Réputation : Google peut-il s’affranchir de sa controversée image de contribuable borderline ?

C’est peu de dire qu’aujourd’hui, Google est dans la ligne de mire des gouvernements, des régulateurs, des médias mais aussi d’associations d’internautes et de consommateurs de plus en plus inquiets du poids ubiquitaire pris par le géant de Mountain View. S’il demeure populaire par l’efficacité, la gratuité et la simplicité géniale de ses outils, l’ex-start-up devenue conglomérat étourdissant commence à sérieusement crisper les acteurs de son écosystème par son omniprésence sans limites, sa puissance financière atomique et sa communication soigneusement verrouillée. Attaqué de toutes parts (parfois injustement ou de façon très opportuniste), Google se doit pourtant de changer de posture au risque sinon de devenir l’ennemi n°1 à abattre en termes de réputation.

Google - Stratégie secrete couv du JDDDimanche dernier dans les kiosques français, le Journal du Dimanche affichait sans complexes à sa Une : « La stratégie secrète de Google ». Derrière ce titre un tantinet anxiogène, le journal dominical étendait éventer les ambitions d’omnipuissance qui habiteraient actuellement la société fondée en septembre 1998 par Larry Page et Sergey Brin. Ce n’est certes pas la première fois qu’un média titille l’aspect céphalopode de Google. Depuis des années, n’est-il pas déjà surnommé la Pieuvre du Net par ses détracteurs à travers la planète entière pour sa propension à embrasser sans cesse de nouvelles activités parfois très loin de son territoire originel qu’est l’algorithme de son moteur de recherche.

Seulement, à force d’investir à tour de bras et sans discontinuer tous les pans de la vie quotidienne des consommateurs et des sociétés sans forcément être très prolixe sur ses intentions ultimes, Google suscite des fantasmes croissants (pas toujours avérés mais potentiellement sources de crises sévères à venir). A cet égard, la Une du JDD est symptomatique de cette défiance qui germe un peu partout envers Google, y compris dans le berceau natal de la Silicon Valley. Pour de nombreux observateurs, son atavique slogan « Don’t Be Evil » tend à se muer en « Could Be Evil », voire en « Already Evil » pour les plus virulents. Après avoir été porté aux nues pendant plus d’une décennie, Google pourrait fort bien vivre à son tour les turbulences réputationnelles qu’IBM et Microsoft eurent à subir en leur temps. Le sujet de l’évitement fiscal n’est pas le moindre des enjeux.

Moteur de recherche cherche paradis fiscal absolument

Google episode 1 - schema defiscalisationA l’heure où l’on prête l’intention à Bercy de procéder à un potentiel redressement d’un milliard d’euros à l’encontre de Google pour impôts indûment non acquittés en France, la pomme de discorde fiscale colle de plus en plus aux basques du géant de Mountain View. Partout où il implante des bureaux et notamment en Europe, la multinationale fait grincer les dents des percepteurs nationaux. En plus de la France, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie s’agacent également de cette tendance à esquiver les taxes nationales via de subtils (mais légaux) montages financiers. Même l’OCDE enjoint le G20 à contrer plus activement l’évasion fiscale à grande échelle des stars du Web américain dont Google est l’un des parangons les plus proéminents.

Bien que Google soit loin d’être la seule entreprise à être pointée du doigt (Apple, Amazon, Facebook et d’autres n’ont rien à envier en matière d’optimisation fiscale à tout crin, voire Yahoo qui vient d’émigrer ses structures sous le ciel clément du fisc irlandais), Google est probablement celui qui exacerbe le plus les critiques. Trimestre après trimestre, il continue sans faillir à battre des records de chiffre d’affaires tout en affichant paradoxalement des revenus annuels en France dignes (1) d’une grosse PME (138 millions d’€ en 2011 officiellement déclarés contre 1,4 milliard estimé par les experts). Forcément, une telle insolente santé financière a de quoi énerver plus d’un acteur économique qui s’acquitte régulièrement de taxes et de charges dont s’exempte si habilement Google. Dans ces circonstances, comment ne pas souscrire à la remarque acerbe de Jacques-Antoine Granjeon, PDG du site Vente-Privée.com (2) : « Nous subissons la concurrence déloyale de toutes ces sociétés américaines qui profitent des optimisations fiscales européennes. On ne peut pas le leur reprocher, cette optimisation est légale (…) Avec Vente-privée, nous payons par exemple plus d’impôts en France que Google, Apple, Facebook, eBay et Amazon réunis, c’est un gag ! Cela freine nos investissements, nos embauches, notre politique de motivation des collaborateurs, etc… ».

