Pub & Politique : Michel & Augustin se font « yaourter » à leurs dépens

A l’heure où la campagne électorale bat son plein, la tentation est forte pour les as du marketing de détourner la vie politique au profit de leurs marques. L’entreprise alimentaire Michel & Augustin a récemment frôlé la catastrophe. Incompatibilité rédhibitoire de deux univers ?

Au départ, l’idée était pourtant marrante et tellement en phase avec  l’esprit décalé que Michel & Augustin n’a eu de cesse de cultiver en matière de discours de marque pour sa gamme de produits alimentaires lancée en 2004. Avec pour logo une tête de vache rigolote et pour slogans des jeux de mots potaches, les « trublions du goût » comme ils se définissent eux-mêmes, ont toujours été fidèles à un positionnement disruptif par rapport à leurs grands concurrents plus policés que sont Danone, Kraft, Nestlé and Co. C’est d’ailleurs ce positionnement qualifié de « trublionade » qui leur a permis de se faire connaître face aux budgets marketing colossaux des compétiteurs. 

« La Vache qui vote » entre en campagne

A quelques jours du 1er tour de la présidentielle, les emballages de leurs yaourts à boire et de leurs petits sablés se sont donc soudainement ornés de petits personnages en couple représentant les dix candidats officiels pour la fonction suprême de Président de la République française. C’est ainsi que « Babeth et François », « Carla et Nicolas » ou encore « Valérie et François » débarquent sur les paquets et les bouteilles aux côtés de la « vache qui vote » de deux acolytes. Sur leur site Web, ces derniers s’en donnent même à cœur joie en affublant chaque couple (ou célibataire pour d’aucuns) d’une petite bio humoristique et iconoclaste.

La « Vache qui vote » de Michel & Augustin a dû remballer ses candidats détournés !

Tout semblait donc réuni pour réussir un bon « buzz » marketing quand la société Michel & Augustin a brutalement tout stoppé le 16 avril en publiant un message d’excuse sur sa page Facebook : « Plusieurs scandales sérieux ont éclaté en magasins (vaches à boire lancées sur les murs, hurlements …). Nous sommes un peu dépassés par ces réactions un peu surréalistes. On temporise. C’EST FINI. Toutes nos excuses ». Probablement une sage décision au regard des pugilats « yaourtesques » déclenchés dans les rayons des magasins entre militants ayant décidément peu d’humour et beaucoup d’esprit binaire. Michel & Augustin avaient plus à perdre en termes de réputation s’ils s’étaient acharnés à maintenir les produits dans les linéaires.

Le détournement politique mort du marketing potache ?

RTL avait osé en 2007 manier le clin d’oeil publicitaire un peu chahuteur

Est-ce à dire pour autant que le détournement politique par le marketing a vécu ? La réponse n’est si pas sûre. Tout d’abord parce que le phénomène n’est pas en soi intrinsèquement nouveau. On l’a peut-être oublié mais en 2007, RTL avait osé une campagne d’affichage assez gonflée. Sur le thème du « Vivre ensemble », la station de radio n’avait pas hésité à recourir à des visuels mettant en scène des duos aux relations notoirement orageuses avec d’un côté Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin et de l’autre Ségolène Royal et François Hollande.

Un an plus tard, la compagnie aérienne irlandaise Ryanair a poussé le bouchon plus loin en détournant à des fins promotionnelles le tout nouveau couple formé à l’époque par Nicolas Sarkozy et Carla Bruni. Immédiatement attaquée en justice et condamnée à 60 000 € de dommages et intérêts, Ryanair a aussitôt présenté ses excuses et retiré la campagne.

Fidèle à son style, le loueur Sixt a récidivé à la veille des élections 2012

Une ire présidentielle qui n’a pourtant pas dissuadé le loueur de voitures Sixt de récidiver de manière similaire en 2010. Cette fois, le slogan de la campagne met en scène une petite voiture de marque française assorti d’un slogan un brin provocateur : « «Faites comme Mme Bruni. Prenez un petit Français».

En 2011, Sixt poursuit dans la même veine autour de la supposée grossesse de Carla Bruni en proposant de louer … un monospace familial ! Sans réaction judiciaire cette fois.

