Microsoft vs Google : Quand la communication joue aux Tontons flingueurs !

Nul n’ignore que Google et Microsoft ne sont pas exactement les meilleurs amis du monde. Depuis plus d’un an, la firme de Redmond cartonne même allègrement son compétiteur de Mountain View à travers une campagne offensive baptisée « Scroogled ». Un cran de plus vient d’être franchi depuis quelques jours avec l’ouverture d’une boutique en ligne de goodies anti-Google sur le site corporate de Microsoft. Querelle de geeks de bac à sable ou stratégie à la limite de l’infowar ?

Vous n’aimez pas Google ? Vous avez envie de le crier haut et fort tel un supporter fier de ses couleurs ? Vous allez alors adorer la dernière initiative cinglante concoctée par Microsoft à l’égard de son rival numéro 1 : l’ouverture d’une petite boutique en ligne commercialisant des mugs, des t-shirts et des sweats bardés de slogans anti-Google accusant ni plus ni moins le géant de Mountain View d’espionner et de voler les données personnelles de ses utilisateurs. Plus gonflé encore, ces pages Web sont désormais hébergés sur le site corporate même de l’entreprise fondée par Bill Gates et Paul Allen. Un croc-en-jambe de plus dans une rixe verbale qui dure depuis 2012.

Quand un géant pilonne un autre géant

Un article négatif sur Google ? Hop, Frank Shaw retweete aussitôt !

Un article négatif sur Google ? Hop, Frank Shaw retweete aussitôt !

Depuis 2012, le côté un peu policé et cravaté de la communication corporate de Microsoft a tombé la veste au profit d’une tonalité débridée qui n’a rien à envier au discours « trash » des spots de campagne des candidats à la présidentielle américaine. Objet désigné de cette artillerie communicante : Google. Il est désormais bien loin le temps où la start-up bricoleuse de Larry Page et Sergey Brin était regardée d’un œil un brin contempteur par son aînée de la high-tech numérique américaine. Aujourd’hui, les deux entreprises se livrent un duel de titan dans divers domaines clés comme le moteur de recherche (Avantage Google), le navigateur Web (Avantage Google), la messagerie électronique (Avantage Google) ou encore le système d’exploitation mobile (Avantage Google). Si Microsoft demeure toujours un mastodonte du digital et de l’informatique, il doit en revanche composer avec ce turbulent acteur devenu à son tour un costaud incontournable.

C’est à l’occasion de l’adoption par Google d’une nouvelle politique de gestion de la vie privée et des données personnelles que Microsoft a choisi de dégainer la sulfateuse. L’entreprise de Redmond s’est alors payé des pages entières de publicité dans les grands journaux américains pour descendre Google en flammes et inciter les consommateurs à privilégier les produits plus respectueux de Microsoft. Cette attaque en règle allait alors être la première d’une longue série ininterrompue à ce jour.

Ce radical changement de ton va d’ailleurs être vite incarné dans un premier temps par Frank Shaw, directeur de la communication au siège mondial de Microsoft. Ancien US Marine comme il le mentionne sur son profil Twitter, le communicant en chef va se lâcher à fond sur sa timeline. Il égratigne ainsi vivement Google pour une histoire de brevets technologiques avant de se moquer ouvertement du nettoyage entrepris par Google dans son portefeuille d’applications au point de créer un ironique cimetière des services Google sur Pinterest.

Le tableau Pinterest composé par le dircom de Microsoft sur les produits "tués" par Google

Le tableau Pinterest composé par le dircom de Microsoft sur les produits « tués » par Google

Une info-war totalement assumée

En dépit des critiques qui n’ont pas tardé à sourdre autant parmi les observateurs de la high-tech que chez les fanas du digital, Microsoft n’a pas pour autant daigné modifier son cap d’opération commando. Mieux, la société de Redmond a délibérément embauché un stratège rompu aux passes d’armes argumentaires pour poursuivre son offensive contre Google. Courant 2012, Mark Penn, ancien conseiller électoral du couple Clinton a rejoint Microsoft comme directeur général des « projets spéciaux et stratégiques » (1). Une arrivée commentée avec détermination par Frank Shaw lui-même (2) : « Si n’importe quel de nos concurrents dit des choses sur nous dont nous pensons que ce n’est pas vrai, nous n’allons pas rester assis le long de la ligne de touche ». Et Mark Penn n’est pas en reste (3) : « Scroogled est un slogan accrocheur pour signifier que Google fouine sur ses consommateurs et vend leurs données privées ».

