OM & Joey Barton : Quand la presse sportive frôle le carton rouge

Joey Barton, l’ultra « bad boy » du football anglais peut remercier son communicant attitré d’avoir transformé son  transfert à l’Olympique de Marseille en opération cosmétique de rédemption d’un gars finalement pas si méchant. Tous les médias français ont plongé. Deux poids, deux mesures ?

Souvenez-vous ! A peine l’Euro 2012 achevé, plusieurs joueurs de l’équipe de France de football étaient aussitôt voués aux gémonies pour des attitudes déplorables allant des grossièretés agressives envers les journalistes jusqu’au refus de saluer son partenaire entrant en jeu en passant par du dilettantisme provocateur et des insultes à l’arbitre. Pas un média français n’avait alors manqué de se transformer en procureur inflexible pour fustiger les sales gosses tricolores et les enjoindre de revenir à plus d’exemplarité. Cette belle unanimité journalistique intervenait à juste titre tant la conduite déplorable de Nasri, Ben Arfa, Menez et M’Vila était inacceptable.

Face à ce concert solidaire de récriminations justifiées, l’image du football français allait enfin pouvoir être expurgée de ceux qui la ternissent effrontément et parfois impunément. Il suffit de relire les éditoriaux de L’Equipe et de France Football pour se convaincre qu’une nouvelle ère pouvait dignement s’ouvrir sous le signe du respect et de la probité. Les chatoyantes promesses n’auront tenu que le temps d’un mercato estival.

Une hagiographie indécente

José Anigo, directeur sportif de l’OM, est en extase devant son « bad boy »

Petite frappe multi-récidiviste du football, Joey Barton a débarqué le week-end dernier sur la Canebière auréolé d’une admiration médiatique très étrange au regard des objurgations sentencieuses dont fut frappés le quatuor rebelle du Onze tricolore. Même si les médias n’ont pas occulté les tristes faits d’armes du Britannique  sur les terrains et en dehors, ils l’ont en revanche présenté comme un brave garçon, certes un peu rugueux et brut de fonderie mais en fin de compte un gars authentique et sans chichis. Et si on arrêtait un peu l’imposture ?

La présentation officielle de la nouvelle recrue marseillaise a donné lieu à une avalanche d’épithètes lénifiantes où Joey Barton finirait presque par passer pour un Bisounours cabossé et égaré sur les pelouses de football. Comme si sa suspension actuelle de 12 matchs pour une double agression commise sur le terrain contre deux joueurs de Manchester City l’an passé n’était plus qu’une aimable pochade. Les premières déclarations du joueur furent à cet égard totalement surréalistes (1) : « J’ai été souvent stupide. Il faut que je répare un peu les dégâts. Mais je ne suis pas méchant au fond. En Angleterre, ils ne le savent pas, j’espère qu’en France on va me juger équitablement ». Et José Anigo, directeur sportif de l’OM, d’entonner à son tour la complainte du surgé débonnaire (2) : « Il a une approche où le sport passe avant le fric, c’est rafraîchissant. On a discuté et on sait que les arbitres vont le regarder de près. Il faut avoir confiance en lui. On n’a pas à lui dicter sa conduite. Il faut lui faire confiance ».

Mais au-delà du discours résilient de circonstance de la recrue et de son nouveau club, c’est surtout l’étonnante cécité des médias français à l’égard du personnage. Les reportages consacrés à cet OVNI du ballon rond sont en grande majorité d’une indulgence stupéfiante. Certes, on évoque bien ses frasques multiples. Impossible de passer sous silence un palmarès de coups, bagarres, séjour en prison et blessures amplement plus fourni que son modeste pedigree sportif. Il n’en demeure pas moins que le ton se veut plutôt primesautier avec en filigrane, l’idée qu’une rédemption du p’tit gars turbulent né dans les bas-fonds de Liverpool est toujours possible.

Quasiment, aucun média n’a évité ce travers éditorial. Même le Canal Football Club d’ordinaire volontiers critique notamment par la voix du sémillant Pierre Menès s’est livré à une interview de Joey Barton d’où il ressort que c’est en fin de compte un bon type. Limite même un chic type.

Lui au moins, c’est un vrai mec !

Sur son site Web, Barton cultive à l’envi le culte du « bad boy »

Pourquoi cette sympathie fascinée ? L’argument clé martelé en boucle et abondamment claironné par Barton lui-même laisse pantois : il est authentique. Lui au moins n’est pas obsédé par le fric déversé dans le football, lui ne s’exhibe pas à coups de bagnoles de sport flamboyantes, de montres bling-bling et de fringues fashion victim. Non, il est resté ce 100% prolo élevé à la dure dans les quartiers déshérités de Liverpool.

Et pour cultiver sa légende de mec qui ne se la joue pas, Joey Barton ne lésine pas sur les moyens et les grosses ficelles communicantes. Son site Internet est révélateur du personnage. Il s’y décrit complaisamment comme (3) « un footballeur, ex-taulard, râlant contre les célébrités, roi de la philosophie du football, père aimant et voyou violent, le tout en un ». Bref, un super-héros des temps modernes qui honnit le factice et la frime des autres stars du football. Un costaud pur et dur qui se résume ainsi avec provocation dans une interview donnée un an auparavant au magazine spécialisé So Foot (4) : « Si quelqu’un m’en colle une, je réponds comme un homme. Moi je ne suis pas une pute ».

