L’écran TV se connecte au social, les téléspectateurs aussi ?

Dernier écran à ne pas être encore totalement social, la télévision est en train de profondément muter sous la conjonction d’acteurs industriels persuadés du potentiel de la TV connectée et de télénautes déjà friands d’applications interactives. Une conférence du CFPJ Lab a fait le point le 6 juin à Paris avec plusieurs témoins de cette évolution de fond. Et en prime, un focus très intéressant sur l’expérimentation de télé interactive menée par France 5 dans l’émission C dans l’air depuis le 17 avril dernier.

Après celui de l’ordinateur, du téléphone mobile et de la tablette, l’écran de télévision s’apprête à expérimenter à son tour la connectivité avec Internet. Techniquement, c’est déjà une réalité depuis 2010 avec plusieurs constructeurs renommés qui proposent des téléviseurs connectables au Web. Le Simavelec, syndicat des industries de matériels audiovisuels électroniques grand public et professionnels, recensait en 2011 l’équivalent de 175 000 postes connectables vendus sur le marché français soit 20% de part de marché. A une nuance près toutefois, 20% d’entre eux seulement sont réellement activés et effectivement connectés au Web soit un parc s’établissant à 60 000 récepteurs.

Une tendance industrielle lourde

Avec la TV connectée, le télénaute prend le pouvoir sur les flux et les services

Même si la TV connectée touche encore majoritairement des « early adopters », la tendance à la hausse ne se dément pas au fil des ans. Pour 2012, le Simavelec table d’ailleurs sur une part de marché de 40% pour les téléviseurs connectables.

Si l’observe les usages télévisuels en vigueur Outre-Atlantique, l’on constate en effet  que 38% des foyers américains ont déjà fait de la TV connectée, une réalité quotidienne.

Cette petite révolution technologique insufflant la connectivité du Web au cœur de l’écran de télévision entraîne dans son sillage un formidable renversement de paradigme dont on est encore loin d’avoir exploré toutes les potentialités. Une chose est néanmoins acquise : le flux traditionnel de la diffusion de masse à un horaire unique d’un programme unique (broadcast) va devoir cohabiter de plus en plus avec la délinéarisation de la diffusion où cette fois, l’internaute décide du contenu qu’il regarde et du moment auquel il le regarde (unicast).

Nombreux sont d’ores et déjà les acteurs à s’être engouffrés dans la brèche pour préempter le marché émergent de la TV connectée. Les fabricants de téléviseurs (dont Samsung, LG, Sony, Toshiba, Panasonic et Loewe sont les plus avancés) proposent maintenant différents services Web interactifs via une interface propriétaire. Les opérateurs et FAI leur ont également emboîté le pas avec la mise sur le marché de boxes encore plus évoluées embarquant des services similaires disponibles pour leurs abonnés. Sans oublier les consoles de jeux comme Xbox 360 de Microsoft et PlayStation 3 de Sony qui, outre le fait de donner accès à des jeux en réseau, offrent une passerelle vers la TV connectée.

Un marché embryonnaire déjà disputé

Qu’avait en tête Steve Jobs pour sa TV connectée ?

Si les fabricants de terminaux ont vite dégainé, ils sont loin d’être les seuls. Les éditeurs de contenus vidéo et d’applications interactifs manifestent également des ambitions affirmées dans cet écosystème en plein chambardement. Déjà présents par l’intermédiaire de boîtiers à connecter au téléviseur, Apple et Google fourbissent une riposte télévisuelle autrement plus conséquente d’ici fin 2012. Pour la firme de Cupertino, les rumeurs font état d’une « iTV » qui dupliquerait sous forme de téléviseur, le concept à succès de l’iPhone, de l’iPad et de l’AppStore. Quel que soit le terminal dégainé au final, il est évident qu’Apple entend jouer un rôle phare dans le marché de la TV connectée et de ses contenus.

Google est aussi dans la course. Après une première expérimentation de TV connectée peu couronnée de succès aux USA, le géant de Mountain View s’apprête à revenir en force avec une nouvelle version de sa Google TV, un système d’exploitation ouvert embarqué dans des téléviseurs et s’inspirant en cela de l’approche du système Android dans la téléphonie mobile et les tablettes. Google est d’autant plus un compétiteur sérieux qu’il détient par ailleurs la célèbre plateforme vidéo YouTube qui sera à terme un fantastique canal de consommation de contenus vidéos pour la TV connectée … et un support publicitaire sans commune mesure !

Face à cette inexorable transformation de l’arène télévisuelle, les grands diffuseurs français ont à leur tour embrayé avec des services Web comme la vidéo à la demande (VàD) et la télévision de rattrapage (catch-up TV) qui figurent aujourd’hui parmi les plus plébiscités par les télénautes. Toutefois, ces services ne sont qu’un avant-goût de la transformation des usages qui se profilent en termes de TV connectée.

