Hunger Games : les médias sociaux remportent la partie

Film futuriste où des adolescents se combattent à mort dans un jeu télévisé, Hunger Games réalise un indéniable carton au box-office américain. Dans ce succès d’audience, les médias sociaux ont été une efficace cheville ouvrière pour la société de production Lionsgate. Analyse.

Elle s’appelle Katniss. Elle a 16 ans et elle est l’héroïne fictive du long métrage d’anticipation intitulé Hunger Games à l’affiche depuis le 21 mars dernier. Elle vit dans une Amérique post-apocalyptique dominée par le Capitole, une riche cité qui règne sans partage sur une douzaine de districts dont celui de Panem dont elle est originaire. Jusque-là, il n’y a pas vraiment de quoi s’émouvoir. Le pitch évoque plutôt les mythiques films futuristes que furent Blade Runner, Soleil Vert ou encore L’Age de Cristal.

Scénario délicat cherche communication habile

Hunger Games est le fruit de la trilogie éponyme écrite par la romancière américaine Suzanne Collins dont le premier tome est paru en 2008

Néanmoins, l’affaire se corse sérieusement avec l’intrigue sur laquelle repose l’intégralité du film. Une intrigue indubitablement originale mais terriblement sulfureuse à l’heure où les médias actuels se font régulièrement l’écho de violences commises par des adolescents comme les quatre de Seine-Maritime qui viennent récemment d’exécuter froidement l’un de leurs camarades dans un traquenard meurtrier.

Hunger Games est en effet le nom d’un jeu télévisé imaginé par le gouvernement du Capitole. Le principe est simple et terriblement pervers. Tous les ans, chaque district doit tirer au sort et expédier un garçon et une fille de 12 à 18 ans issus de leurs rangs pour aller combattre jusqu’à la mort leurs homologues des autres circonscriptions. Ces pubères gladiateurs vont de surcroît s’affronter sous l’œil des caméras jusqu’au dernier suivant qui sera déclaré vainqueur. Objectif des dirigeants : maintenir la population dans un mélange de voyeurisme et de peur pour mater toute velléité de rébellion.

Cette histoire glaçante est à l’origine le fruit de la trilogie éponyme écrite par la romancière américaine Suzanne Collins dont le premier tome est paru en 2008. Depuis sa sortie en librairies, le succès de l’ouvrage ne s’est jamais démenti au point d’être traduit en une trentaine de langues et diffusé dans une quarantaine de pays. Aujourd’hui encore, le 1er tome figure toujours sur la première place du podium de la catégorie « romans jeunesse » des best-sellers du New York Times.

Autant dire que les producteurs de cinéma n’ont guère tardé à renifler le filon potentiel à l’instar des phénomènes Harry Potter et Twilight. D’ailleurs, à peine est éventée l’annonce d’une adaptation cinématographique que les ventes du livre bondissent de 9,6 à 24 millions de livres en quelques mois, rien qu’aux Etats-Unis. Si la fan base est d’ores et déjà solide et déclinable en futurs spectateurs, les producteurs doivent toutefois résoudre une équation épineuse : comment promouvoir un film au sujet si violent et sordide sans s’attirer les foudres des médias, des associations, voire une classification très strict limitant l’impact auprès du public visé, les jeunes précisément ?

Déminer d’emblée une possible controverse

Pas de scène de violence, ni d’hémoglobine pour promouvoir le film

Après plusieurs semaines de cogitation et de consultation, Tim Palen, directeur marketing de la société de production Lionsgate, a fini par trouver la martingale promotionnelle (1). D’emblée, il prévient qu’aucun extrait, ni visuel à caractère violent ne seront montrés dans le dispositif de communication bâti autour du film. Un pari gonflé pour une œuvre cinématographique dont quasiment la moitié est constituée de scènes de combat et d’hémoglobine abondante !

Mieux encore, la société de production du film s’attache régulièrement à contextualiser le propos du livre dont est tiré le film. C’est ainsi que ce dernier est présenté comme la critique d’une société obnubilée par l’argent et le consumérisme échevelé qui génère la paupérisation de nombreuses couches sociales du pays au point d’exacerber les tensions et les frustrations chez les jeunes dont l’avenir se résume au chômage et à la dèche financière.

