Nicolas Sarkozy ou la défaite d’une conception de la communication

Nicolas Sarkozy s’en va de l’Elysée et avec lui, non seulement un bilan mais également une façon survoltée de faire de la communication. Un style qui a beaucoup séduit avant de susciter le rejet de beaucoup de Français et d’une partie des médias. Retour sur cinq années d’omniprésidence hyperactive.

Au-delà des différences programmatiques des deux candidats, Nicolas Sarkozy a chuté (entre autres) à cause de ce qui l’avait porté au sommet de l’Etat, cinq ans plus tôt : une communication offensive tous azimuts où la cosmétique et le bagout l’emportaient souvent au détriment du fond et de la mise en perspective. En dépit de l’énergie communicante atomique dégagée par Nicolas Sarkozy durant l’entre-deux-tours pour combler son retard et faire mentir les adages, cette communication incantatoire a échoué. Pour tous les communicants que nous sommes et au-delà des choix politiques de chacun, cette défaite doit être source de réflexion sur ce que la communication doit cesser d’être.

François Hollande ne figurait pas au programme de la stratégie de com’ du président candidat

L’histoire est cruelle pour les communicants qui s’étaient affairés à polir dans le moindre détail l’image de deux candidats qui étaient au départ pressentis pour jouer la finale présidentielle : Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn. Ce dernier s’est pris les pieds dans de sordides histoires et a fracassé sa réputation de grand argentier de la planète capable d’incarner une alternative crédible à la politique de Nicolas Sarkozy. Lui qui devait remporter haut la main la primaire socialiste s’est retrouvé hors course avant même le départ. Coiffé de surcroît par celui que l’opinion publique aime à caricaturer sous les traits d’un moelleux dessert au flan.

Nicolas Sarkozy et son staff en étaient pourtant les premiers convaincus. Le duel annoncé serait une bataille d’images contre images avec l’ex-président du FMI. Ils s’en délectaient d’avance tant l’ex-président de la République excelle lorsqu’il s’agit de faire le show et remuer les foules. Las, ils se sont retrouvés face à un candidat à la limite du « Mr Nobody », un adversaire « normal » comme ce dernier aime à se décrire. Un challenger tout en rondeurs et presque passe-partout que le président de l’UMP, Jean-François Copé, a d’ailleurs qualifié d’ « anguille ».

La télévision, cette ultime carte communicante

Objectif : « exploser » l’adversaire lors du débat

Ce compétiteur sans aspérité particulière, Nicolas Sarkozy entendait alors « l’exploser », expression employée par lui-même en petit comité à la veille du débat télévisé du 3 mai dernier. Tellement sûr que ce moment majeur de l’élection présidentielle lui permettrait d’inverser la tendance et ré-aiguiller les bulletins de vote vers sa candidature, Nicolas Sarkozy avait même versé dans la surenchère à l’issue du 1er tour en réclamant trois débats au lieu d’un, convaincu qu’il expurgerait manu militari ce candidat insaisissable grâce à sa maîtrise inégalée de la télévision.

Le débat n’a fait pourtant que conforter l’image déjà prégnante des deux hommes. D’un côté, un Nicolas Sarkozy remonté comme un coucou qui mitraille à tout va à coups de statistiques et d’accusations de mensonges et de promesses irréalistes de la part du candidat socialiste. De l’autre, un François Hollande quasi impassible à l’instar de ces joueurs de tennis scotchés au fond du court qui renvoient inlassablement les balles de celui qui n’arrête pas de monter au filet et finit par s’épuiser et rater la balle de match.

S’il est malaisé de distinguer un véritable vainqueur de ce débat, une chose est en revanche certaine. L’explosivité rhétorique de Nicolas Sarkozy a fait long feu. Elle a de plus rendu service par ricochets à son adversaire qui a encaissé sans broncher, se permettant même d’aller titiller le président sortant et lui montrer qu’il pouvait pareillement prétendre à la stature présidentielle.

Débat Hollande – Sarkozy : piques et piques et… par LeNouvelObservateur

Image quand tu nous tiens

L’affaire « Human Bomb » a lancé l’aura médiatique de Nicolas Sarkozy en 1993

Nicolas Sarkozy a bâti sa réputation sur sa science rarement égalée du miroir télévisuel. Sans doute certains l’ont-ils oublié mais Nicolas Sarkozy avait opportunément su capter l’attention des médias en 1993 lors d’une prise d’otages par un déséquilibré se surnommant « Human Bomb » dans une école de Neuilly-sur-Seine, ville dont il était maire. Profitant de la présence des caméras, il avait négocié en personne la reddition le fou (qui sera finalement tué par le RAID) avant de ressortir de l’école avec des enfants dans les bras. Le mythe de l’élu courageux et sur le terrain aux côtés des victimes était né et les sondages l’ont aussitôt catapulté dans la catégorie des politiques qui comptent.