Sur son fil Twitter, on retrouve pareille forfanterie oscillant entre la provoc’ d’arsouille des rues et des envolées pseudo-philosophiques où il s’emporte contre le système. Ancien footballeur professionnel passé également par l’OM et aujourd’hui chroniqueur sportif pour le Times, l’Irlandais Tony Cascarino n’est pas dupe de cette comédie « borderline » (5) : « Moi, je n’y crois pas. À mon avis, il tombe sur des idées, des phrases qu’il trouve brillantes et il les répète. On peut tous le faire. Ça ne marche pas avec moi. Derrière, il fait des choses tellement stupides. Ça n’a pas de sens ».

La parole est à l’accusation … mais pas trop !

Ousmane Dabo avait eu la malchance de croiser la route de Joey Barton

Ousmane Dabo avait eu la malchance de croiser la route de Joey Barton

Devant un tel fêlé bravache et droit dans ses crampons qui revendique sa rugosité de tous les instants, il aurait été quand même appréciable de nuancer un peu les traits de Barton complaisamment dessinés par la presse française. Le moins qu’on puisse est que les médias n’ont guère forcé dans le témoignage contradictoire. Cà et là, des prises de parole ont toutefois tenté d’instiller un peu de rationalité et d’éthique dans cette hagiographie aveuglée et aveuglante du vilain garçon.

Ainsi, le président de l’Olympique Lyonnais, Jean-Michel Aulas, a-t-il timidement susurré sur le plateau du Canal Football Club qu’ « on aurait pas pris ce risque-là. On a une ligne directrice, on essaie d’avoir des partenaires, c’est un ensemble. Il y a des choses qu’on peut faire, qu’on ne peut pas faire. On ne l’aurait pas pris ». Qu’en termes choisis, ces choses-là sont dites !

Le seul finalement à s’insurger devant tant de laxisme journalistique fut au bout de quelques jours l’ancien international français et ex-coéquipier de Barton, Ousmane Dabo. Ecoeuré par les propos récents de l’Anglais qui persiste à crier son absence totale de regrets pour les violents coups assenés pendant un entraînement (ce dernier a failli perdre un œil, Barton avait été condamné à 4 mois de prison avec sursis et 30 000 € d’amende et 6 matches de suspension), le Français est sorti de ses gonds.

Pour lui, le numéro médiatique de Joey Barton flirte avec la supercherie (6) : « Il ne faut pas se tromper, il est en train de soigner sa communication. Ce n’est pas la première fois qu’il agit ainsi. Quand il met un coup de genou à Agüero, il le fait encore par derrière. Je n’appelle pas çà un homme. C’est un vicieux, un traître. J’ai parfois l’impression qu’on est en train de lui dérouler un magnifique tapis rouge (…) Je parle pour rappeler aux gens que Joey Barton est un joueur très violent, loin de l’image qu’il essaie de donner depuis son arrivée à Marseille ».

Conclusion – Même traitement pour tout le monde, SVP !

Veut-on du « folklore » bagarreur de Barton en France ?

Il est franchement regrettable que la presse sportive et même généraliste se soit laissé embarquer dans le storytelling à la Charles Dickens que Joey Barton leur a concocté. Les mêmes (ou presque) qui agonissaient la bande des 4 chenapans de l’Euro 2012 ou qui allumaient sans compter les mutins de Knysna en 2010, se sont soudainement mués en jeunes filles pré-pubères intimidées roucoulant des yeux enamourés par la réputation sulfureuse et hypnotique du voyou des pelouses.

Où est la cohérence éditoriale de ceux qui appelaient encore récemment à une discipline accrue des joueurs ? Comment peut-on être aussi laxiste à l’égard d’un Barton dont le CV judiciaire est sans commune mesure avec n’importe quel autre footballeur ? Même s’il ne s’agit pas d’anticiper sur de futurs ou pas nouveaux actes délictuels de Joey Barton, il conviendrait quand même d’avoir un peu plus de pudeur et de pertinence lorsque pareil profil débarque dans le Championnat de France.

Ceci d’autant plus que Joey Barton va également porter le maillot d’une cité phocéenne gangrénée par la violence et les assassinats à répétition. Je comprends qu’on puisse vomir le football business aseptisé. Pour autant, il n’est pas question de se prosterner devant des joueurs dont le seul « talent » consiste à fracasser des jambes pour récupérer des ballons et s’en vanter ensuite pour cultiver une image de mec véritable. Le foot est un sport physique avec des règles de respect de l’intégrité des joueurs. Sinon, quelle exemplarité peut-on ensuite défendre auprès des jeunes pratiquants si les médias s’extasient hypocritement devant ce vil personnage ?

Vous pouvez lire ce billet et bien d’autres sur mon espace du Plus du Nouvel Observateur

Sources

(1) – « Barton : Je ne suis pas méchant » – Eurosport.fr – 2 septembre 2012
(2) – Mélisande Gomez – « Les supporters, eux, sont déjà conquis » – L’Equipe – 3 septembre 2012
(3) –Victor Dhollande-Monnier – « Barton, le bad boy de Marseille » – Europe 1.fr – 31 août 2012
(4) – Alexandre Borde – « Un bandit du football à Marseille » – Le Point – 2 septembre 2012
(5) – Solenn Cherrier – « Cascarino : Barton ? Il est fou ! » – Le Journal du Dimanche – 3 septembre 2012
(6) – Guillaume Dufy – « C’est un lâche » – L’Equipe – 3 septembre 2012