Justice : 3 hommes d’affaires créent des sites Web pour se défendre. Une bonne idée ?

Leurs noms essaiment régulièrement à la rubrique « justice et faits divers » des médias qu’ils honnissent par ailleurs au plus point. Trois hommes d’affaires très controversés ont donc décidé de lancer une contre-offensive numérique pour plaider leur cause avec un site Web entièrement dédié à leur combat. Passage au crible des plaidoiries digitales de Bernard Tapie, Alexandre Djouhri et Loïk Le Floch-Prigent.

A force de voir leur patronyme envahir les gros titres des journaux, trois figures plutôt contestées du monde français des affaires ont tour à tour ouvert un site Internet intégralement dévoué à leur cause face à des médias qu’ils accusent volontiers de calomnie et de mensonge. La tactique communicante n’est pas sans rappeler celle adoptée par, Jérôme Kerviel. Outre défrayer la chronique pour les détournements d’argent dont il était accusé par la banque, l’ex-trader de la Société Générale n’avait alors pas hésité à mettre en place une stratégie de communication bien rôdée avant son procès. Approche qui n’aura pourtant pas réussi à amadouer au final les juges. Aujourd’hui, Alexandre Djouhri, Bernard Tapie et Loïk Le Floch-Prigent se débattent dans des dossiers sulfureux. Ils ont décidé de rétablir en ligne leur version des faits.

Alexandre Djouhri ou le blog tenace

Justice - Web site Djouhri

Le blog d’Alexandre Djouhri

Même si son nom surgit ponctuellement dans la presse, l’homme et intermédiaire d’affaires Alexandre Djouhri a toujours pris soin de demeurer dans l’ombre et d’esquiver les médias bien qu’il les pilonne sans coup férir de droits de réponse et de procédures judiciaires à chaque fois qu’un article lui déplait ou qu’il le juge diffamatoire. Pourtant, depuis juin 2013, ce personnage discret a ouvert un blog à l’adresse suivante : Alexandre-Djouhri.net. (NDLR : pas de lien actuellement car Alexandre Djouhri exige sur son blog qu’on lui demande une autorisation préalable !). Avec un objectif précis qu’il assène ouvertement : « Je tiens à ce que l’on sache que je ne laisserai à personne le droit d’inventer ma vie ».

Sur ce site à la sobriété totale seulement rehaussé par un portrait, l’homme d’affaires affiche clairement la couleur : il n’entend pas laisser les médias lui écrire une vie qui à ses yeux n’est pas la sienne. En guise de preuve, il publie quasi systématiquement tous les droits de réponse qu’il a expédiés aux médias ayant publié des reportages contraires à ce qu’il estime être sa vérité. Même l’encyclopédie collaborative Wikipedia a droit aux oukases du personnage avec la publication de la mise en demeure adressée au site pour rectifier sa notice biographique. Et histoire de mettre les points sur les « i », Alexandre Djouhri va même jusqu’à mettre en ligne un scan de ses casiers judiciaires vierges en France et en Suisse.

Bernard Tapie ou le site coup de poing

Le site de B. Tapie sur l'affaire Crédit Lyonnais

Le site de B. Tapie sur l’affaire Crédit Lyonnais

C’est une démarche extrêmement similaire qu’a empruntée Bernard Tapie devant la tournure médiatico-cataclysmique prise par l’affaire du Crédit Lyonnais. Non content d’avoir micro ouvert dans nombre de télévisions et de radios, le bouillant entrepreneur a créé par l’intermédiaire de son fils Laurent, un site qui se définit comme un espace « d’informations » sur un dossier où les médias et ses adversaires ne l’épargnent guère selon lui. Pour lui assurer une audience maximale, il en a révélé la primeur lors de son interview musclée avec David Pujadas sur France 2 le 1er juillet dernier.

Sur ce site, c’est Laurent Tapie qui est à la manœuvre. En parallèle d’un exhaustif récapitulatif chronologique de l’affaire et une compilation soigneuse des interventions médiatiques de papa, le fils n’hésite pas à rendre coup pour coup aux opposants les plus tempétueux. Il dresse ainsi des portraits au vitriol de François Bayrou, Jean Peyrelevade ou Charles de Courson qui sont les plus irréductibles contradicteurs de l’ex-président de l’OM. Avec là aussi, une obsession et raison d’être unique exhibée en bandoulière : « Pour ceux qui veulent savoir la Vérité sur l’affaire Tapie ». Et d’inviter ainsi à suivre les développements du sujet sur le fil Twitter de Laurent Tapie lui-même.

