Rédaction de France 3 : Plus belle la ligne éditoriale ?

Un vent de rébellion souffle sur la rédaction nationale de France 3. En cause, une ligne éditoriale jugée déviante par les journalistes mais également un climat social déplorable et une direction contestée avec ses objectifs de mutualisation de moyens entre France 3 et France 2. Défense du pluralisme de l’information ou combat corporatiste ?

Le chiffre a claqué comme un cinglant désaveu pour la direction de France Télévisions : 70,4% des journalistes de la rédaction nationale de France 3 estiment dans un référendum interne que la chaîne suit « une ligne éditoriale qui n’est pas conforme à sa mission de service public ».

Grogne à tous les étages

Thierry Thuillier, directeur de l’info de FTV, est mis sur le grill par la rédaction de F3

Pis, ce même référendum organisé à l’initiative de la société des journalistes (SDJ) a également consulté les non-détenteurs de la carte de presse. Le résultat est encore plus acerbe : 85,41% désapprouvent le contenu des journaux télévisés. Au total, ce sont 221 salariés de France 3 qui ont ouvertement exprimé leur profond désaccord avec l’approche éditoriale impulsée par Pascal Golomer, directeur de la rédaction et Thierry Thuillier, directeur de l’information de France Télévisions.

Elément déclencheur de cette fronde journalistique qui couvait déjà depuis plusieurs mois : la soirée électorale du 2ème tour de la présidentielle. D’ordinaire, France 3 prend le relais de France 2 pour prolonger les débats et les analyses tout au long de la soirée. Or, le 6 mai dernier, point de passage de témoin au programme. France 2 obtient la quasi intégralité de l’antenne jusque tard dans la nuit tandis son homologue de la 3 voit sa couverture de l’événement réduite et entrecoupée de surcroît par la projection du film comique « Hibernatus ». De quoi susciter l’ire de Patrice Machuret, président de la SDJ de France 3 (1) : « Résultat, on a fait 4% de parts de marché soit 520.000 téléspectateurs de 22H20 à 1 heure du matin et on s’est fait brocarder, humilier sur tous les sites d’analyse d’audience ».

Force est de constater que la stratégie rédactionnelle mise en place est pour le moins surprenante alors même que France 3 bénéficie d’une implantation régionale pouvant opérer en parfaite synergie avec le traitement éditorial national de France 2 sans pour autant être réduite à la portion congrue. Au lieu de cela, la rédaction de France 3 fut condamnée à jouer les supplétifs de seconde zone. Lesquels ont été dépassés en termes d’audience non seulement par les poids lourds que sont TF1 et France 2 mais également par les chaînes tout-info comme BFM, LCI et I-Télés. Drôle de conception de la mission d’information d’une chaîne de service public.

L’information publique démantelée ?

Patrice Machuret, président de la SDJ, dénonce « les micro-trottoirs sans relief » de la ligne éditoriale

Faut-il par conséquent voir une volonté de démantèlement de France 3 et au passage de mise au pas d’une rédaction souvent qualifiée de repère de « gauchistes » par plusieurs des dirigeants qui se sont succédés à la tête de la chaîne et de la direction de l’information ainsi qu’à l’Elysée sortant ?

Sur fond de mutualisation des moyens enclenchée dans le cadre de la réforme de l’audiovisuel public, l’hypothèse n’est pas si farfelue aux yeux de la rédaction qui régulièrement s’émeut des embardées éditoriales des journaux sans parler des moyens toujours plus restreints pour fabriquer les reportages alimentant les différentes éditions.

Rédaction et équipes techniques regimbent en effet de manière récurrente contre l’angle éditorial conféré aux journaux nationaux de France 3. Patrice Machuret dénonce ainsi une « proximité sans relief et des directs sans aucun sens sur les trottoirs » (2) qui transforment les journalistes en simple homme-tronc à la limite du passe-plat.

Dans la ligne de mire, figurent notamment les sujets de « société » et « art de vivre » que la rédaction doit fournir à cadence industrielle. Exemple relevé par un journaliste : la couverture de la vague de froid de février dernier. Celui-ci affirme avoir dénombré 240 entrées (incluant sujets, directs et plateaux) sur ce sujet en douze jours. Une couverture quelque peu disproportionnée qui instille le sentiment chez nombre de journalistes qu’ils sont réduits à faire du « Jean-Pierre Pernaut » ou du « BFMTV » (3).