Une approche discursive habile pour contourner les critiques à l’instar d’un Stanley Kubrick désireux de tourner en satire la société des années 70 avec sa fable cinématographique ultra-violente, Orange Mécanique. Un film aujourd’hui considéré comme un monument du cinéma en dépit de scènes absolument insoutenables et qui firent d’ailleurs scandale à l’époque.

Activer le levier de l’engagement social

Pour autant, le studio de production Lionsgate n’entendait pas se cantonner à un service promotionnel en catimini autour de son film. Mais plutôt que de recourir au dispositif classique de la couverture média importante et de l’affichage intensif (avec les risques polémiques collatéraux que cela comportait), Lionsgate a par conséquent massivement misé sur les réseaux sociaux pour capitaliser sur la base de fans déjà acquis au synopsis d’Hunger Games et souvent déjà possesseur du livre.

Un site Capitol.pn a été créé spécifiquement pour faire vivre le film

D’emblée, une page Facebook et un fil Twitter ont été ouverts pour distiller progressivement des informations autour du film, de l’avancée du tournage, des acteurs choisis, etc. A charge pour les fans de créer des blogs dans lesquels ils peuvent à leur tour viraliser les contenus recueillis auprès de leurs propres communautés. L’idée étant en permanence de jouer la carte de l’expérience et de l’immersion progressive des internautes dans l’univers d’Hunger Games sans jamais dévoiler la moindre image de combat ou d’effusion de sang. Par exemple, un concours a permis à 5 fans de rendre en exclusivité sur le plateau de tournage en Caroline du Nord tandis qu’aucun journaliste n’y était convié !

Au fil des mois, Lionsgate a ainsi égrené des indices et des jeux pour mobiliser en permanence la communauté virtuelle des fans. Durant l’été, un site baptisé « The Capitol » invite les internautes à s’inscrire pour pénétrer dans l’arène où les combats se dérouleront. Résultat : 800 000 personnes ont confié leurs données personnelles pour avoir le privilège de voir les coulisses. Par la suite, un concours va inciter ces mêmes personnes à faire campagne en ligne pour devenir l’élu virtuel d’un des 12 districts.

Jongler avec le buzz

Le film a même bénéficié d’un blog Tumblr sur la mode dans « Hunger Games »

A force de semer des bouts d’information, le buzz autour d’Hunger Games enfle de mois en mois. Lorsque la bande annonce du film est mise en ligne sur iTunes en novembre 2010, 8 millions de visiteurs se précipitent en 24 heures pour découvrir les premières images. Dans le même registre, Lionsgate créé en décembre 2010, un poster pour le film qu’il subdivise en 100 morceaux numériques dispersés sur 100 sites proches de l’univers du film. A charge pour les internautes de retrouver les morceaux et reconstituer le puzzle via un fil Twitter dédié. Un mois plus tard, un blog est ouvert sur Tumblr. Intitulé « Capitol Couture », il traite de la mode en vigueur dans Hunger Games ! Toujours dans l’optique de maintenir la conversation active.

A mesure que l’échéance de la sortie du film se rapproche, les initiatives se multiplient. Près de 50 sites proposent notamment de gagner des places en avant-première. Plus fort encore est la chaîne YouTube conçue pour la circonstance en février 2012. Elle compte actuellement plus de 24 millions de visiteurs qui peuvent s’abreuver de vidéos et de jeux multiples sur leur film fétiche. Le summum est atteint avec un partenariat avec le navigateur IE9 de Microsoft qui propose en exclusivité une ballade virtuelle dans les allées du Capitol !

Conclusion – Quels enseignements retirer ?

D’un point de vue marketing et commercial, l’option retenue par Lionsgate s’est avérée totalement payante. En une semaine d’exploitation aux USA, le film avait déjà engrangé 181,6 millions de dollars soit 2 fois le coût de la réalisation du film et le 3ème

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Sources

(1) – Brooks Barnes – « How Hunger Games built up must-see fever? » New York Times – 18 mars 2012

Lectures complémentaires

– Daniel Frankel – « Did Hunger Games create a new digital marketing template for Hollywood? » – Paid Content.org – 30 mars 2012
– Constance Jamet – « Cinéma : Hunger Games ou le marketing dévorant » – Le Figaro – 25 mars 2012
– Sam Laird – « Social Media support Hunger Games more than Potter, less than Twilight » – Mashable.com – 22 mars 2012