Loïk Le Floch-Prigent ou le site cri d’alarme

Justice - Web site Le Floch PrigentAncien grand patron de la compagnie pétrolière Elf, Loïk Le Floch-Prigent s’est à nouveau retrouvé sous la mitraille judiciaire en septembre 2012 avec une incarcération au Togo, une accusation d’escroquerie sur le dos avant d’être libéré quelques mois plus tard. Comme pour Bernard Tapie, c’est le fils Vincent qui a choisi de monter au créneau dès janvier 2013 en lançant un site extrêmement documenté pour défendre l’honneur de son pater familias mais également pousser un cri d’alarme au sujet de la santé vacillante d’un homme qui n’en finit plus d’être soupçonné de toutes parts alors qu’il aspire à simplement mener sa vie de consultant. La démarche Web découle par conséquent d’un comité de soutien familial comme mentionné sur la page d’accueil.

Comme pour les deux autres cas, le site a pour vocation de remettre les choses à leur place du point de vue de Loïk Le Floch-Prigent. Et particulièrement de chasser les amalgames et les associations jugées abusives entre la vieille affaire Elf (pour laquelle l’ancien PDG a purgé une peine de prison) et les récents déboires togolais. Pour prouver ses dires, le site n’épargne rien au visiteur. Il regorge d’informations, de tableaux Excel pour justifier les sommes versées, de copies d’articles de presse et même de photos du carcinome dont est atteint Loïk Le Floch-Prigent, expertises médicales à l’appui. Avec en guise de conclusion, une invitation à rejoindre le comité de soutien et/ou s’abonner au fil Twitter depuis juin 2013.

Efficace ou pas ?

Difficile de trouver trace de ces sites sur Google !

Difficile de trouver trace de ces sites sur Google !

A l’heure actuelle, il est sûrement un peu trop tôt pour juger de l’efficience de telles stratégies numériques. En revanche, quelques points surprennent d’autant plus qu’il s’agit pour les trois espaces de faire connaître au plus grand nombre (ou du moins ceux qui s’intéressent aux imbroglios des impétrants) la version de ces trois hommes sous le feu judiciaire. Pourtant, lorsqu’on tape dans Google leurs noms respectifs, aucun de ces sites avocats n’apparaît sur la première page, ni même dans la fiche biographique de chacun sur Wikipedia. Comme si leur référencement n’était pas une préoccupation mais qu’il s’agissait plus d’accomplir un plaidoyer pro domo.

Ensuite, les sites sont inégalement actualisés. Celui de Bernard Tapie a fait long feu. Annoncé en fanfare, le site est pourtant figé depuis le 18 juillet 2013. L’homme d’affaires a pourtant encore de la matière à fournir, ne serait-ce que des extraits de son livre brûlot intitulé « Un scandale d’Etat, oui ! Mais pas celui qu’ils vous racontent ». Pareille frugalité éditoriale se retrouve sur le site d’Alexandre Djouhri qui se borne juste à dupliquer ses admonestations procédurières engagées à l’encontre de la presse. Il n’y a guère que le site de Loïk Le Floch-Prigent pour entretenir un simili de mise à jour des contenus, notamment sur le fil Twitter bien que ce dernier soit muet depuis la mi-juillet.

Alors une bonne idée ?

Attention au possible effet boomerang !

Attention au possible effet boomerang !

En soi, l’idée de vouloir expliquer publiquement et au vu et su de tous sa version des faits n’est pas blâmable. Chacun a le droit de se défendre et de produire les éléments qu’il entend partager pour sa défense et s’inscrire contre les reportages de la presse. A ce jeu rhétorique, Alexandre Djouhri ne prend guère de risque puisqu’il se contente de reproduire les droits de réponse expédiés aux journaux et les allégations qu’il leur conteste. Pour Loïk Le Floch-Prigent, c’est plus le registre du « journal de bord » qui est adopté avec des questions ouvertes qui n’ont pas forcément leur réponse mais qui invitent le lecteur à s’interroger au-delà de la chronique médiatique. Le plus cavalier des trois est sans conteste Bernard Tapie. Le contenu du site est en cela très cohérent avec la gouaille sulfateuse du nouveau patron de presse qu’il est récemment devenu. Le ton est volontiers belliqueux et rentre-dedans.

Au final, qu’espérer de ces espaces d’expression personnelle ? Hormis le fait qu’un meilleur référencement serait largement conseillé au trio s’il veut faire porter plus sa voix, le recours à ce type de stratégie doit être mûrement pesé. Au même titre que les juges de Jérôme Kerviel avaient minutieusement décortiqué son livre en préambule du procès, il est fort à parier que ces sites sont également scrutés de très près par les représentants de la justice et ceux des parties adverses. Autant dire qu’il ne s’agit pas de déraper verbalement, de se perdre dans l’approximation ou l’allégation légère. Sinon, un tel site peut vite se transformer en bourbier communicant et non plus en bouclier de sa propre réputation.

Note de l’auteur : Article inspiré par l’entrefilet de Julien Charbout – « Trois hommes d’affaires se défendent » – Paris Match – 29 août 2013