Scroogled, un site qui étrille sans compter Google

Scroogled, un site qui étrille sans compter Google

De fait, le spin doctor appointé par Microsoft va rapidement sortir un gourdin numérique intitulé « Scroogled » (un néologisme dérivé d’une expression voulant dire « screwed by Google », c’est-à-dire littéralement « niqué par Google » !). Là encore, Google est clairement dans le viseur suite à une modification introduite dans les règles transactionnelles sur Google Shopping pour les vendeurs voulant être référencés. Sous la forme d’un site Web entièrement dédié et discrètement signé Microsoft, les arguments de Google sont étrillés et commentés sans prendre de gants (4) : « Pour dire les choses simplement, les résultats de recherche shopping sont maintenant des publicités payantes ». Autrement dit, plus le vendeur paie, plus il est assuré de bien figurer sur Google Shopping. Une pratique qui va effectivement à l’encontre de ce que Google a toujours affiché pour ses liens sponsorisés apparaissant uniquement en fonction de la pertinence avec la requête de l’utilisateur.

De là, va s’ensuivre une série de campagnes virales à forte dose de vidéos parodiques où sont consciencieusement vilipendés tous les produits issus de Google. Durant l’été 2013 alors que le scandale du programme Prism a éclaté, Microsoft flingue sans barguigner la messagerie Gmail en accusant celle-ci de cacher de la publicité dans les courriels et de spammer jusqu’à l’overdose ses utilisateurs. Seule solution recommandée : passer sous Outlook. Il fallait évidemment y penser !

Du négatif peut-il engendrer du positif ?

Une communication critique peut-elle déboucher sur quelque chose de positif ?

Une communication critique peut-elle déboucher sur quelque chose de positif ?

La virulence des tacles assénés par Microsoft n’a de cesse de surprendre. Et la dernière initiative en date de vendre des goodies faisant du Google-bashing n’a rien à envier aux précédentes attaques. L’un des dirigeants de Microsoft, Stefan Weitz, directeur des services en ligne de Bing (le moteur de recherche de Microsoft), assume pleinement ce côté catcheur rentre-dedans (5) : « Il y a maintenant tellement de bruit dans l’espace média à propos de tout que parfois vous devez être un petit peu plus provocateur. Particulièrement quand vous parlez de quelque chose d’aussi sec que les résultats algorithmiques d’une page de recherche ».

A lire les commentaires outrés ou bien sardoniques des internautes qui n’hésitent pas à relever chez Microsoft les mêmes incohérences que celui-ci dénonce à l’encontre de Google, on peut effectivement se demander si une telle démarche communicante peut s’avérer payante tant l’agressivité des propos est patente même si elle s’efforce d’être argumentée. Pour John Geer, professeur en sciences politiques à Vanderbilt qui a étudié de nombreuses campagnes publicitaires, la teneur négative d’une campagne peut fonctionner même si les personnes déclarent le contraire.

Il explique ainsi (6) : « En général, les pubs négatives sont plus focalisées sur des sujets sensibles et plus orientées sur des faits que les pubs positives. Et même si les pubs négatives tendent à l’exagération, ils jettent une lumière crue sur quelque chose qui est essentiellement vrai. Dans ce cas, il s’agit de Google surveillant Gmail et autorisant seulement des résultats payants dans Google Shopping ». Et l’expert de poursuivre son analyse en concluant (7) : « Microsoft joue gros en critiquant Google. Mais une des choses qu’ils font qui est vrai dans leurs attaques publicitaires, est qu’ils disent la vérité. Ce n’est pas comme s’ils mentaient. Ils informent le marché ». Le fait est qu’il est effectivement admis que les résultats de Google Shopping sont payants et que Google scanne les messageries Gmail pour cibler la publicité.

Le boomerang n’est-il pas déjà en route ?

Attention aux possibles retours de bâton !

Attention aux possibles retours de bâton !

Bien que ce soit assez surprenant, Google a toujours réagi de manière plutôt timorée. A chaque attaque de Microsoft, le géant de Mountain View s’est contenté de diffuser ses indécrottables communiqués fades et brefs où sont à nouveau débités les éternels refrains enthousiastes sur les produits Google. Le lancement de la boutique en ligne de Microsoft n’a pas échappé à la règle. Google s’est borné à pondre une petite phrase mi-figue mi-raisin (8) : « La nouvelle démarche de Microsoft n’est pas une surprise, la concurrence dans le secteur des dispositifs portatifs est vraiment en ébullition ». Une façon de dire que Google préfère se concentrer sur ses vrais produits plutôt que faire du buzz à peu de frais.