Le divorce s’installe

83,2% des journalistes votants veulent un nouveau projet éditorial (photo Marc Chaumeil)

Malgré cette grogne chronique, la direction entend pourtant maintenir le cap éditorial qu’elle a enclenché pour France 3. A ses yeux, il n’y a pas matière à contestation aussi radicale de l’empreinte journalistique apportée à France 3 comme le déclare Thierry Thuillier, directeur de l’information de France Télévisions depuis 2010 (4): « France 3, c’est la régionalisation et la proximité avec une offre nationale qui doit correspondre : les dix premières minutes, c’est l’actualité. Ensuite c’est la couleur France 3, l’économie proche des gens, l’éducation, le pouvoir d’achat, la société, l’éducation… Si ça, ça n’intéresse pas des journalistes, il faut changer de métier ».

Face à cette inflexibilité, le divorce entre direction et rédaction nationale de France 3 n’est guère loin d’être radicalement consommé. Pour s’en convaincre, il suffit de scruter en détail les pourcentages enregistrés lors du référendum mené par la SDJ. La lecture des chiffres est édifiante et symptomatique de la divergence profonde sur le traitement éditorial à adopter pour les journaux de France 3. Ainsi, à la question « souhaitez-vous un nouveau projet éditorial », 83,2% des votants sont favorables. Dans la foulée, ils sont exactement le même nombre à juger que l’antenne de France n’accorde pas suffisamment de temps au décryptage et aux formats longs. Inversement, ils sont 72% à penser que les faits divers occupent une place trop prépondérante dans les conducteurs des journaux tandis que sport et culture sont délaissés.

Conclusion – Une bonne nouvelle pour le pluralisme de l’info ?

Quel avenir éditorial pour France 3 ? (photo Jeff Pachoud-AFP)

Doit-on voir dans cette grogne un simple combat corporatiste d’arrière-garde comme parfois les rédactions s’échinent à l’entretenir ? Si la direction de France Télévisions n’est pas loin de le penser, il est toutefois à noter que la désapprobation déborde bien au-delà des détenteurs de la carte de presse. A cet égard, la SDJ a bien pris soin de ne pas ouvrir les hostilités en ne s’appuyant pas que sur les journalistes. Dans le référendum et les assemblées générales qui ont suivi, 96 non-journalistes (techniciens, monteurs, cadreurs, etc) s’affichent ouvertement aux côtés de leurs collègues journalistes et partagent une vision identique sur la déliquescence éditoriale de la chaîne.

Pour Patrice Machuret, la démarche contestataire engagée par les salariés de France 3 vise à préserver l’identité et l’indépendance journalistique de la chaîne même si la politisation des débats affleure çà et là avec en particulier un Thierry Thuillier suspecté d’être un affidé de l’ex-Président de la République selon les mots même de Patrice Machuret (5) : « Thierry Thuillier et son équipe auraient mieux fait de s’occuper de la ligne éditoriale de France 3, plutôt que d’enchaîner les rendez-vous à l’Elysée ».

De fait, les chiffres d’audience ont tendance à plaider en faveur des réfractaires de la rédaction. Dans les panels de Médiamétrie, France 3 enregistre un recul global même si la direction argue que le journal du 19/20 a gagné 400 000 depuis un an soit une part d’audience de 17 ,2% (6).

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Sources

(1) – « Des journalistes de France 3 dénoncent leur rapprochement avec France 2 » – AFP/L’Express.fr – 15 mai 2012
(2) – Augustin Scalbert – « A France 3 national, un référendum étrille la direction » – Rue89 – 11 mai 2012
(3) – « Des journalistes de France 3 dénoncent leur rapprochement avec France 2 » – AFP/L’Express.fr – 15 mai 2012
(4) –  Isabelle Roberts & Raphaël Garrigos – « France 3 rage à contre-courant » – Libération – 18 mai 2012
(5) – Augustin Scalbert – « A France 3 national, un référendum étrille la direction » – Rue89 – 11 mai 2012
(6) – Daniel Psenny – « La rédaction nationale de France 3 craint une absorption par France 2 » – Le Monde – 16 mai 2012



2 commentaires sur “Rédaction de France 3 : Plus belle la ligne éditoriale ?

