Communication politique : Pourquoi Bernard Tapie fait-il encore recette à Marseille ?

Avec un pedigree pareil, certains auraient jeté l’éponge ou pris leur retraite. Pas Bernard Tapie qui continue de fonctionner aux piles Wonder qu’il avait acquises en 1984. En embuscade pour la mairie de Marseille, le bateleur indéfinissable est crédité de 40% d’intentions de vote dans un sondage BVA. Comment est-ce possible ?

Marseille n’est-elle pas en train de dangereusement brouiller son image en clamant par enquête d’opinion interposée, son envie enamourée de revoir Bernard Tapie aux manettes de la ville ? A l’heure où la cité phocéenne tente de valoriser son statut de capitale européenne de la Culture en 2013 pour faire oublier ses boulets peu flatteurs de corruption, banditisme, meurtres et record de grèves en tout genre qui lui collent aux basques, voilà que ses électeurs s’entichent d’un possible retour de l’ex-président de l’OM comme édile de la 2ème ville de France.

Il lui a suffi de racheter en décembre dernier le groupe de presse de La Provence pour déclencher une cohorte de fantasmes, espoirs et craintes mêlées. En dépit d’une vie rocambolesque où alternent épisodes sulfureux et périodes glorieuses, la réputation de Bernard Tapie continue de fasciner l’âme marseillaise. Quels sont les leviers d’image à l’œuvre derrière cette potentielle rédemption municipale phocéenne ?

Cet héritage qu’est l’OM

Tapie, seul dirigeant à avoir conquis une Coupe d’Europe des Champions

Nul autre que Bernard Tapie n’a su redonner autant de fierté et de joie aux Phocéens qu’en portant un soir de juin 1993, l’Olympique de Marseille sur le sommet du football européen en décrochant au détriment du prestigieux Milan AC, la seule et unique Coupe des Champions que compte encore aujourd’hui  le football hexagonal dans ses vitrines. Ce soir-là, l’OM est à son apogée avec sa clique de stars où se côtoient des grands noms et des génies comme Abedi Pelé, Basile Boli, Rudi Völler ou Didier Deschamps.

Vingt ans plus tard, il ne s’écoule pas une semaine sans qu’OMTV ne fasse une allusion émue à cette épopée entreprise par la volonté d’un seul homme : Bernard Tapie. Depuis cette finale magique, l’homme d’affaires (pourtant parisien d’origine) est auréolé d’un prestige indéboulonnable. Grâce à lui, le nom de Marseille figure parmi les grands d’Europe. Qu’importe si Bernard Tapie et l’OM n’ont pas toujours écrit un feuilleton reluisant comme la piteuse affaire de corruption de joueurs adverses lors du match Valenciennes-OM. Sauf que sur le Vieux Port, les commentaires préféreront souvent y voir une chasse à l’homme politique plutôt qu’une tricherie caractérisée et jugée comme telle par la Justice !

De même, on ne s’éternise pas vraiment du côté de Marseille sur l’épisode 2 de Tapie à l’OM entre 2001 et 2002. A force de voir son nom scandé à gorges déployées au Vélodrome, « Nanard » revint tel un sauveur d’une équipe cahotante. Pourtant, le mythique Tapie ne brillera guère. Premier non-relégable lors de sa saison du retour puis une mollassonne 9ème place la saison suivante feront partir un Tapie sans sa baraka d’antan et surtout en pleine bagarre avec son directeur financier de l’époque. Mais de cela, la légende Tapie sur le Vieux Port n’en retient qu’à peine un entrefilet. D’ailleurs, celle-ci vient de se rallumer en claironnant sur RTL son intention d’amener de nouveaux sponsors pour le club ! C’est Vincent Labrune qui appréciera !

Rebelle et grande gueule

Il a tutoyé le pouvoir mais a toujours gardé sa « gouaille » décapante

L’histoire tumultueuse et rebelle de Marseille ne pouvait ensuite que se marier harmonieusement à l’impétuosité de ce personnage truculent issu d’une famille ouvrière et communiste. Or, même au fait de sa gloire politique comme ministre de la Ville de François Mitterrand, Bernard Tapie n’a jamais mis de l’eau dans son vin. Médiatique et adulé par les classes populaires, Tapie n’a de cesse de cogner verbalement sur l’establishment de droite comme de gauche.

Pas étonnant qu’il parvienne à décrocher aux législatives la 6ème circonscription de Marseille pourtant réputée bastion imprenable de la droite locale et après moult rebondissements procéduriers. Une fois son mandat de député en poche, l’homme en met plein les mirettes à ses aficionados locaux. Il n’hésite ainsi pas en 1989 à faire livrer par hélicoptère et installer une antenne de télévision dans un quartier de Marseille où les habitants ne captaient aucun programme. Le tout sous l’œil impressionné des médias locaux.

Autant dire qu’à Marseille, ville épidermique où il ne faut pas chatouiller l’honneur phocéen et où l’âme de la cité est en perpétuelle rébellion contre le joug centralisateur du pouvoir parisien, un politique providentiel et fonceur comme Tapie ne pouvait que faire mouche. Lui qui de surcroît n’hésite pas à dégommer Michel Rocard aux européennes, clouer le bec au bretteur pourtant chevronné qu’est Jean-Marie Le Pen et bousculer les roitelets locaux.

Faconde entrepreneuriale

Le mythe Tapie encore bien vivace à Marseille (photo AFP)

Sur le plan des affaires, Marseille ne pouvait également que succomber à la faconde de camelot de Bernard Tapie. Avant de brasser des millions et de mener grand train, Bernard Tapie s’essaya à la chansonnette du temps des « yéyés » puis se mua en vendeur de télés. De là est né un appétit féroce de revanche sociale et d’envie de croquer des grandes enseignes de l’univers économique et industriel tricolore, lui le gamin de la Courneuve et du Blanc-Mesnil.

A son tableau de chasse, figurent ainsi Manufrance, La Vie Claire, Terraillon, Wonder, Look et surtout Adidas. Là aussi, qu’importe si la grande majorité de ces opérations financières a été des échecs patentés  conduisant pour certains à d’interminables procédures judiciaires et bagarres homériques médiatico-politiques. Marseille ne retient de Tapie que le flamboyant yacht Phocéa ancré dans le Vieux-Port où l’homme d’affaires recevait en grandes pompes le gratin des médias, de la politique, de la finance et du sport.

Le rachat du groupe La Provence s’inscrit donc pleinement dans cette saga funambulesque qui est le marqueur de l’identité Tapie. On le croit abattu et perdu. Il renaît de ses cendres quitte à endosser d’autres costumes et brouiller les objectifs. Une fois encore, Tapie a dû batailler ferme pour prendre le contrôle du groupe de presse provençal face aux manœuvres du gouvernement et des barons inquiets de sa résurrection. Des anecdotes qui ne pouvaient que nourrir et insuffler à nouveau le mythe Tapie. Pour le moment, l’homme slalome avec délectation et jure grands dieux que la politique, même municipale, n’est plus son ambition. Galéjade séduisante pour 40% d’électeurs marseillais qui aimeraient assister à un énième rebond de ce Tapie décidément à géométrie variable et que seule Marseille peut comprendre.

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