Bad buzz & réputation : Madame Figaro-ci, Madame Figaro-là !

Madame Elise Figaro, vous connaissez ? A moins que vous ne soyez élève de sa classe, collègue d’établissement ou parent d’élève, très probablement pas. Pourtant, cette institutrice blogueuse et geekette sur les bords s’est retrouvée en mai dernier au cœur d’un psychodrame juridico-numérique à cause du magazine Madame Figaro. Histoire d’un bad buzz insensé !

Dans un improbable et mauvais remake digital de « Kramer contre Kramer », le célèbre magazine Madame Figaro menace d’assigner en justice l’indécente contrevenante pour « usurpation d’identité ».

Gourdin tradi contre souris numérique

Madame Figaro vs Madame Figaro (montage photo Slate)

La délicate missive des juristes du Figaro ne badine pas et le ton est comminatoire (1) : « L’usage non autorisé et répété de MADAME FIGARO constitue une atteinte aux droits de propriété intellectuelle (…) Je vous remercie donc de bien vouloir cesser immédiatement tout usage de cette marque dans votre blog ». Et au cas où l’enseignante entendrait faire de la résistance, la publication assène alors sans ambages les conséquences auxquelles elle s’expose (2) : « La contrefaçon de marque peut faire l’objet d’une action civile (…). Les sanctions pouvant atteindre trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende ».

Abasourdie, l’impétrante narre aussitôt par le menu sur son blog, ses mésaventures face au gourdin juridique brandi par son peu conciliant homonyme médiatique. Hébétée mais pas abattue, elle précise pourtant que le titre de son blog, « La classe de Madame Figaro », ne fait qu’emprunter à son patronyme dûment et officiellement inscrit sur le registre de l’Etat-civil français. De surcroît, le contenu de son site est à mille lieues des futilités « lifestyle », « make-up » et « fashion » du magazine papier puisqu’il traite de petites astuces éducatives en vidéo pour mieux apprendre les mathématiques et l’anglais. De même, elle précise que l’audience de son espace social est bien loin de phagocyter les millions de visiteurs de l’auguste titre de presse. Enfin, même graphiquement, il n’y aucune confusion possible entre le blog de la maîtresse d’école et l’hebdomadaire papier glacé des beaux quartiers.

Pourtant,  de tous ces excellents arguments, le magazine Madame Figaro n’en a eu cure. La publication n’entend pas faire un cas d’exception et tolérer un site, même confidentiel, osant porter la même dénomination. L’enseignante l’a d’ailleurs vite compris et écrit de guerre lasse qu’elle va renoncer malgré tout à une opposition de principe (3) : « Je n’ai pas la carrure ni les moyens d’affronter ces gens en justice, j’ai donc pris la décision de modifier le nom de mon blog ».

Victoire à la Pyrrhus

Victoire mais à quel prix ?

Sur le plan de la propriété intellectuelle et des arguties juridiques, l’affaire pouvait en effet techniquement se concevoir (sous réserve malgré tout de prouver de facto le préjudice causé au titre de presse). Madame Figaro obtient donc gain de cause avec son admonestation formaliste. Dans les jours qui suivent, Elise Figaro modifie la têtière de son blog et la rebaptise avec un brin d’ironie : « Les chantiers de l’apprentissage – Désolée pour le chantier, ici on apprend ! ».

En revanche, satisfaits de leur victoire, les cerveaux légalistes et pointilleux du Figaro n’avaient absolument pas intégré la concomitante controverse qui s’est alors déclenchée à leur insu sur les réseaux sociaux et amplifiée avec la publication d’un article sur Rue89. Le magazine est véritablement étrillé par les internautes. La page Facebook est pourrie par des centaines de messages outragés, virulents et colériques d’anonymes qui jugent l’affaire comme étant d’une injustice patente où la loi du plus fort est abusivement appliquée. Les soutiens essaiment un peu partout et devant l’amoncellement de critiques, le service juridique de Madame Figaro entreprend un piteux rétropédalage.

Sur Facebook, la colère à l’égard de Madame Figaro va bon train

Mea culpa à retardement

Halte au feu sur le fil Twitter de Madame Figaro !

Le groupe de presse diffuse un communiqué pour calmer le jeu et apaiser les esprits. Il déclare notamment (4) « regretter le malentendu survenu entre le groupe et Mme Elise Figaro » et tente de se dédouaner en précisant qu’il « n’a fait qu’appliquer une procédure systématique visant à empêcher qu’une confusion ne s’installe dans l’esprit du public, via un ultime courrier d’avocat, qui dans ses termes, a pu paraître trop directif ».

Histoire de se disculper de toute méchanceté excessive, la page Facebook de Madame Figaro bat sa coulpe à son tour (5) : « Engrenage quand tu nous tiens… Comme tout un chacun, nous sommes très attentifs à la protection de notre marque. Dont acte. Nous prenons contact directement avec Mme Figaro pour trouver, nous en sommes sûrs, le moyen de vivre notre homonymie dans la bonne humeur ! ».

