Note de lecture : Les Strauss-Kahn de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin

De la sidérante descente aux enfers de Dominique Strauss-Kahn, tout nous a été conté dans le moindre recoin. A cet égard, le livre des deux journalistes du Monde ne recèle aucun scoop inédit. En revanche, il procure une pertinente mise en perspective d’une trajectoire politique trop aveugle de ses faiblesses pour ne pas s’achever un jour dans l’ornière du scandale.

Au-delà la trame maintes fois narrée par les médias et les réseaux sociaux, l’ouvrage de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin constitue également un intéressant cas d’étude pour les experts de la communication. Tant dans la construction minutieuse de l’envergure présidentielle de DSK que dans l’occultation des pièges et des failles menaçant le candidat, le célèbre quatuor d’une énorme agence parisienne a constamment agi comme des spin doctors persuadés de pouvoir immanquablement  tordre le cou à la réalité et d’imposer leur champion par la seule force de leur rouleau compresseur communicant.

Ce que j’ai aimé

Une enquête rétrospective qui se lit comme un roman

L’ensemble se lit d’abord remarquablement bien. Il associe avec cohérence un ton romanesque et une enquête journalistique fouillée. Il dépeint avec une acuité avérée les caractères des acteurs gravitant autour du couple Strauss-Kahn et les entrelacs relationnels qui se nouent et dénouent à mesure des écarts conjugaux, des ambitions politiques et des révélations médiatiques.

Même si l’on n’est pas un passionné de chronique politique, le livre entraîne avec vigueur dans un univers palpitant digne des meilleures sitcoms haletantes de suspense. On a beau déjà connaître l’issue de cette incroyable carrière déliquescente, on reste captivé par l’assemblage méticuleux du puzzle qui conduira DSK à l’avanie et l’explosion en vol de sa candidature tellement programmée.

Pour ceux dont la communication est le métier, l’ouvrage des journalistes du Monde est l’opportunité de mieux saisir les ressorts présidant au fonctionnement de la bande des quatre d’Euro RSCG occupés à alimenter le mythe strauss-kahnien et lui coudre un avenir imparable sous les ors de la présidence de la République française. A plusieurs reprises, le lecteur voit disséquées les petites combines argumentaires échafaudées par ce staff dont DSK est totalement subjugué et prêt à jouer la partition demandée.

Ainsi, apprend-on que le billet de pardon d’Anne Sinclair sur son blog après l’aventure de son mari avec une conseillère du FMI, a été en fait directement pesé et dicté par les communicants, convaincus que le pardon de l’épouse trompée était la meilleure parade face aux lazzis et aux attaques des opposants. De même, voit-on souvent l’un des quatre impétrants faire irruption dans les rédactions de journaux ou passer des coups de fils furibards pour tenter de contrôler tel ou tel reportage pouvant porter atteinte à l’image patiemment ciselée par l’agence de communication.

Toutefois, un point est proprement hallucinant dans ce quatuor tout puissant : leur incapacité collective à émettre la moindre alerte, ni l’esquisse d’une critique à l’égard de leur patron et de ses incartades à répétition mettant en péril le dessein qu’ils s’efforcent de lui construire. Tous savent et sont pleinement conscients et pourtant, tous s’obstinent à contourner les problèmes en imaginant des stratagèmes à la limite du déni et en se rassurant avec une batterie de sondages favorables. Or, en communication, nier les obstacles et les mines potentiels revient à se tirer tôt ou tard une balle dans le pied. Peu importe la courbe enjôleuse des sondages !

Ce que j’ai moins aimé

Qu’est-ce qui a pu conduire DSK à détruire l’image « parfaite » ?

L’épilogue du livre laisse quelque peu sur sa faim. Après plus de 260 pages de reconstitution soigneuse des faits et des imbrications, le récit s’achève sur l’élection de François Hollande et un DSK désormais en déshérence. On aurait aimé des deux auteurs une petite analyse prospective un peu plus développée sur le rôle que peut aujourd’hui décemment espérer jouer DSK après ce ratage monumental. On comprend bien qu’il est persona non grata au sein du PS mais quid de la cellule communication qui avait bûché d’arrache-pied pour lui conférer une stature présidentielle ? Continue-t-elle vaille que vaille à défendre les lambeaux d’un scénario vrillé ou est-elle désormais parti vendre ses martingales communicantes à d’autres appétits politiques sans aucun état d’âme ?