Si la marque est quasiment assurée de faire parler d’elle en s’aventurant avec pareille rhétorique publicitaire, l’exercice relève malgré tout de la haute voltige publicitaire. On l’a vu avec Ryanair même si au final, un esprit cynique pourrait tout à fait argumenter  que l’objectif de notoriété a été atteint et que 60 000 € d’amende est toujours d’un moindre coût qu’une vaste campagne classique.

Politique de marque ou marque « politique » ?

A la différence des Etats-Unis où tous les excès (ou presque) sont permis, l’Europe a toutefois toujours été plus frileuse dès lors qu’il s’agit de « kidnapper » l’image des politiques à des fins marketing pour une marque. Autant l’initiative est communément admise et pratiquée sans relâche par les associations (Aides, AMD ou encore Médecins du Monde ne s’en sont pas privés), autant la tendance est plus récente pour les marques. Notamment en France.

L’Association pour Mourir dans la Dignité a interpelé les candidats de 2012 sur l’euthanasie

Gilles Masson, président de l’agence de communication M&C Saatchi Gad a récemment expliqué les raisons de cette immixtion de plus en plus prononcé entre marques et politiques (1) : « L’évolution est aujourd’hui mondiale grâce à deux accélérateurs récents qui se nourrissent l’un l’autre. Le premier : les hommes politiques eux-mêmes sont entrés dans une logique de marque. Ce sont des people qu’on peut voir sur le canapé rouge de Drucker ou le plateau de Ruquier (…) C’est l’exemple que les deux univers se nourrissent mutuellement.  Le deuxième accélérateur, c’est sans conteste Internet. Aujourd’hui, dès qu’un candidat lance sa campagne sur la Toile, elle est immédiatement détournée par les internautes – La France forte, La France morte. Mais il ne faut pas oublier qu’au départ tout cela est nourri par les opposants politiques ».

Force est de constater que les marketeurs ne se sont guère privés d’exploiter le filon avec la campagne 2012. Autant la précédente élection avait suscité peu d’émules dans la foulée de la campagne de RTL, autant cette année, chacun y est allé de son coup de com’ pour tenter de capter à leur profit l’image des politiques.

Votez pour ma marque !

La Vache qui Rit a joué à fond la carte de la dérision pour les élections de 2012

Certains ne vont pas au-delà du registre du calembour et du jeu de mots comme la marque d’éponge Spontex qui affirme « La France frotte » ou la célèbre enseigne d’ameublement Ikea qui promet que que « Le rangement, c’est maintenant ». Pas forcément de bon aloi d’ailleurs pour cette dernière à l’heure où l’enseigne suédoise est empêtrée au même moment dans une affaire d’espionnage de salariés et de clients.

D’autres en revanche surfent « subtilement » sur le discrédit sociétal qui colle aux basques des politiques. C’est ainsi que l’enseigne de commerce électronique française Houra clame haut et fort « Enfin, un candidat qui tient ses promesses ! ». Le fromage La Vache qui rit a quant à lui carrément choisi l’option moqueuse (et limite abstentionniste) en présentant un « programme 2012 » très étoffé et intitulé « Et si vous preniez le parti d’en rire ? ».

Une troisième catégorie a testé la « provo soft » pour tenter d’émerger dans ce concert de détournements en tous sens. C’est le cas du Slip français ! Pour relancer les sous-vêtements homme 100 % français (et capitaliser au passage sur le thème de la campagne du produire français), un jeune entrepreneur s’est amusé à détourner en vidéo les affiches des candidats pour promouvoir ses produits. Entre une  « France forte en slip » prônée par Nicolas Sarkozy et « le changement du slip, c’est maintenant » avec  François Hollande, la parodie a fait mouche : la vidéo a déjà été vue 78 000 fois sur Internet.

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Sources

(1) – Jamila Aridj – « Quand la publicité bat la campagne » – Le Point.fr – 6 avril 2012

Lectures complémentaires

– Cécile Bouanchaud – « Coups de pub pendant la présidentielle » – Europe 1.fr – 28 mars 2012
– « La pub part aussi en campagne » (Diaporama) – Le Parisien.fr – 14 avril 2012