Digital Detox ou accro aux médias sociaux : C’est grave docteur ?

Si 60% des Français admettent se connecter quotidiennement à Internet selon une étude de Médiamétrie en mars 2013, un nombre non négligeable d’entre eux déclare éprouver de plus en plus essoufflement, lassitude et même envie effrénée de déconnexion face à l’emprise croissante du Web  et des réseaux sociaux dans leur existence. Alors que l’ « Always On » était encore brandi jusqu’à peu comme le summum de la « branchitude » techno, une autre tendance émerge : la « Digital Detox » ! Danger ou opportunité ?

Directeur du planning stratégique au sein de l’agence Grand Union (groupe Full Six), Virgile Brodziak a accordé un entretien au Blog du Communicant pour décrypter le phénomène croissant de la « Digital Detox » et identifier les enjeux inhérents par rapport aux usages des internautes mais aussi vis-à-vis des stratégies de communication des marques sur les réseaux sociaux. Avant que saturation ne rime avec déconnexion, voici quelques pistes de réflexion !

Depuis quand et comment est apparu le phénomène du « digital detox » ?

Virgile Brodziak, directeur planning stratégique de Grand Union

Virgile Brodziak : Le phénomène est relativement récent. Les premiers signaux faibles se sont manifestés à partir de 2010 et se sont amplifiés par la suite. Ils coïncident avec la montée en puissance de la connectivité mobile et l’explosion des réseaux sociaux dans la vie des internautes. Lesquels s’équipent en parallèle de smartphones toujours plus sophistiqués et de tablettes connectées. Du coup, la consommation de contenus en ligne est vite devenue quasi permanente pour les plus accros. Tellement permanente qu’elle a progressivement induit des réactions de saturation ou même de rejet chez ceux qui sont incapables de débrancher.

C’est ainsi qu’on a commencé à parler ouvertement de « Digital Detox », c’est-à-dire le besoin physique et mental de décrocher totalement comme l’a fort justement raconté l’auteur et journaliste, Thierry Crouzet en 2011. Il était parmi les « early adopters » passant leur vie sur Internet et il a fini par craquer devant sa surconsommation de réseaux sociaux. Son livre témoignage « J’ai débranché – Comment revivre sans Internet après une overdose » illustre parfaitement ce phénomène de « Digital Detox ».

Ceci dit, le phénomène en soi n’est pas fondamentalement nouveau. On l’a peut-être oublié mais lorsque la télévision est apparue dans les foyers français, on a pu observer des réactions similaires avec des gens qui ne quittaient plus leur petit écran et s’abrutissaient d’images et de programmes. Depuis, nous avons appris à gérer notre rapport à la télévision même si la consommation augmente encore régulièrement. Ensuite, le syndrome « Digital Detox » est en fin de compte quelque chose d’inhérent à la nature humaine. De tout temps, nous avons cherché à nous couper du flux du monde à un moment donné pour retrouver notre souffle, accorder du temps au temps et prendre du recul. La vie d’ermite, la méditation ou les retraites temporaires existent depuis toujours.

Pouvez-vous nous décrire ce qu’est précisément une personne susceptible d’être concernée par le « Digital Detox » ?

Les 25-45 ans utilisateurs intensifs sont les plus exposés au Digital Detox

Virgile Brodziak : Même si les réseaux sociaux sont désormais bien ancrés dans notre quotidien, nous manquons paradoxalement encore de recul par rapport à ceux-ci. En grande majorité, nous nous laissons encore déborder par notre addiction à cette toute récente technologie de communication. Un rapport du Credoc en 2011 soulignait déjà que 41% des internautes français avaient du mal à se passer d’internet plus de 3 jours. Très souvent par crainte de ce que les Américains ont appelé le FOMO (Fear Of Missing Out), c’est-à-dire la crainte de louper une information essentielle et le besoin irrépressible de consulter leurs courriels et leurs timelines toutes les 5 minutes ! Une étude américaine a même mis en évidence que des étudiants, gros consommateurs de téléphonie mobile, continuaient pour la majorité d’entre eux à ressentir les vibrations de leur terminal bien que celui-ci soit éteint ou carrément hors de portée !

Les personnes les plus susceptibles de revendiquer ce besoin de « Digital Detox » se trouvent essentiellement dans la tranche d’âge des 25-45 ans, issus de milieux aisés et toujours enclins à s’acheter les terminaux dernier cri pour rester à la pointe de la technologie et des usages numériques. Ce sont de surcroît des gens qui ont une utilisation massive des réseaux sociaux du fait de leur vie professionnelle mais aussi de leur vie privée très tournée vers l’extérieur. Ce sont parmi ces gens-là que l’on rencontre de plus en plus d’individus qui commencent à déchanter et à éprouver le besoin de lever le pied et de ne plus être tributaires des stimuli digitaux.

