Un politique peut-il se vendre comme une marque ?

Les marques n’hésitent plus  à s’emparer des politiques comme parler au consommateur mais la réciproque peut-elle inversement s’appliquer ? Tous rêvent de rééditer le magistral coup d’Obama devenu marque planétaire grâce à une com’ calibrée. Est-ce possible en France, voire souhaitable ?

Ils et elles ne le diront probablement jamais ouvertement  car le tabou du marketing politique demeure solide en France. Néanmoins, toutes et tous l’ont érigé en obsession prioritaire de leur carrière : devenir une « marque » politique suffisamment puissante et cristallisante pour s’imprimer dans la mémoire des électeurs, trancher plus nettement dans un paysage médiatique hyper-saturé et s’imposer au final comme la personnalité qui compte à l’heure des scrutins.

Politique, dis-moi quelle marque es-tu ?

Campagne Obama : le mètre étalon de la com politique en France mais jamais atteint pour autant

Au-delà des discours de campagne, des programmes de leur parti et des petites phrases distillées aux journalistes, les politiques (du moins ceux ayant des hautes ambitions présidentielles et/ou ministérielles) rêvent d’atteindre le niveau d’impact de Barack Obama en matière de communication. Lequel a su mêler avec dextérité messages politiques forts et storytelling personnel émotionnel pour devenir le « Yes we can » qui l’a porté au pouvoir suprême en 2008.

Rebondissant sur ce désir de « marque » des politiques, l’agence de communication Landor s’est récemment prêté à un exercice iconoclaste mais très instructif auprès du panel de familles composant son observatoire des marques. Elle a demandé à ce dernier d’attribuer une dizaine de marques caractérisant le mieux six des dix candidats à la présidentielle. Le résultat est assez étonnant. Nicolas Sarkozy est ainsi associé à des « marques leaders et statutaires » (1) parmi lesquelles figurent entre autres Chanel, Moët & Chandon, Audi, TF1, Nespresso et Voici !

Pour le rival principal François Hollande, il ressort qu’il est perçu plutôt comme une « marque de qualité tout en étant accessible, familiale et/ou populaire » (2) . Dans son panier de marques, on retrouve notamment Citroën, Zara, Martini, France 2/France 3, Leclerc mais aussi des marques communes à son adversaire de droite : Coca-Cola, Roger Gallet et Peugeot.

Les quatre autres compétiteurs se voient en revanche conférer des territoires bien précis. Pour Jean-Luc Mélenchon, ce sont les marques low-cost qui dominent comme Logan, Kiabi, Lidl ou encore Hôtel Formule 1. Pour François Bayrou, les marques de proximité caractérisent le plus son profil avec dans son panier des marques comme Petit Casino, Intermarché ou les Gîtes de France. Pour Eva Joly, aucune surprise à l’horizon puisqu’elle se voit associée à des marques vertes comme le magazine Geo, Biocoop, Ushaïa et Neutrogena. Enfin, Marine Le Pen récupère des marques françaises en vaste majorité.  Il ne faut évidemment pas tirer de cet exercice des conclusions irrévocables. Toutefois, celui-ci témoigne bien de la perception marketing spontanément attribuée à ces figures de la vie politique française.

Marketing et politique : une vieille histoire

Jean Lecanuet

Jean Lecanuet, précurseur du marketing politique en 1965

Même si la pipolisation des politiques s’est éminemment accrue ces cinq dernières années, le désir d’être perçu comme une « marque » unique n’est pourtant pas si récent. Ainsi en 1965, le candidat centriste à la présidentielle, Jean Lecanuet sidère le microcosme politicien en décidant de recourir aux services du publicitaire Michel Bongrand pour mener sa campagne électorale.

A l’instar de ce qui se pratiquait depuis longtemps aux Etats-Unis, le tandem réalise d’abord une véritable étude de marché pour façonner le positionnement du compétiteur centriste et contrer autant l’omniprésence martiale de Charles de Gaulle que l’obstination récurrente de l’opposant en titre François Mitterrand. Résultat : une affiche moderne où Lecanuet décoche un sourire immaculé à la Kennedy et des dépliants de campagne où il met en avant (déjà !) sa jolie famille.

Plafonnant au départ à 5% d’intentions de vote, Lecanuet utilise massivement la télévision qui fait irruption dans la campagne électorale pour la première fois tandis que Charles de Gaulle néglige ostensiblement les temps de parole télévisuels auxquels il a droit, convaincu que la victoire dès le 1er tour lui est acquise. Pari gagnant pour le trublion médiatique qui bondit alors à 20% d’intentions de vote et engrange au final 15,57% des voix au 1er tour, contraignant le Général à un ballotage inattendu.

Politiques et pots de yaourt = même combat ?

Depuis ce coup d’éclat, les publicitaires n’ont plus cessé d’envahir les QG des prétendants engagés dans des compétitions électorales et particulièrement pour les élections présidentielles.  Jacques Pilhan, Jacques Séguela, Thierry Saussez, François de la Brosse, Christophe Lambert et Franck Tapiro (pour ne citer que les plus connus) ont tour à tour marqué de leur empreinte les campagnes de leur champion du moment et tenter d’en faire la « marque » que les électeurs glisseront dans l’urne. 2012 a également fait le plein d’experts de la publicité dans quasiment tous les partis qui comptent.

Marketer une figure politique, un objectif raisonnable ?

La nouvelle génération n’échappe pas non à la règle. A droite comme à gauche, les plus ambitieux tentent de se forger une identité propre au sein même de leur parti, n’hésitant pas pour cela à « jouer » de leur petite musique personnelle pour mieux se différencier. Il y a ceux et celles qui misent sur leur jeunesse et leur physique avantageux, qui jouent de leurs origines ethniques et/ou populaires, qui mettent en avant leur côté trublion et/ou qui vont jusqu’à s’incarner derrière un acronyme mémorisable et différentiant.

A cet égard, on peut se référer à l’excellent reportage mené en coulisses par deux journalistes du Monde autour de la personnalité de Manuel Valls, député-maire d’Evry et actuel directeur de la communication de la campagne de François Hollande. Ils reviennent notamment sur le positionnement atypique que l’ambitieux quadra n’a eu de cesse de cultiver au sein du parti socialiste, notamment sur les questions de sécurité. Lui aussi a étroitement tissé des liens avec Stéphane Fouks, patron de l’agence Euro RSCG. Un socialiste (3) témoigne : « Euro RSCG l’a poussé à faire ce qu’ils avaient déjà appris à NKM : une communication de rupture ».

Jean-François Martins, directeur de la communication de François Bayrou, se montre quant à lui plus réticent à l’encontre des mécaniques communicantes visant à propulser untel ou untel comme la nouvelle star de la vie politique. Pour lui qui n’a pas formation particulière en communication (bien qu’il fût consultant quelques années pour l’agence de communication santé Protéines), le vernis marketing ne peut pas s’appliquer aux politiques (4) : « Si votre slogan est contraire à ce que vous êtes, cela va se sentir (…) Je ne crois pas aux sciences du marketing ».

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Sources

(1) – Clotilde Briard – « Et si les politiques étaient des marques ? » – Les Echos – 16 avril 2012
(2) – Ibid.
(3) – David Revault d’Allonnes et Thomas Wieder – « Manuel Valls, l’omniprésent » – M Le Magazine du Monde – 14 avril 2012
(4) – Solange Brousse – « Un anti-marketeur au Modem » – Stratégies – 1er mars 2012