Bad buzz : Starbucks boit la tasse sur Twitter

Le 16 juillet dernier, une mésaventure corsée a plongé la célèbre chaîne américaine de salons de café dans un embarras sans précédent en Argentine. En cause : un tweet maladroit qui a heurté la fierté « gaucho » et déclenché un bad buzz sans précédent sur les réseaux sociaux argentins.

Au-delà de la prolifération des critiques assassines qui n’ont pas manqué, cette crise souligne également l’importance du facteur multiculturel dans la pratique de la communication 2.0. Retour sur l’événement.

Bonne intention ne fait pas loi

Le tweet fatal de Starbucks

Au départ, l’intention du community manager de Starbucks était louable. Soucieux d’informer sa clientèle sur la soudaine absence des tasses et mugs siglés Starbucks dans certaines enseignes argentines et leur remplacement ponctuel par des contenants vierges de tout logo, il a décidé de jouer la carte de la transparence sur le fil Twitter de Starbucks Argentine (1) : « Pedimos disculpas, ya que debido a un quiebre temporario de stock, en algunas tiendas se están utilizando vasos y mangas nacionales. Saludos » (Nous nous excusons qu’en raison d’une rupture de stock temporaire, certains magasins utilisent des tasses et des manchons nationaux. Salutations).

Pourtant, ce qui pourrait passer de prime abord pour une anodine phrase d’excuse envers les adeptes de Starbucks, s’est aussitôt avéré être une quasi insulte envers les consommateurs argentins. Ainsi donc, Starbucks était en train de leur dire sans gants qu’il utilisait à défaut de mieux, des produits fabriqués localement en remplacement de traditionnels contenants importés depuis les Etats-Unis. Vu de Seattle, le berceau mondial de Starbucks, il s’agissait juste d’appliquer les règles classiques du service client à l’américaine lorsqu’un produit vient à manquer dans un magasin. Mais vue de Buenos Aires, l’excuse fut perçue comme vexatoire, voire impérialiste pour les plus énervés.

L’Argentine 2.0 se défoule

Défoulement intégral sur la Toile argentine !

Sitôt l’émission du fameux tweet effective, le fil Twitter de Starbucks a reçu une bordée d’injures et de moqueries tous azimuts. Très vite, un « trending topic » s’est créé avec un hashtag dédié :  #pedimosdisculpas (#nousnousexcusons).

Là, chacun s’en est donné à cœur joie pour étriller l’attitude de Starbucks qui sous-entendait (involontairement certes) par son message que les produits locaux n’étaient que des pis-allers. D’aucuns demandaient même ironiquement quand l’entreprise allait maintenant s’excuser d’employer des salariés locaux et de parler espagnol !

Autant dire que le branle-bas de combat fut très vite instauré côté RP chez Starbucks devant cette malencontreuse boulette culturelle. Sans attendre, l’enseigne américaine a réagi sur Twitter et Facebook en battant sa coulpe (2) : « Nous nous excusons pour le message de ce matin. Nous comprenons vos commentaires et tenons à préciser que notre intention était de vous dire que nous utilisions temporairement des produits différents de ceux habituellement proposés dans quelques magasins. Cela fait suite à une rupture de stock due à une erreur de planification interne. Nous travaillons en permanence pour fournir le meilleur à nos fans (…) ».

La presse hispanophone ayant immédiatement fait ses choux gras de ce baz buzz, Starbucks a poursuivi le rétropédalage en faisant monter au créneau le directeur général de Starbucks Argentina, Diego Paolini pour estomper la crise et calmer la virulence des réseaux sociaux. Dans une interview accordée au quotidien généraliste El Mundo, il tente de relativiser l’erreur (3) en précisant que « 70% des produits sont d’origine nationale », que la « funeste » phrase est le fruit « d’une erreur de rédaction » et de conclure que tout cela découle « d’une erreur dans les qualités achetées à notre fournisseur qui a causé une pénurie que nous voulions expliquer ».