Autre point que l’on peut regretter : l’absence de pièces inédites au dossier et surtout de témoignages plus développés de ceux qui ont côtoyé DSK. Cela aurait peut-être permis d’entrevoir encore un peu plus précisément la mécanique psychologique de celui qui avait tout pour réussir un parcours hors normes et qui pourtant, n’a jamais cessé d’en compromettre la réussite en outrepassant plus que de raison les limites de ce qu’un électorat serait prêt à accepter.

Ces points étant précisés, le livre demeure un remarquable travail journalistique qui s’efforce de prendre un salutaire recul après le brouhaha médiatico-politique qui agité la France et la planète. Rien que pour cela, il mérite largement d’être lu et mis en bonne place sur les étagères des bibliothèques de tous les apprentis candidats avides de pouvoir et des communicants peu humbles qui s’illusionnent sur leur infaillibilité à écrire les destins grâce à de la cosmétique, des histoires et des ficelles.

Le passage à ne manquer

Communicant que je suis, je ne peux m’empêcher de signaler le croustillant passage où Stéphane Fouks, président d’Euro RSCG, vante ses immenses capacités d’influence et « ensorcelle » les politiques en mal de conquêtes électorales (pages 116-117) :

A un patron, il raconte avec verve une anecdote politique. Aux ministres, il brosse les coulisses de l’économie. Et laisse supposer ainsi, par un entrecroisement des milieux et des mœurs, sa vaste capacité d’influence. Ces relations incestueuses et si typiquement françaises ne sont pas pour rien dans son succès, mais il sait enrober le tout de citations et de références théoriques : « pour faire ce métier, assure-t-il en souriant, il faut avoir lu McLuhan, Sun Tzu, Machiavel et Jacques Pilhan. Il faut ensuite aimer la science-fiction, c’est-à-dire l’anticipation ».

A Dominique, il fait miroiter cette culture de la modernité qui séduit tant le docteur en économie. « La communication est devenue un métier d’assemblier, de plate-formiste intégrateur, soutient-il devant DSK, il faut comprendre la finance, les relations internationales et les évolutions sociologiques. La politique exige du décloisonnement. C’est une école de communication globale ».

Le pitch de l’éditeur

Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin – « Les Strauss Kahn » – Albin Michel – 264 pages – 19,50 €

Une journaliste adulée par la France entière.
Un homme promis aux plus hautes destinées.
Un couple à qui tout paraît sourire.

Des amis devenus sourds et aveugles.
Une cour de conseillers ambitieux.
Un réseau de complices aux marges du pouvoir.

Les auteurs

A. Chemin & R. Bacqué (photo E. Garault)

Raphaëlle Bacqué est grand reporter et suit l’Elysée pour Le Monde. Elle a déjà publié avec succès en mai 1995 un document sur Chirac au lendemain de son élection. Ariane Chemin est également grand reporter au quotidien Le Monde, après avoir travaillé au services politique et société. Elle est l’auteur de plusieurs livres d’actualité dont « La Femme fatale » co-écrit avec Raphaëlle Bacqué au lendemain de l’élection présidentielle de 2007.

A regarder en complément

Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin par franceinter

A lire sur le Blog du Communicant 2.0

– « DSK et la com’ : Mister Satyre ou Docteur ès économie ? » – 21 septembre 2011
– « DSK et les SMS : Sales draps pour le plan com » – 10 novembre 2011
– « Affaires DSK : la contre-com conspirationniste passe à l’offensive » – 1er décembre 2011
– « Quelle image peut encore espérer DSK ? » – 30 avril 2012



4 commentaires sur “Note de lecture : Les Strauss-Kahn de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin

  1. Cyceron  - 

    Très pertinent, une fois de plus. La dernière phrase est vraiment lumineuse, s’agissant de ces imposteurs de la communication qui vendent du vent. Je doute que le gourou se souvienne de la fumeuse théorie des médias « froids » ou « chauds » du fameux mc luhan…

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