Pour certains, on peut même parler ouvertement de « burn-out » digital tellement leur connectivité affecte leur sociabilité, leur disponibilité pour des moments « offline » et leurs capacités à se concentrer durablement sur une activité. Une étude Havas Media de septembre 2012 révélait ainsi que 62% des Français exprimaient l’envie de se déconnecter. Nous sommes donc en présence d’un authentique enjeu sociétal.

Si les symptômes sont de plus en plus tenaces, quelles solutions peuvent aider à décrocher et mieux gérer sa connectivité personnelle ?

Des applications permettent de réguler le flux des messages

Virgile Brodziak : Comme pour toute forme d’addiction, il est impératif de d’abord accomplir un travail sur soi, de prendre conscience de nos excès et de s’appliquer une autodiscipline à l’égard de notre consommation de réseaux sociaux. C’est à cette condition incontournable que l’on peut espérer acquérir un recul salutaire. Ensuite, il faut s’astreindre à des petits règles simples mais efficaces comme accorder des plages horaires spécifiques à nos temps de connexion, avec des fréquences régulières mais suffisamment espacées pour faire autre chose. C’est aussi ne pas consulter notre messagerie ou notre timeline pendant des réunions ou des discussions avec d’autres personnes. Si l’on parvient à accomplir ces petits gestes, on est déjà sur la bonne voie.

Pour déconnecter, il existe aussi des zones sans connectivité !

Pour les cas les plus réticents, il existe des applications de blocage de réseaux sociaux à télécharger sur son mobile ou sa tablette. Gmail, la messagerie de Google, propose même une fonctionnalité qui permet de désactiver la réception de courriels pendant un certain laps de temps. Si cela ne suffit pas, on peut alors s’inscrire à des stages pour apprendre à dompter un usage irrépressible des réseaux sociaux. Cela se développe beaucoup en Amérique du Nord de même que les lieux qui sont privés de connectivité grâce à des papiers peints spéciaux qui stoppent les ondes Wifi ou parce qu’ils se situent dans des zones blanches. Il y a plein d’astuces pour éviter de subir une connectivité trop envahissante.

Dans la revue XXI, l’écrivain Emmanuel Carrère raconte d’ailleurs à ce sujet une anecdote amusante qu’il a découverte lors du forum de Davos. Là-bas, il s’était entretenu avec le PDG de Total, Christophe de Margerie, qui lui déclarait refuser le Blackberry et n’avoir qu’un simple téléphone portable pour appeler son chauffeur ! Autre exemple en mars dernier : une association de libraires français avait organisé une journée de la déconnexion pour favoriser le temps de la lecture de livres physiques. Il existe même aux USA, une journée annuellement dédiée à l’absence de connexion baptisée « National Day of Unplugging ». La revendication à la déconnexion a de beaux jours devant elle !

Cette explosion de la connectivité mobile via Internet et les réseaux sociaux continue pourtant de progresser année après année. Le dernier rapport Technorati l’a bien mis en évidence. N’est-ce pas un risque énorme pour les marques comme pour la pérennité des réseaux sociaux si l’envie de « Digital Detox » s’impose comme un must absolu ?

Les réseaux sociaux ont pris la mesure du phénomène

Virgile Brodziak : A mon sens, il ne s’agit pas de commencer à rejeter systématiquement toute forme de connectivité numérique même si quelques-uns viennent à l’afficher comme un art de vivre autrement ou alors par esprit d’anticonformisme. Toutefois, cela ne concerne qu’une minorité de personnes. Ensuite, les réseaux sociaux eux-mêmes ont compris la problématique et offrent déjà des solutions qui permettent à l’internaute de mieux gérer le flux d’informations qu’il reçoit des marques. Sur Facebook, vous pouvez par exemple limiter les interactions et choisir uniquement les marques qui correspondent à vos centres d’intérêt. Si une publicité vous agace ou ne vous concerne pas, vous pouvez la décocher et indiquer la raison de votre choix. Facebook intégrera cette donnée et vous ne serez plus en contact avec la marque en question.

