FNAC : Au-delà du défi financier, c’est aussi un problème d’identité à résoudre

La sanction boursière était prévisible. Dès les premières cotations faisant suite à son retour en Bourse, l’action FNAC a dévissé. Introduite à 22 €, sa valeur était déjà rognée de 13,64% au bout d’une journée. Au-delà des difficultés économiques du secteur et malgré le prosélytisme enthousiasme de son jeune PDG, Alexandre Bompard, l’historique enseigne culturelle peine à cultiver une identité lisible. Pourtant, les atouts d’image existent.

Indéniablement, la FNAC vient de clore un chapitre de sa tumultueuse saga d’entreprise. Depuis 1994, elle était détenue par l’homme d’affaires François Pinault, patron du groupe PPR rebaptisé tout récemment Kering pour signifier le recentrage de son conglomérat sur le luxe et l’équipement sport et lifestyle. Dans cette nouvelle optique stratégique, il est évident que la FNAC n’avait plus guère le profil requis pour demeurer aux côtés des Gucci, Yves Saint-Laurent, Balenciaga, Puma et consorts.

Ceci d’autant plus que la FNAC n’a jamais cessé de se débattre avec les crises sociales et les plans de restructuration depuis qu’elle avait intégré le giron de l’empire Pinault. Mise en vente officiellement depuis 2009, l’enseigne n’a jamais trouvé preneur. Le cordon ombilical a donc été coupé par une mise en Bourse depuis le 20 juin pour lui permettre de voler de ses propres ailes. Le défi est possible mais à condition d’extirper la FNAC d’un contexte morose qui colle à la chaîne de magasins. Un profond travail d’image pourrait y contribuer.

Une image brouillée

Retrouver l’ADN qui a forgé la réputation de la FNAC

Longtemps pilier d’une certaine vision du marché de la culture, la FNAC a vu ses fondamentaux d’image se diluer progressivement au fil des décennies et des tâtonnements stratégiques des dirigeants qui se sont succédés à sa tête. A l’orée des années 2000, l’enseigne culturelle entre dans une période de turbulences prononcées avec des plans sociaux à répétition et des mutations douloureuses qui éloignent petit à petit la FNAC de son image de distributeur de biens culturels. C’est notamment l’époque où les rayons informatique et télévision conquièrent sans cesse des mètres carrés de linéaires en magasins au détriment des livres, des disques, des films qui étaient jusqu’alors l’apanage de la FNAC.

Depuis 2010, cette tendance à repousser les produits culturels dans des rayons plus confinés, s’est même accentuée avec l’ouverture d’espaces d’un genre nouveau où les clients peuvent désormais acheter des jouets et des jeux pour enfants mais aussi de la papeterie, des objets de décoration design et du petit équipement électroménager. A tel point que certains esprits sarcastiques affubleront la FNAC du délicat sobriquet de « Fédération nationale des aspirateurs et des cafetières » (1).

Les rayons culture envahis au profit de l’électroménager

A vouloir mordre sur des supposés relais de croissance plus porteurs, la FNAC a endossé le costume d’un vendeur multicartes plus proche d’un Darty que d’un vrai espace culturel et artistique. Si financièrement, cette extension de territoire pouvait espérer générer de la monnaie sonnante et trébuchante, elle n’a en revanche pas véritablement conquis des consommateurs pour lesquels la FNAC s’est banalisée sans forcément être plus compétitive en termes de prix et de produits que les enseignes concurrents.

Cette banalisation de l’enseigne s’est même accélérée à mesure que les sites de vente en ligne, Amazon en tête, ont opéré des brèches monumentales grâce à la dématérialisation croissante des biens culturels. Pourquoi aller perdre du temps en magasin alors qu’il suffit de quelques clics pour télécharger le dernier roman en vogue ? La FNAC a pourtant su se positionner sur le canal de l’e-commerce. Celui-ci pèse 13% de ses ventes (2) et est un des rares acteurs français rentables dans le domaine. Toutefois, l’extension FNAC.com ne jouit pas de la réputation incontournable et quasi-infaillible d’un Amazon.

