Langage 2.0 : 3 cartes bancaires pour les jeunes passées au crible

L’institut de la Qualité de l’Expression a présenté le 21 juin le dernier volet de son étude sur la marque conversationnelle à l’heure des réseaux sociaux. Trois enseignes bancaires étaient cette fois sur le grill analytique des sémiologues de l’Institut. Bilan des observations : de réels efforts entre la marque et ses clients mais aussi des incohérences et des digressions hors sujet. Résumé des points clés à retenir.

Comment nouer durablement une relation digitale personnalisée avec une cible jeune lorsqu’on est une banque à l’aura si statutaire et à l’image si souvent suspicieuse ? Comment appréhender les codes linguistiques qui feront mouche sans pour autant prendre le risque de plaquer un langage abusif ou déconnecté qui ne serait pas issu des marqueurs génétiques de l’entreprise ? C’est cette épineuse équation que trois marques bancaires se sont efforcées de résoudre pour promouvoir et engager le dialogue autour de leur carte jeune.

L’Ecureuil invite à l’esprit d’équipe

Partenariat et proximité pour la carte Esprit JO de l’Ecureuil !

Pour séduire les jeunes avec sa carte « Esprit J.O », la Caisse d’Epargne s’est d’emblée placée dans un registre discursif où les notions de participation et de relation sont les maîtres mots incarnés par le partenariat de la banque avec 19 athlètes français en compétition pour les J.O de Londres en juillet 2012.

A travers notamment une page Facebook dédiée, la marque adopte une posture d’intermédiaire complice entre les compétiteurs et la jeune clientèle. Les premiers racontent des petites anecdotes à leur sujet tandis que les seconds peuvent interagir en déposant des commentaires et narrer à leur tour leurs récits sur des thèmes suggérés par l’Ecureuil. Le tout est soutenu par un vocabulaire volontairement engageant, proche et convivial.

La démarche relationnelle est intéressante mais les linguistes de l’Institut notent quelques dissonances par rapport à l’intention affichée. Par exemple, le « vous » à connotation plus distante est omniprésent dans les contenus et atténue la complicité. De fait, il introduit une certaine dépersonnalisation là où justement la marque voudrait jouer la proximité. De même, la banque recourt aux athlètes pour parler de hausse des taux directeurs. Un mélange des genres pas forcément adéquat tant le thème relève plus de l’expertise de l’établissement bancaire plutôt que d’un sportif de haut niveau.

Attention au grand écart verbal !

La Banque Populaire vampirisée par NRJ !

Ce risque de décalage est l’un des pièges qui guettent les marques dans leur signature sémantique. Dialoguer est une chose mais le véhicule discursif doit savoir rester dans l’univers d’expression de la marque. Sinon, c’est le grand écart qui guette, voire une totale confusion vis-à-vis de la clientèle. Cette ornière linguistique, la Banque Populaire y est précisément tombée en instaurant le dialogue autour de sa carte NRJ. Sur le site événementiel et la page Facebook, on sent nettement une volonté de divertir une cible de jeunes en martelant le partenariat unissant l’enseigne bancaire et la station de radio musicale.

Problème : le ton adopté pour faire vivre la marque sonne résolument « people » et « djeuns » à tel point que la marque bancaire est totalement vampirisée par l’ubiquité de celle de la radio. Le divertissement est certes présent mais le discours de la Banque Populaire est totalement noyé par la débauche verbale de « fun ». Ce point est d’autant plus frappant que le site de la banque opère sur un registre beaucoup plus sobre et  à mille lieues de l’ambiance du site de la carte NRJ.

Mozaic, Crédit Agricole et langage unique ?

Ton équilibré pour la carte Mozaic du Crédit Agricole

Pour lancer sa carte Mozaic M6, le Crédit Agricole a su en revanche éviter cet écartèlement sémantique où l’identité de la marque finit par être diluée par les artifices marketing de l’opération de promotion. Sur le site, on perçoit un effort notable pour alterner harmonieusement un contenu ludique avec des prestations plus pédagogiques et didactiques où la banque assume pleinement son image. Les verbes incitatifs comme « émancipez-vous » côtoient des verbes plus châtiés, parfois un peu injonctifs mais sans le côté « débraillé » qu’on peut relever chez Banque Populaire.

Les contenus récréatifs proposés sont de surcroît subtilement mêlés à des contenus de marque plus sérieux comme le jeu « Kompany » qui permet de simuler la création d’une entreprise et de s’initier ainsi aux règles basiques de la gestion d’un compte. Le tout étant supporté par une dimension sociale avérée avec une présence sur Facebook, YouTube, DailyMotion, Twitter et FlickR. Même si tout n’est pas parfait par endroits, le Crédit Agricole s’en sort avec mention dans son objectif de délivrer un contenu riche, ouvert mais conforme à ses valeurs de marque bancaire.

Conclusion

Au total, l’étude sur la marque conversationnelle menée par l’Institut de la Qualité de l’Expression a englobé quinze marques issues des secteurs bancaires, voyagistes et cosmétiques. Si les horizons, les objectifs et les cultures peuvent différer, il en ressort en revanche que les marques ne peuvent faire l’économie d’un dialogue réel et non factice sur Internet où la relation avec la clientèle se met à la fois à la portée de celle-ci tout en sachant incarner ce qui fait l’essence d’une marque et qui donne au final l’envie au consommateur de la privilégier ou non par rapport à une autre.

Pour Jeanne Bordeau, présidente de l’Institut de la Qualité de l’Expression, « les premiers critères d’une relation bien établie se fondent sur une signature sémantique qui apparaît dès les neuf premières secondes, sur une aisance d’accès (aux newsletters, blogs, réseaux sociaux) et sur une marque qui se distingue en ayant un ton qui la caractérise et sait interpeler en restant dans l’univers d’expression de la marque ».

Autres billets du Blog du Communicant 2.0 sur le même sujet

– « Cas d’étude croisés : Quel langage de marque pour les cosmétiques et les voyagistes en ligne ? » – 23 mai 2012
– « Communication 2.0 : good news, l’art du langage redevient stratégique » – 30 septembre 2011

Pour en savoir plus

– Lire le livre de Jeanne Bordeau – « Entreprises et marques : les nouveaux codes de langage » – Editions d’Organisation – 2010
– Ecouter les chroniques de Jeanne Bordeau sur Canal Académie, site francophone des académies