Pour Laurent Amar, rédacteur en chef du site La Télé Connectée, la dimension sociale est appelée à prendre un vigoureux essor : « On constate sur les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter que la recommandation est un puissant levier pour populariser des programmes. De même, le phénomène du « double screening » a émergé ces derniers temps avec des téléspectateurs qui regardent une émission et commentent sur leur tablette via Twitter ».

France 5 dans l’air du temps interactif !

L’ergonomie est le point clé de succès d’une appli TV interactive

Cette pénétration croissante de la « social TV » est précisément ce qui a conduit France 5 à mener une expérimentation grandeur nature de télé interactive avec son émission vedette « C dans l’Air » présentée par Yves Calvi. Depuis le 17 avril, les téléspectateurs peuvent interagir avec le plateau de l’émission grâce à une application sociale disponible depuis leur écran de télévision. Seule condition requise : disposer d’un téléviseur compatible avec la norme Hbb TV et branché sur la TNT.

Pendant la diffusion de l’émission, le télénaute se voit proposer une bannière en pop-up qu’il lui suffit de confirmer depuis sa télécommande. A partir de là, il peut répondre à un sondage en direct, poser des questions aux invités d’Yves Calvi, consulter leur fiche biographique et leurs ouvrages tout en regardant le débat en direct.

Au-delà des incontournables prérequis techniques qui doivent garantir une diffusion sans faille de l’application, l’effort a également porté sur l’ergonomie de celle-ci. Mathieu Dubreu, TV business technologiste chez Atos Worldline qui a développé le service interactif avec France 5, insiste vivement sur ce point : « L’ergonomie est un point crucial de l’efficacité de l’application. La navigation doit être accessible et intuitive qu’il reste devant son écran. Dans le cas contraire, le téléspectateur zappe et est perdu pour l’émission en question ».

Vers une télévision augmentée ?

L’appli Viewrz permet de viraliser en direct des contenus diffusés à la TV

Pour Eric Scherer, directeur de la prospective et de la stratégie numérique de France Télévisions, en appelle d’autres pour les chaînes de la télévision publique : « Nous testons quantité de choses pour favoriser l’émergence de nouveaux usages télévisuels. La TV connectée est évidemment une opportunité de proposer une télévision « augmentée » où le télénaute va pouvoir accéder à de multiples contenus contextuels, enrichir sa connaissance et échanger avec ses pairs ».

A cet égard, l’expérimentation effectuée par l’émission « C dans l’Air » est parfaitement transposable pour de nombreux autres formats TV comme les retransmissions sportives, les émissions de télé-réalité et de télé-crochet. Si la télévision permet déjà depuis plusieurs années de voter en direct par SMS ou audiotel pour son candidat préféré, jamais elle n’avait encore permis une interaction plus profonde, notamment en permettant les commentaires en parallèle de la diffusion et les partages de contenus entre communautés.

C’est dans cette optique que Guillaume Rivals, cofondateur de la start-up Viewrz. Cette jeune pousse numérique a mis au point une application qui permet de créer des extraits de vidéos à partir d’émissions télévisées que l’internaute regarde pour les partager ensuite sur les réseaux sociaux. Le jeune entrepreneur est convaincu que la viralité et le buzz qui s’ensuit seront la clé du succès des programmes de demain. A ses yeux, le diffuseur n’est plus le seul « éditeur » des contenus diffusés mais également le télénaute qui aura envie de faire connaître à sa communauté des contenus qu’il a aimés.

Conclusion – La télé nouvelle est (presque) arrivée ?

La TV connectée d’après Séverin Millet-Téléram

De toute évidence, la TV connectée est appelée à grandir. Entre l’appétence croissante des téléspectateurs pour une interactivité accrue où ils pourraient même acheter en direct ce qu’ils viennent de voir sur leur écran et des acteurs du marché particulièrement dynamique pour concevoir la TV nouvelle, la révolution des usages et des contenus télévisuels est indéniablement en marche.

La conférence du CFPJ Lab n’a fait que confirmer cette tendance mais elle a également esquissé un sujet épineux et consubstantiel à cette transformation radicale qu’industrie de la musique et presse écrite ont déjà vécu de façon pas toujours très heureuse. Cet achoppement potentiel réside dans la question des droits d’auteur et de diffusion des contenus.

A cet égard, Eric Scherer a été très pragmatique : « Pour nous France Télévisions, il ne s’agit évidemment pas de mettre des remparts ou des sacs de sable pour nous protéger des évolutions. Au contraire, nous entendons jouer un rôle actif dans la TV connectée. Pour autant, on ne peut pas occulter la question des droits qui a des implications économiques fortes ».

Quelques lectures complémentaires utiles

– Eric Scherer – « Social TV summit : la télévision a quitté le téléviseur » – Meta Media – 25 mai 2012
– Olivier Ezratty – « France Télévisions continue à innover sur HbbTV » – Opinions Libres – 25 avril 2012
– Erwann Gaucher – « La télé connectée existe-t-elle déjà ? » – Cross Media Consulting – 3 octobre 2011
– Benoît Raphael – « Déconnecter la TV » – La Social Newsroom – 3 novembre 2010 –