La FNAC, prochain mort en sursis ?

FNAC : Droit vers un destin à la Virgin Megastore ?

L’image de la FNAC pâtit clairement  d’un paysage où nombre d’acteurs libraires et disquaires prestigieux passent de vie à trépas. Aux USA, la chaîne des librairies Borders a tiré le rideau. En Angleterre, le disquaire HMW a reçu l’extrême-onction et déposé le bilan. En France, les magasins Virgin Megastore sont désormais condamnés à la disparition définitive. Tous étaient des noms emblématiques des circuits du commerce culturel. Tous ont pourtant fatalement trébuché sous les coups de boutoir de nouveaux acteurs digitaux et leur omnipotent chef de file Amazon.

Pour nombre d’observateurs comme de clients, la FNAC est souvent perçu comme le prochain nom à être couché sur l’avis d’obsèques d’un segment commercial totalement chamboulé. Beaucoup pensent que si la FNAC n’avait pas bénéficié du soutien financier d’Artémis, la holding familiale des Pinault et de Kering, celle-ci aurait probablement vu son destin emprunter la même voie funeste que certains de ses confrères et concurrents du secteur. Même s’il tient aussi à rappeler que les plans d’économie drastiques de l’enseigne sont aussi pour quelque chose dans la résistance de la FNAC  L’actuel PDG, Alexandre Bompard, n’occulte pas le soutien de l’ex-PPR (3) : « Kering a procédé à deux abondements de fonds propres qui portent notre trésorerie nette à 422 millions d’euros. Par ailleurs (…), la FNAC n’a pas de dettes ».

Sur le plan strictement comptable, le bilan est par conséquent plutôt satisfaisant dans un contexte global de consommation où les gens rognent volontiers sur l’achat de biens culturels et où le marché des livres, CD et DVD physiques est en déclin régulier. Cédric Ducrocq, PDG du groupe de conseil Dia-Mart spécialisé dans la distribution, estime que l’aspect financier ne suffit pas à redorer l’attractivité de la FNAC (4) : « La question que se pose un investisseur, c’est « est-ce que cette entreprise vaudra plus cher demain qu’aujourd’hui ». Et vu les marchés sur lesquels évolue la Fnac, les investisseurs ne sont pas sereins sur la capacité de rebond de l’enseigne ».

Et si la FNAC réinventait son image ?

Max Théret et André Essel, les fondateurs de la FNAC en 1954

La FNAC a certes plutôt correctement résisté dans un environnement économique dégradé et très concurrentiel. Cette résistance s’est néanmoins produite au détriment de la lisibilité de son positionnement en termes d’image et des perspectives qui sont inhérentes. Cédric Ducrocq estime que sur ce plan, la partie n’est pas totalement perdue (5) : « la Fnac reste une entreprise fantastique par les compétences de ses équipes, et une marque unique par l’attachement de ses clients, même si cette relation s’est affaiblie au cours des 10 dernières années ».

Cet affaiblissement tient en effet au fait que la FNAC s’est dangereusement écartée (souvent pour des motivations purement financières) de ce qui constitue son ancrage profond dans l’inconscient collectif français, à savoir un acteur plutôt disruptif de l’univers culturel qui va au-delà de la simple vente de produits. C’est précisément sur cet art de la disruption que les fondateurs de la FNAC, Max Théret et André Essel, ont pleinement capitalisé en 1954 lorsqu’ils créent la « Fédération nationale d’achat des cadres ».

Outre une politique agressive de prix sur les biens culturels puis plus tard sur les appareils photos, hi-fi, télévision et informatique, la FNAC était une enseigne qui se range ouvertement aux côtés du consommateur en testant elle-même les produits, en éliminant ceux qu’elle juge mauvais et en fournissant du conseil auprès de sa clientèle. Le tout en organisant en parallèle des séances de dédicaces avec des auteurs, des mini-concerts, des démonstrations. Au fil du temps, cet état d’esprit s’est effrité comme le déplore un vendeur (6) : « On nous demande de vendre des extensions de garantie et des cartes de fidélité plutôt que de conseiller les clients sur nos produits ».

