. Rarement un lancement pour une marque française n’aura suscité autant de spéculations passionnées dans la blogosphère et les médias, d’anxiété et déclarations bravaches chez les concurrents et d’attentes fiévreuses en tout genre chez les consommateurs. Avec un point d’orgue atteint mardi matin : plus de 340 000 connectés sur le streaming live de la conférence de presse de Xavier Niel et d’innombrables tweets sur la timeline de l’oiseau gazouilleur !

Maintenant que le premier étage de la fusée a été expédié avec brio par « Captain Niel himself » avec une communication mordante et des uppercuts cinglants à l’encontre des trois opérateurs historiques, il s’agit désormais de mettre Free Mobile sur orbite et continuer à surfer sans accroc sur cette vague d’empathie que la stratégie de communication de Free a su habilement capitaliser. En plus de miser sur des prix clairement attractifs, Free a confirmé sa capacité à se différencier fortement autour d’un solide storytelling et 3 atouts clés comme autant d’étages pour propulser la fusée dans la galaxie du mobile.

Free, un storytelling finement assemblé

Même l’imaginaire feu Rodolphe dans les spots de pub découle de l’ADN totalement « geek » de Free

Le cas Free constitue un indéniable cas d’école de storytelling réussi où la communication de la marque repose sur des fondamentaux solides et bien ancrés dans la génétique même de l’entreprise de Xavier Niel et non pas comme souvent sur des divagations publicitaires séduisantes ou des images fantasmées mais pas forcément en lien avec la réalité du terrain. C’est véritablement là où se niche la force de la réputation de Free : nourrir subtilement une image fondée sur des actes forts et souvent disruptifs.

Cette philosophie, Free en a une nouvelle fois fait l’éclatante démonstration ce matin avec notamment le petit film projeté en prélude de l’intervention de Xavier Niel. Adoptant le ton nasillard des actualités en noir et blanc des années 50, la vidéo revient sarcastiquement sur les peaux de banane et les vacheries balancées par les opérateurs concurrents lorsque Free avait fait connaître son intention de débarquer dans la téléphonie mobile il y a quatre ans avec une offre de qualité et des prix bien plus compétitifs.

Même si tout n’a pas été parfait dans le passé (notamment le service après vente qui a généré de nombreux mécontents avec la Freebox), Free a toujours su sublimer son essence réputationnelle pour incarner un opérateur pas comme les autres où certes les tarifs d’abonnement sont le nerf de la guerre pour conquérir des parts de marché mais pas seulement.

Atout n°1 : Un contexte sectoriel à l’image plutôt suspecte

La perception des 3 opérateurs historiques dans l’opinion publique est globalement empreinte d’une très grande suspicion

N’en déplaise aux trois opérateurs historiques des télécoms français, leur perception dans l’opinion publique est globalement empreinte d’une très grande suspicion. Là où le bât blesse le plus, c’est évidemment sur le maquis inextricable des contrats d’abonnement, des tarifs pratiqués sans parler de la difficulté à avoir une vision claire de sa consommation en temps réel pour ne pas se retrouver avec des factures astronomiques ou du parcours du combattant pour changer d’opérateur et profiter de la portabilité de son numéro. Il ne passe guère un mois sans que l’un des trois ne se fasse étriller par l’INC (Institut national de la Consommation) et l’UFC – Que Choisir. Dernier avatar en date : Orange est accusée début janvier par cette dernière de pratiques commerciales « perverses » avec son forfait quadruple play Open.

Même si Free a aussi parfois écopé de cartons jaunes de la part des associations de consommateur, ils n’ont jamais atteint le niveau de crispation que les trois autres affrontent régulièrement. La cause est très probablement à imputer au sentiment général très répandu que la bande des trois se « goinfre » allègrement sur les tarifs des abonnés tout en les maintenant captifs dans des contrats longs à résilier. Free l’a bien compris et a allègrement exploité l’irritation ambiante. Au point même de revenir au début de la conférence sur les péripéties judiciaires entre 2005 et 2008 qui ont abouti à la condamnation du trio pour entente illicite sur la répartition du marché mobile et à une amende record de 442 millions d’euros.

Dans ce contexte général de méfiance consumériste, Free pouvait donc paisiblement jouer la carte disruptive en clamant des offres tarifaires plus simples et bien en-deçà des montants exigés par les trois autres. Histoire d’endosser le costume du « Robin des Bois » de la téléphonie qu’il avait déjà revêtu dans le fixe et sur lequel il a acquis une légitimité aux yeux du public. A ce jeu-là, Xavier Niel a pris un malin plaisir lors de sa conférence à multiplier les saillies verbales (« On vous presse comme des citrons ») et les vocables percutants en parlant par exemple de « pigeons » pour les consommateurs, d’ « embrouilles » pour les conditions générales de vente et d’ « arnaques » pour les prix facturés !