Sa conquête du pouvoir en 2007 avait procédé d’une identique mécanique communicante. Ancien chef du service international du quotidien italien Il Giornale et co-fondateur de l’Observatoire du journalisme européen, Marcello Foa avait suivi les coulisses de la campagne de Nicolas Sarkozy. Il avait ainsi observé le dispositif extrêmement pointu mis en place pour écrire le scénario de la France de la « rupture tranquille » et des Français « qui travaillent plus pour gagner plus ». Il le décrit ainsi (1) : « Sarkozy ne se limite pas à sonder l’opinion publique sur les thèmes d’actualité ; il utilise aussi des focus groups pour recueillir les intentions du peuple, pour comprendre ses attentes, pour analyser sa vision de la société. Les sondages et les focus groups sont également utilisés en sens inverse : ils demandent aux électeurs de juger les solutions trouvées, de tester la recevabilité des slogans et des formules. Avec pragmatisme, Sarkozy recourt à une technique de marketing utilisée par certains grands groupes de distribution. Résultat : chaque fois qu’il emploie une expression forte comme « Karcher » ou « racaille », il sait que celle-ci est partagée par une grande partie du pays ».

Toujours en avance d’un coup et débordant d’énergie, il avait été élu sans coup férir face à une Ségolène Royal brouillonne et sans réelle envergure. Cette image de président qui allait enfin donner un coup de pied dans la fourmilière et réformer ce qui devait l’être, était alors son atout maître.

Petites inconséquences, grosses conséquences

C’était sans compter avec les boulets que Nicolas Sarkozy s’est lui-même attaché sitôt élu. La petite sauterie au Fouquet’s puis l’escapade bling-bling sur le yacht d’un homme d’affaires français multi-milliardaire, a largement ébréché l’image qu’il s’était longuement façonné. De même, ses saillies verbales au salon de l’Agriculture et avec les pêcheurs du Guilvinec ont affadi la perception qu’un président de la République se doit de dégager plutôt que de réagir du tac-au-tac comme un boxeur sur le ring. Tous ces épisodes et d’autres du même acabit ont entamé le crédit que de nombreux électeurs lui avaient accordé. Même si au fil des ans, Nicolas Sarkozy a su se canaliser de manière moins éruptive, le mal était fait.

Pour compenser cette perception faussée, le président a immédiatement entrepris de faire preuve d’un activisme débordant et d’un incontournable don d’ubiquité. La recette ? Malaxer sans relâche l’agenda médiatique pour faire l’actualité et obliger les autres acteurs à s’y placer à leur tour. Les journalistes sont clés dans le dispositif présidentiel comme le décrypte Jean-Louis Missika, consultant en stratégie de communication (2) :  « La logique est celle de la saturation des médias : ne pas donner l’impression d’être absent sur un sujet d’actualité (…) Le principe de saturation médiatique s’apparente à ce que les militaires appellent le « carpet bombing ». Il y a tellement d’annonces, d’événements qui se succèdent, qu’il a toujours un coup d’avance ».

S’agiter n’est pas communiquer et dialoguer

Communication de conquête et communication au pouvoir sont deux choses différentes

Avec cette stratégie de communication tout feu tout flamme, Nicolas Sarkozy s’est probablement brûlé les ailes. A force d’enchaîner les séquences, de supplanter ses propres ministres, y compris le premier d’entre eux gentiment qualifié un jour de « collaborateur », il s’est mué en « omniprésident » s’occupant de tout au risque de focaliser sur sa seule personne tous les effets collatéraux des annonces qui se succèdent à cadence effrénée. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a à cet égard battu des records. Ce dernier aura enregistré très vite et jusqu’à son départ de l’Elysée, une cote de popularité calamiteuse et toujours en-dessous de celle de son Premier ministre.

Or, à réagir toujours dans l’urgence du moment sans jamais tracer des perspectives claires, on s’expose à de dangereux retournements d’image. Durant sa campagne de 2007, Nicolas Sarkozy avait martelé sur la valeur du travail au mérite et de la France qui se lève tôt. Un axe communicant qui lui avait valu de recueillir des suffrages massifs dans les rangs des classes populaires et moyennes. Or, fraîchement élu, il instaure le fameux « bouclier fiscal » pour les plus fortunés qui lui accole aussitôt une indécrottable réputation de « président des riches ». La crise (contre laquelle il s’est plutôt correctement investi) achèvera de piétiner l’ensemble et conforter un Sarkozy, ami des « nantis ».

Opportunisme, piège à c… !

Communication coup de poing au programme du fameux discours de Grenoble en 2010

De même, cet opportunisme forcené à vouloir rebondir sur l’actualité et à en tirer profit en termes d’image l’a plusieurs fois conduit à des impasses communicantes.