La FNAC peut retrouver ses gênes d’ « agitateur culturel »

L’actuel PDG Alexandre Bompard est convaincu que la FNAC peut retrouver son lustre d’antan

Pendant longtemps, la FNAC a brillamment incarné aux yeux du public le concept d’ « agitateur culturel » du fait de ses services peu fréquents ailleurs et de cette capacité à pousser des ouvrages, des produits et autres marchandises parce que ses vendeurs les avaient testés et les jugeaient intéressants pour les acheteurs de l’enseigne. Même si le temps béni des livres et des disques est probablement révolu (du moins dans leur forme actuelle), la FNAC jouit de caractéristiques intrinsèques qui pourraient la remettre sur les rails d’une réputation qui soit autre chose qu’une enseigne de distribution banale, battant un peu de l’aile et perfusée financièrement par son ex-actionnaire majoritaire.

La FNAC peut et doit se réinventer. Dans le récent roadshow qu’il a effectué dans les grandes places boursières, Alexandre Bompard a tracé des perspectives qui montrent que l’enseigne peut prétendre jouer à nouveau les premiers rôles (7) : « La FNAC se doit toujours d’avoir une longueur d’avance dans l’innovation (…) Pour moi, la FNAC doit être l’endroit où l’on découvre les nouvelles générations d’objets connectés ». Tout comme il est possible de s’asseoir sur des banquettes cosy pour lire des BD ou feuilleter des romans, la FNAC peut réenchanter l’expérience en magasins avec des espaces futuristes proposant des démos de produits inédits. Le tout en accentuant encore plus les synergies entre le canal Web et les magasins. Devenir un « agitateur de l’innovation culturelle et numérique » n’est pas un vain fantasme.

La FNAC a clairement les atouts et la légitimité pour incarner concrètement ce rôle. Et Alexandre Bompard de noter (8) : « Nous voyons les grands industriels tels que Samsung ou Microsoft prendre conscience de l’importance du magasin pour démontrer la force de leurs innovations ». Pour la bientôt sexagénaire enseigne, il s’agit en revanche d’affirmer désormais avec plus de force et d’allant cette orientation où espace numérique et espace physique forment un tout cohérent et proposent une expérience enrichissante et différente pour les consommateurs. Peu d’enseignes peuvent autant se prévaloir de cet ADN si spécifique et c’est sans doute là que réside la planche de salut pour la FNAC tant dans son image que dans sa capacité à renouer avec un succès financier solide.

Sources

(1) – Audrey Tonnelier – « Une page se tourne pour la FNAC » – Le Monde – 19 juin 2013
(2) – Philippe Bertrand – « Pourquoi il ne faut enterrer la FNAC trop vite » – Les Echos – 15 octobre 2012
(3) – Philippe Bertrand – « FNAC : Comment Alexandre Bompard veut séduire les investisseurs ? » – Les Echos – 2 juin 2013
(4) – Marie-Pierre Haddad – « Le défi des dirigeants de la FNAC sera de protéger l’entreprise de ses actionnaires » – L’Expansion – 21 juin 2013  (5) – Ibid.
(6) – Audrey Tonnelier – « Une page se tourne pour la FNAC » – Le Monde – 19 juin 2013
(7) – Philippe Bertrand – « FNAC : Comment Alexandre Bompard veut séduire les investisseurs ? » – Les Echos – 2 juin 2013
(8) – Ibid.

A lire par ailleurs

– « Bad buzz : la FNAC frôle le carton rouge » – Blog du Communicant – 29 mai 2013
– Vincent Chabault – « FNAC : histoire d’un militantisme culturel » – Histoires d’entreprises – Décembre 2008