La chimère de la com’ globale à tout prix

Gros danger quand la com’ ne se conçoit que globalement

Certains jugeront peut-être que cette polémique numérique n’est qu’une négligeable tempête dans un verre d’eau à cause de susceptibilités patriotiques mal placées. A l’ère de la mondialisation de la communication des grandes entreprises internationales, la tentation d’homogénéiser les messages et les pratiques est effectivement largement répandue. Résultat : fort de sa vision stratégique globale, quelqu’un concocte au siège les éléments de langage qui doivent ensuite s’appliquer en toutes circonstances et qui sont supposés régler les demandes émanant des marchés locaux.

Si séduisante et rassurante soit-elle sur le papier, cette approche n’est surtout qu’une pure chimère communicante que des spécificités liées à un écosystème local n’ont aucun mal à battre en brèche. La mésaventure vécue par Starbucks est là pour en attester. En réagissant promptement, Starbucks a d’ailleurs bien saisi le caractère potentiellement toxique de l’erreur pour sa réputation en Amérique latine. Une réputation d’autant plus cruciale que le cafetier américain nourrit d’ambitieuses visées sur ce continent en matière d’expansion commerciale. Déjà implanté dans la région avec 560 magasins (4), l’entreprise projette l’ouverture de 300 nouvelles enseignes en Argentine et 300 au Mexique d’ici 2015 et plusieurs centaines d’autres au Brésil pour les cinq années à venir.

Or, dans un continent sud-américain où sentiment anti-Yankee et fiertés nationales sont prompts à affleurer, le bad buzz argentin tombait extrêmement mal. Ceci d’autant plus que l’Argentine n’hésite pas dans divers domaines commerciaux à imposer des barrières protectionnistes pour préserver son économie locale.

Conclusion – Ecouter et s’adapter

Le cas Starbucks doit inciter à la vigilance

Aucune entreprise n’est à l’abri des déboires enregistrés par Starbucks en Argentine. Particulièrement celles qui s’obstinent à penser et organiser leur stratégie de communication sous le seul prisme mondial. Qu’un socle commun corporate articule les différentes entités est évidemment indispensable pour éviter de brouiller l’image globale et donner de la cohérence. Néanmoins, ce socle ne doit en aucun cas mettre sous l’éteignoir les particularismes locaux au risque sinon de se prendre les pieds dans le tapis et de se faire vilipender avec virulence sur les médias sociaux.

Ceci est d’autant plus capital qu’une étude réalisée par Satmetrix en janvier 2012 a mis en évidence que seulement 49% des entreprises d’envergure mondiale se préoccupaient des conversations sur les réseaux sociaux tandis que 28% ne le faisaient jamais. Or, une autre étude menée par American Express en février 2012 montrait en parallèle que 46% de sa clientèle nord-américaine n’hésitait pas à débouler sur les réseaux sociaux officiels de l’entreprise pour faire part de ses frustrations et ses expériences négatives !

Ajoutez à cela des paramètres culturels liés aux sensibilités nationales, communautaires, politiques, religieuses, etc … et vous obtenez un parfait cocktail potentiel pour alimenter des crises sur les réseaux sociaux et endommager parfois gravement et durablement la perception d’une entreprise ou d’une marque. A cet égard, le bad buzz de Starbucks doit inciter à une humble vigilance de tous les communicants en charge d’une communication à périmètre international.

Sources

(1) – Anna Heim – « Starbucks apologizes to its Argentine customers on Twitter and Facebook, creates PR crisis » – The Next Web – 16 juillet 2012
(2) – Melissa Agnes – « Starbucks’ Lesson: A Social Media Attack Can Arise When Least Expected » – Business 2 Community – 18 juillet 2012 (3) – Nazaret Castro – « Starbucks se disculpa por servir café en vasos argentines » – El Mundo – 18 juillet 2012
(4) – « Starbucks outlines Latin America growth plans » – Reuters – 20 juin 2012
(5) – « Brands Ignore Negative Social Buzz at Their Peril » – E-Marketer – 16 juillet 2012

Autre billet du blog du Communicant 2.0 sur Starbucks

« #Occupy Wall Street : des marques peuvent-elles se prévaloir d’un mouvement contestataire ? » – 14 octobre 2011