Cependant, Google ne pourra pas continuer à systématiquement esquiver les banderilles argumentaires plantées à intervalles réguliers par Microsoft. Si le géant de Mountain View mise sur le fait qu’en n’engageant pas franchement la joute verbale, le rôle du « bad boy » mauvais perdant échoira à Microsoft uniquement, il se trompe lourdement. A force d’être chiche en explications concrètes et de se planquer derrière des formules primesautières où Google ne fait que le bien de ses utilisateurs, il n’est pas sûr que cette ligne minimaliste soit tenable éternellement. Avec le scandale Prism, un voile supplémentaire a été levé sur les pratiques des géants du Web américains. Or une grosse partie de leur succès business repose aussi sur la confiance que les consommateurs leur accordent. A toujours jouer à cache-cache, Google n’évitera pas continuellement les balles.

Pour autant, Microsoft aurait tort de croire que la partie est en train de tourner à son avantage. Si la firme de Redmond a le mérite de mettre les pieds dans le plat sur d’authentiques sujets d’intérêt, celle-ci marche toutefois sur des œufs. Le journaliste expert de la Silicon Valley, Danny Sullivan, n’est pas dupe et n’est pas totalement convaincu par les pubs anti-Google (9) : « Malheureusement, Bing est à peine en position de donner la leçon à Google au sujet de la pauvreté de ses règles de confidentialité et de frais pour être référencé alors qu’il affronte les mêmes problèmes ».

C’est là potentiellement le principal point faible dans la stratégie initiée par Microsoft. Si l’offensive argumentaire peut se concevoir pour tenter de prendre l’avantage sur son adversaire, cela suppose en revanche que Microsoft ne traîne pas de cadavres dans le placard. Dans le cas contraire, l’effet boomerang serait terrible et Google ne se priverait sûrement pas d’appuyer ostensiblement sur les plaies ! Néanmoins comme dit Danny Sullivan (10), « la campagne est négative. Cela ne signifie pas pour autant que ce n’est pas un bon point ». Un grand déballage grâce à Microsoft ?

Sources

(1) – Adrianne Jeffries – « Fighting dirty: Microsoft’s mean ‘Scroogled’ ads are a sign of what’s to come » – The Verge – 15 décembre 2012
(2) – Ibid.
(3) – Sean Hollister – « Scroogled: the Microsoft attack ads that treat Google like a political opponent » – The Verge – 22 novembre 2013
(4) – Tom Warren – « Microsoft launches Scroogled anti-Google shopping website » – The Verge – 28 novembre 2012
(5) – Adrianne Jeffries – « Fighting dirty: Microsoft’s mean ‘Scroogled’ ads are a sign of what’s to come » – The Verge – 15 décembre 2012
(6) – Ibid.
(7) – Ibid.
(8) – Audrey Oeillet – « Campagne Scroogled : Google répond à Microsoft » – Clubic.com – 22 novembre 2013
(9) – Adrianne Jeffries – « Fighting dirty: Microsoft’s mean ‘Scroogled’ ads are a sign of what’s to come » – The Verge – 15 décembre 2012
(10) – Ibid.



2 commentaires sur “Microsoft vs Google : Quand la communication joue aux Tontons flingueurs !

  1. Stéphane Torregrosa  - 

    Il y avait déjà la publicité comparative, assez populaires au Etats-Unis, plutôt timide chez nous (à part E. Leclerc, qui l’a vraiment utilisée ?) et maintenant voici la communication négative. Samsung l’utilise pas mal également à l’encontre d’Apple.

    A vrai dire, je ne suis ni fan, ni convaincu de ce genre de procédés. Si microsoft était si fier et convaincu de ses produits et services, aurait-elle besoin d’essayer de faire boire la tasse à ses petits camarades ?

    La place d’outsider dans un marché n’est pas toujours la plus mauvaise. Il faut juste savoir l’exploiter convenablement ! Regardez l’image de stabilité et de révolutionnaire qu’avait Apple alors que Microsoft était à son apogée. Aujourd’hui qu’Apple est au sommet de sa carrière, il jouit d’une image nettement moins confortable.

    Google et Apple, au-delà des petites pics de rigueur dans la course aux dollars, ne participent guère à ces petites guerres et je trouve ça plutôt pas mal finalement. Par contre, leurs clients s’entretuent 😉

    Je découvre votre blog aujourd’hui et c’est un vrai plaisir d’avoir un contenu de valeur, associé à une belle plume bien ajustée ! Félicitations, cela devient (trop) rare.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour Stéphane
      D’abord merci pour vos compliments encourageants ! Ca motive pour la suite !

      Comme vous je suis quelque peu circonspect envers les méthodes de dénigrement. D’autant que cela suppose d’être absolument irréprochable soi-même ; ce qui est rarement le cas de quiconque. Il resterait à savoir un peu mieux comment sont vécues en interne et auprès des utilisateurs ces campagnes marrantes par certains égards mais qui ne font pas forcément avancer le débat de manière constructive ! Cordialement

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