  1. phoenix  - 

    Bonjour, j’ai attentivement lu votre contribution sur « Le Plus » de l’Obs et je souhaite y répondre ici.
    Votre analyse se tient mais elle prend hélas totalement le parti des journalistes réfractaires comme vous les appelez. La rédaction de France 3 est la plus frondeuse du pays (une motion de défiance tous les deux ans depuis 25 ans) et pour qui l’indépendance se situe à gauche toute. J’aurais aimé que votre analyse soit plus équilibrée entre les différents points de vue.
    J’aimerais donc revenir sur un certain nombre de points que je conteste. Tout d’abord, ce n’est pas 70.4 % des journalistes mais 70.4 % des votants. Idem pour les non-journalistes. La participation à ce référendum de la SDJ a été assez faible, il faut bien le dire et les chiffres doivent être repris au regard de cette participation.
    Plusieurs autres remarques : la télévision publique évolue aujourd’hui dans un paysage audiovisuel de plus en plus large et concurrentiel avec de plus en plus de chaînes. Dans ce contexte, France Télévisions doit avancer groupé et arrêter de gaspiller son énergie et ses nombreux atouts. La mutualisation des moyens de production répond à cet enjeu car il faut en finir une bonne fois pour toutes avec ces gaspillages comme l’envoi de trois ou quatre caméras et autant d’équipes sur une même lieu. Le groupe doit développer des synergies et la réforme de France Télévisions en entreprise unique est une bonne chose quoi qu’on en dise. Le processus est long pour en arriver là mais quand il sera achevé, tout le monde applaudira. J’en fais le pari.
    En outre, je ne vois pas au nom de quoi la stratégie éditoriale mise en place durant les deux tours de la présidentielle a été mauvaise. France 2 et France 3 n’avaient pas à se faire de l’auto-concurrence et la stratégie a payé puisque France 2 a réalisé ses meilleures scores depuis 15 ans, devançant TF1 et renouant avec son glorieux passé de chaîne référente sur l’information. C’est un énorme succès pour Thierry Thuillier dont vous omettez bizarrement de souligner cette réussite. L’offre d’information de France 2 s’est considérablement développée sous son impulsion et il est faux de dire qu’il y a atermoiements tout comme il est faux de dire aussi que les sujets internationaux et européens sont réduits à la portion congrue. Le JT de 20h a trouvé un vrai cap.
    Quant à France 3, son maillage régional n’était pas très utile pour une élection présidentielle. Il l’est pour les élections locales et le sera par conséquent pour les prochaines législatives (vous verrez à ce moment-là que France 3 sera bien mieux mise en valeur) mais pas pour une présidentielle.
    Je note enfin une grosse contradiction dans vos propos concernant les audiences des JT de France 3. Vous ne pouvez pas d’un côté souligner la baisse d’audience du « Soir 3 » (à vérifier ceci dit) et dire de l’autre que les journalistes ont raison de réagir. Relisez bien les résultats du référendum de la SDJ. Le « Soir 3 » est le seul journal à ne pas avoir vu sa ligne éditoriale critiquée. Elle est majoritairement acceptée contrairement aux deux autres éditions de la journée.
    Quant à la progression d’audience du « 19/20 » alors que la chaîne baisse de manière générale, elle montre que la stratégie Thuillier pour France 3 n’est peut-être pas si mauvaise que ça…
    Voilà en gros ce que j’avais à dire. Je vous remercie de m’avoir lu.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour
      Merci pour votre exhaustif commentaire qui offre en effet un autre point de vue concernant la politique éditoriale de France 3.

      Au sujet de la participation des journalistes au vote, le taux a été effectivement relativement faible : 59,24% exactement. A moduler toutefois avec les incitations et pressions détournées pour qu’une grande partie de l’encadrement s’abstienne de voter. Pour autant, l’analyse exprimée par les votants, se retrouve également parmi les encadrants. Simplement, ceux-ci ont nettement moins le loisir de dire ouvertement leur vision des choses au risque de se mettre en porte-à-faux avec la direction.

      Concernant la mutualisation de la production, celle-ci n’est pas remise en cause par les journalistes. Relisez les déclarations de plusieurs membres de la SDJ et vous verrez que ceux-ci sont d’accord avec le fait d’éviter des doublons inutiles sur la couverture de certains événements.

      De même, je ne vous suis pas sur votre point de l’auto-concurrence de France 2 et France 3. Je suis un provincial et j’apprécie d’avoir des zooms plus précis sur ma région d’origine, la façon dont le vote s’est orienté même pour une présidentielle. Seule France 3 est en mesure de fournir pareille couverture. Les deux chaînes ne sont pas antinomiques et peuvent harmonieusement cultiver une identité éditoriale propre. La RAI en Italie ou la BCC en UK y parviennent. Pourquoi pas France Télévisions.

      Enfin, sur les audiences, je vous confirme que celles de France 3 sont bien à la baisse depuis plusieurs mois d’affilée (http://www.lexpress.fr/actualite/media-people/media/tf1-france-2-france-3-et-canal-a-la-baisse-en-mars_1103187.html). Les JT ne sont pas seuls en cause et France 3 n’est pas la seule chaîne à subir ce recul mais force est de constater que la stratégie menée ne porte guère de fruits pour relancer France 3. D’où le sentiment d’abandon et de casse qui prévaut parmi les journalistes.

      Merci à nouveau en tout cas d’avoir contribué et lu le billet. Cordialement

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