Conscient que la réputation du magazine incarnant la bonne société et les belles valeurs en a pris cette fois pour son grade, le titre de presse prend pour finir le soin d’inviter celle qui était encore jusqu’à peu considérée comme un irréductible « parasite », à rejoindre le rang des contributeurs du site (6) : « Si Mme Elise Figaro le souhaite, nous serons heureux de lui ouvrir une tribune libre sur notre site ».

Tempête dans un verre d’eau ou ignorance crasse du Web 2.0 ?

Si elle a dû plier sur l’usage de son patronyme, Madame Figaro la blogueuse a au moins gagné en notoriété !

Dans cette affaire bien peu chevaleresque, Mme Elise Figaro aura au moins gagné une chose positive. L’audience intime de son site qui naviguait tranquillement à une cinquantaine de visites quotidiennes, a bondi au plus fort de la crise à … 26 000 !

Peut-être que l’Education nationale y aura eu l’opportunité de déceler un talent éducatif supplémentaire dans ses rangs et de l’encourager à poursuivre le partage de ses compétences sur son blog ? !

En revanche, Madame Figaro ne sort guère glorifiée de cet épisode d’une psychorigidité inclassable. A la lumière des éléments désormais connus, le dossier est surtout symptomatique d’une ignorance crasse qui continue de persister dans beaucoup d’entreprises à l’égard de la culture numérique. Plutôt que d’essayer d’adopter une attitude plus conciliante et encline au dialogue, la marque s’est d’emblée braquée contre l’institutrice et drapée dans des principes juridiques d’airain. Or, s’il est aujourd’hui un paradigme qui a acquis une ampleur incontournable et irréversible sur le Web 2.0, c’est bien celui de l’éternel théorème de David et Goliath.

En tapant durement et avec des exigences inflexibles sur une blogueuse esseulée et de surcroît peu suspecte d’entacher l’image de Madame Figaro, le magazine s’est assuré un bad buzz d’une stupidité sans nom. Cette histoire doit en tout cas servir d’enseignement à celles et ceux qui sont titillés par le maniement du canon à mouches dès lors que quelque chose cloche à leurs yeux sur la Toile.

L’institution Madame Figaro ne sort guère grandie de sa passe d’armes digitale

Dom B, chroniqueuse sur le Plus du Nouvel Observateur, a finement analysé le fin mot de cet mémorable pantalonnade numérique (7) : « Si Madame avait étudié ses classiques de la communication online, et la liste des bad buzz 2011, elle aurait su alors que les réseaux sociaux raffolent de ce type de bataille, et que l’émotion est sur internet la chose la mieux partagée – il suffit d’un seul clic. Il leur aurait suffi, à Madame Figaro, de réfléchir deux minutes avant, pour savoir que tout le monde ou presque a pour son institutrice une tendre nostalgie, et que Madame Figaro l’institutrice remporterait forcément l’adhésion. Il leur aurait suffi de réfléchir deux secondes, chez Madame Figaro, pour éviter l’écueil de la disproportion qu’il y a à vouloir mener une telle bataille, contre un ennemi d’ores et déjà en position de faiblesse ».

Ce bad buzz et cette réaction épidermique de Madame Figaro soulignent à quel point le marge de progrès demeure immense pour qu’entreprises et marques révisent leurs gammes en matière de communication. Le bon vieux temps des objurgations tonitruantes est révolu. Désormais, seule la conversation prime. Cela n’empêche pas de devoir défendre ses intérêts si abus il y a mais au moins cela exige d’avoir une compréhension plus fine et subtile des mécanismes réputationnels qui sont à l’œuvre depuis l’avènement du Web 2.0 !

Sources

(1) – Rémi Noyon – « Madame Figaro donne son nom à son blog, Madame Figaro menace » – Rue89 – 27 juin 2012
(2) – Blog Big Browser – « Quand Madame Figaro s’en prend à Madame Figaro » – Le Monde – 27 juin 2012
(3) – Elise Figaro – « The F word ou la coccinelle contre l’éléphant » – Blog Les Chantiers de l’Apprentissage – 24 juin 2012
(4) – Blog Big Browser – « Quand Madame Figaro s’en prend à Madame Figaro » – Le Monde – 27 juin 2012
(5) – Rémi Noyon – « Madame Figaro donne son nom à son blog, Madame Figaro menace » – Rue89 – 27 juin 2012
(6) – Communiqué de Madame Figaro du 28 juin 2012
(7) – Dom B – « Madame Figaro et le bad buzz : un cas d’école pour ceux qui négligent les internautes » – Le Plus du Nouvel Observateur – 28 juin 2012

A lire en complément

– Fabien Jannic-Cherbonnel – « Affaire Figaro : Une marque peut-elle vous poursuivre pour homonymie ? » – Slate – 29 juin 2012