Ainsi, lors des violentes émeutes de Saint-Aignan et Grenoble en 2010, le plan com’ gouvernemental est systématique. Il faut impérativement montrer qu’on agit instantanément. Qu’importe si on tombe dans les amalgames et les boucs émissaires et qu’au final, on se penche uniquement sur les symptômes au lieu d’essayer de traiter les véritables causes.

Cette communication opportuniste qui touille les remugles électoralistes en titillant les peurs et en flattant les bas instincts, présente deux dangers majeurs. Elle autorise d’abord toutes les surenchères autour d’un thème ultra-sensible (mais tellement porteur) dans l’unique optique de ressouder l’opinion publique derrière un homme fort. Et l’entre-deux-tours n’a pas échappé à la règle. Ensuite, elle ne sert pas comme prévu celui qui pourtant espérait en tirer un profit maximum.

En effet, de la présidence de Nicolas Sarkozy, on ne retient volontiers (hormis évidemment chez les militants éternellement acquis) que les dérapages, les outrances alors que des chantiers ont été plutôt menés à bien comme l’autonomisation des universités ou la réforme des retraites. On peut certes ergoter dans le détail mais globalement, ces initiatives ont été de réels accomplissements. Or, même Nicolas Sarkozy n’a guère daigné en faire usage pour communiquer, préférant se focaliser sur des peurs clivantes (l’immigration, la ruine du pays, les assistés, etc) au risque d’en faire trop et de dégoupiller des formules extrêmement maladroites comme celle du « vrai travail ».

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Sources

(1)    – Courriel de Marcello Foa à l’auteur du 18 octobre 2007
(2)    – Elsa Freyssenet et Pierre-Alain Furbury – « Une stratégie de carpet bombing » – Les Echos –  25 septembre 2007

A lire également sur le Blog du Communicant 2.0

– « Au secours ! La symbolothérapie revient et la garden party s’en va » – 24 juin 2010
– « 3 règles simples pour sortir de la culture coup de com’ » – 4 juillet 2010



7 commentaires sur “Nicolas Sarkozy ou la défaite d’une conception de la communication

  1. Romain Dhdt  - 

    Un article fort intéressant comme d’habitude qui pointe le doigt sur l’hypermédiatisation du président sortant.

    Ne pensez-vous pas, malgré l’hégémonie des réseaux sociaux, que les politiques devraient s’appuyer un peu plus sur le silence. La parole politique est une parole « sacrée ». Et toute chose sacrée doit savoir se faire rare pour être respectée. Nous sommes tellement habitués à entendre des réactions politiques que nous ne les écoutons plus.D’où, en partie, le clivage entre les français et les affaires publiques.

    Un peu de silence au milieu de tout ce brouhaha, ne serait-ce pas la réponse pour être le plus audible de tous ?

    Merci.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci pour le sympathique commentaire.

      Je partage votre recommandation quant à la nécessité de se ménager des silences. Surtout en ces temps d’infobésité où l’on est bombardé de messages en permanence. Le silence n’en prend que plus de valeur et la prise de parole aussi par ricochets plutôt qu’empiler les actes, les symboles, les petites phrases et aboutir à une bouillie cacophonique. Le silence est quelque chose que recommandait Jacques Pilhan et sa pensée communicante n’a pas pris une ride. Il faudrait idéalement parvenir à s’extraire de la dictature du petit mot, du blabla à tout prix. Pas facile à une époque où tout est décortiqué. Un silence peut être mal interprêté même si une diète médiatique est pourtant indiquée dans certains cas !

  2. David Millian  - 

    Merci Olivier pour cet excellent papier.

    Il était nécessaire afin de remettre les choses en perspectives. Je suis à 100% d’accord avec ton analyse qui veut qu’être agressif et viser les opportunités tactiques n’est jamais viable à long terme (mais cela reste utile).

    La stratégie, c’est savoir s’adapter quand on change de terrain… C’est aussi ne jamais perdre de vue le but ultime de la prise de pouvoir. Malheureusement,il semblerait que la personnalité ait pris le dessus sur cette approche bien plus raisonnable. Et du coup, cela pose une question bien gênante : si pas de stratégie ,y avait il alors un but stratégique,c’est à dire une réelle vision pour la France ?

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci David ! Tu poses une véritable question à la fin de ton commentaire. C’est toute l’ambiguité des politiques. La vision est-elle juste un outil pour accéder au pouvoir ou une boussole pour guider l’action ? Vaste débat pour lequel je n’ai pas vraiment de réponse si ce n’est que la vision devrait inspirer sans jamais perdre de vue le nécessaire pragmatisme que le quotidien impose

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