Atout n°2 : Xavier Niel, le « Jobs » à la française

Xavier Niel joue à merveille de son statut de trublion des télécoms (photo Benoît Tessier – Reuters)

Même si Xavier Niel n’a pas l’impact mondial d’un Steve Jobs, ni une flopée de produits incroyables comme le Mac, l’iPod, l’iPhone, l’iPad, etc à son actif, il n’en demeure pas moins un personnage atypique à l’instar du gourou de Cupertino dans le paysage technologique français essentiellement dominé par des hommes du sérail diplômés des meilleures écoles d’ingénieurs. Son aventure entrepreneuriale qui le classe aujourd’hui au 12ème rang des fortunes françaises selon Challenges, est tout bonnement incroyable et basée sur une acuité extrême à sentir et à exploiter les failles, les tendances et les usages qu’il s’agisse de ses premiers pas dans le Minitel et l’annuaire inversée à son tout dernier nouveau-né, Free Mobile.

Comme Steve Jobs, Xavier Niel sait cultiver une subtile discrétion qui le rend encore plus captivant. Peu mondain, il accorde de surcroît peu d’interviews mais génère a contrario quantité d’articles à son encontre. Néanmoins,  il dispose d’un réseau dense parmi les journalistes technos qui comptent. Auprès de ceux-ci, Xavier Niel n’hésite pas à distiller nombre d’informations en « off » sur le marché des télécoms à la différence de ses homologues plus policés par le moule corporate de leurs entités. Autant dire que dans ces circonstances, la cote de sympathie d’un Niel auprès des journalistes est globalement plus forte et même sans doute exacerbée inconsciemment par le mépris contempteur que lui a longtemps adressé l’establishment des décideurs télécoms.

Tout le monde s’est empressé de décoder l’énigmatique fusée de Xavier Niel

Cette image un peu provo de patron iconoclaste, Xavier sait la manier avec une grande dextérité pour consolider à son avantage l’image de Free, opérateur pas comme les autres. Ainsi, tant pour amorcer le buzz autour du lancement de Free Mobile que pour animer sa conférence de presse, Xavier Niel n’a nullement hésité à titiller ses concurrents tel un « garnement turbulent ». Exemple : lors de la conférence LeWeb11 en décembre dernier à Paris en déclarant : « « Commencez à couper vos prix, nous arrivons ! Partez ce week-end, repensez votre stratégie marketing et vous aurez peut-être une chance de continuer à exister ».

Et de pousser le bouchon un peu plus loin quelques jours après avec un seul tweet et un message énigmatique digne de la pierre de Rosette de l’égyptologue Champollion : « La fusée est sur le pas de tir ». Succès garanti dans les médias et la blogosphère qui jusqu’au dernier jour avant le lancement, se sont livrés à de savantes exégèses (jusqu’à l’overdose parfois) pour être le premier à annoncer la vrai date de mise sur le marché de Free Mobile ou le possible package tarifaire proposé.

Atout n°3 : Une communauté de « Freemaniacs » ultra-active

Les salariés de Free peuvent compter sur l’indéfectible soutien des geeks de la blogosphère

En plus de la naturellement foisonnante blogosphère geek qui scrute et commente en permanence l’actualité des nouveautés technologiques, Free peut également compter sur une large communauté d’internautes qui sont autant d’ambassadeurs motivés de la marque. Là aussi, c’est un point commun avec Apple qui bénéficie depuis longtemps d’un incroyable maillage d’aficionados à travers le monde entier pour porter la bonne parole de la pomme, gloser sans compter autour des produits issus de Cupertino et constituer au final des sources potentielles pour les journalistes couvrant le secteur high-tech.

Rien qu’une brève recherche sur Google en tapant « Free Mobile » fait aussitôt apparaître sur la première page de résultats pas moins de 4 sites créés par des fans de Free Mobile. On y trouve par exemple ForfaitFree.com, Freemobilemag.com, Freemobileactu.com, Freemobileasso.com. Tous sans exception, traquent scrupuleusement la moindre info au sujet de leur réseau favori, le tout orchestré autour de pages Facebook et de fils Twitter dédiés. Sur le site officiel de Free en revanche, figurait à peine la  trace de la prochaine offre mobile jusqu’au 10 janvier. Pas besoin puisque la blogosphère s’en charge et Xavier Niel n’a pas manqué de la remercier au cours de sa conférence de presse.

Une implacable machine à buzz

Lorsque Free décide d’activer en décembre l’adresse dormante live.free.fr en y publiant une énigmatique fusée agrémentée de cabalistiques codes ASCII, l’entreprise était quasi certaine de déclencher un gigantesque buzz. Cela n’a pas loupé ! Chacun y est allé de son sagace décodage des lignes de code glissées dans le croquis de la fusée. Pour d’aucuns, le lancement était programmé avant Noël. Pour d’autres, c’était au contraire le 6 janvier à 13h37 et de justifier mathématiquement cette option. Certains croyaient même déceler le prix de la future offre de Free Mobile (15,99€ – pari gagné !) à travers de savantes démonstrations d’algèbre basées sur les formules de la fusée.

Du coup, le moindre soubresaut relatif à Free Mobile est traqué sur la Toile, publié dans les sites spécialisés et abondamment commenté entre internautes, qu’ils soient tenants de la « vérité » ou  partisans du « fake » lancé pour entretenir la rumeur.

Lire la suite de ce billet sur le Plus du Nouvel Observateur

Revoir l’intégralité de la conférence de presse de Xavier Niel – 10 janvier 2012

Lire en complément l’intéressant article de Maxisciences – « Buzz Free Mobile : un nouveau modèle de campagne virale ? » – 13 janvier 2012