Plus qu’une question de connectivité et de flux d’information, je crois vraiment que la clé de la réflexion pour éviter un « Digital Detox » radical est la pertinence des contenus et des interactions. En d’autres termes, il s’agit de partager l’information au bon moment avec la bonne personne et selon ses centres d’intérêt. L’énorme avantage du numérique est que l’on peut précisément profiler les attentes et les envies. On n’est pas obligé de recourir au bourrage de boîtes aux lettres comme avec les prospectus publicitaires pour espérer un taux de retour satisfaisant !

A votre avis, les marques et les entreprises qui ont fait des réseaux sociaux, un axe prioritaire de communication, ont-elles autant conscience de ce phénomène de « Digital Detox » ?

Mieux cibler les flux d’info limite les risques de déconnexion

Virgile Brodziak : Le degré de maturité chez les marques peut évidemment varier selon les uns et les autres. Néanmoins, je constate que de multiples initiatives émanant de marques vont dans le bon sens et prennent en compte le phénomène de « Digital Detox ». J’ai par exemple en tête l’opération que la marque d’habillement Diesel a menée fin 2012. Pour gagner une paire de chaussures vintage exclusives, elle invitait les internautes à participer à un concours où ceux-ci devaient s’abstenir de publier quoi que ce soit sur Facebook, Twitter et Instagram pendant 72 heures. Pour cela, il fallait télécharger une application qui mesurait votre passivité sur la période donnée. Si jamais vous ne respectiez pas le contrat, vous étiez hors concours !

J’ai également envie de citer l’exemple de la barre chocolatée KitKat. La marque de Nestlé a conçu avec son agence, une application à installer par les consommateurs qui était intitulée « KitKat Social Break ». Une fois activée, l’application prenait le relais de l’internaute pour publier ses posts et ses mises à jour tandis que celui-ci pouvait profiter pleinement de sa pause KitKat ! Le phénomène de « Digital Detox » n’est donc pas une fatalité si chacun sait faire un usage intelligent et mesuré des réseaux sociaux.

Selon vous, quelles sont les bonnes pratiques de communication que doivent privilégier les marques envers leurs cibles ?

Mieux se connecter signifie aussi savoir déconnecter de temps à autre !

Virgile Brodziak : Ce sont des pratiques très simples de bon sens ! En premier lieu, il s’agit d’élaborer une proposition digitale exclusive et de qualité. Quelque chose qui apporte véritablement de la valeur ajoutée pour la cible recherchée. Cela peut être à travers un prix adapté, un service efficace, un contenu informatif intéressant, une expérience agréable ou un mix de tout ou partie de ces éléments. La réceptivité de la cible sera meilleure s’il y a un authentique effort d’offrir une opération non intrusive et répondant aux attentes. Ensuite, il convient de modérer la fréquence des interactions et de ne pas surcharger les consommateurs. Il est évident que si vous inondez la timeline de quelqu’un ou si vous spammez sa messagerie électronique, vous allez susciter une répulsion qui donnera à l’internaute l’envie de se déconnecter de votre marque. Enfin, il faut particulièrement accorder de l’attention au ciblage avec une granularité de la personnalisation vraiment bien étudiée. Si l’on respecte ces fondamentaux, le « Digital Detox » ne décimera pas les stratégies de communication des marques.

Ceci dit et pour conclure sur une note plus légère, une dose chronique de « Digital Detox » procure un bien fou. Moi-même qui travaille au cœur de la communication numérique, j’en apprécie les bienfaits. L’an passé, j’ai organisé des vacances avec des amis dans un endroit reculé du Tarn dépourvu de toute connectivité. Au début, certains ont râlé. Cette année, tous veulent revenir avec moi ! C’est bien la preuve qu’une fréquentation numérique assumée, maîtrisée et de temps en temps mise entre parenthèses, est la meilleure relation que l’on puisse avoir avec les réseaux sociaux lorsqu’on se reconnecte ensuite !

Pour aller plus loin dans la réflexion

– Gael Clouzard – « Digital Detox : la déconnexion a-t-elle un avenir » – Influencia – 9 avril 2013
– Rémy Oudghiri – « De l’art et des bienfaits de se déconnecter … un peu » – Ipsos Public Affairs – 11 avril 2013
– Tony Schwartz – « What happens when you really disconnect ? » Harvard Business Review – 19 avril 2013
– Sophie Caillat – « Séjours de désintox numérique : y’a pas que les écrans dans la vie » – Rue89 – 23 mai 2013
– Présentation sur le phénomène du Digital Detox par l’agence Dagobert – 2 avril 2013

Digital Detox : tendance déconnexion from Dagobert



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