Si Google est d’autant plus ciblé en priorité par ses contempteurs, c’est aussi en grande partie à cause des déclarations fracassantes et un poil arrogantes d’Eric Schmidt, longtemps président de la société devenu désormais son « ambassadeur itinérant ». En 2012 lors d’une polémique au Royaume-Uni, il n’avait ainsi pas hésité à dire (3) qu’il « était très fier du système d’optimisation fiscale que nous avons mis sur pied. Nous l’avons fait en fonction des avantages que les gouvernements nous offrent pour opérer ». Force est de reconnaître que Google utilise à son avantage les énormes failles européennes en matière d’harmonisation sans jamais franchir la ligne jaune. Il n’en demeure pas moins que la remarque fier-à-bras d’Eric Schmidt a de quoi indisposer en cette période de disette économique et faire apparaître Google comme une société pas autant citoyenne qu’elle le proclame. Des études ont montré qu’en 2012, Google est parvenu à ramener son taux d’imposition mondial (hors Etats-Unis) à 3,2% de ses revenus tandis que le taux moyen en Europe oscille entre 26% et 34% (4).

Et si Google … ?

Google episode 1 - tax IRSEt si Google arrêtait de faire des effets de manche chroniques où il se pare de ses plus jolis atours financiers ? Et s’il acceptait de travailler conjointement et concrètement avec les autorités européennes pour accoucher d’une révision plus équitable des efforts fiscaux entre sociétés américaines et européennes ? Même si évidemment l’opération n’est pas sans coût sur sa florissante trésorerie, le géant pourrait au moins mettre un coup de frein notable à cette perception croissante qu’il gagne des milliards et des milliards sans réellement assumer ses responsabilités citoyennes dans les pays où il est implanté.

Or, aujourd’hui encore, Google répète à l’envi l’astuce communicante du généreux donateur pour tenter de gommer cette image peu valorisante d’as de la défiscalisation. Régulièrement, il consent des investissements conséquents en France à grands renforts de publicité. Ce fut le cas avec la création du nouveau siège parisien et ses annexes (un centre de R&D et un Institut Culturel) qui se chiffrait en centaines de millions d’euros ou plus récemment le fond d’aide de 60 millions d’euros accordé à la presse pour accomplir la transition numérique. Si ces dotations sont d’indéniables vecteurs de création de valeur, il n’empêche qu’aux yeux de l’opinion comme des influenceurs, le sentiment que le compte n’y est pas, est plus tenace que tout. Il ne s’agit pas certes de racketter Google et d’en faire un trop facile bouc émissaire mais simplement de rappeler les engagements citoyens qu’une entreprise doit à sa communauté d’adoption. C’est d’ailleurs l’essence du message qu’a voulu faire passer Jacques-Antoine Granjeon.

Sources

– (1) – Martin Untersinger – « Apple, Google … les astuces anti-impôts des géants du numérique » – Rue 89 – 27 novembre 2012
– (2) – Delphine Cuny – « Vente-Privée paie plus d’impôts que Google, Apple, eBay et Amazon réunis » – La Tribune – 10 février 2014
– (3) – Nikhil Kumar – « Google boss : I’m very proud of our tax avoidance scheme» – The Independent – 13 décembre 2012
– (4) – « L’optimisation fiscal de Google fait scandale au Royaume-Uni » – L’Expansion.com – 5 mars 2013



2 commentaires sur “Réputation : Google peut-il s’affranchir de sa controversée image de contribuable borderline ?

  1. contenu web offshore  - 

    Un très bon article sur la réputation de Google. Malgré tout, Google est souvent le premier outil que les gens utilisent pour s’informer. Je suis tout à fait d’accord avec votre analyse que je n’hésite pas à le partager avec mes amis. Merci pour toutes ces informations.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci ! Google reste d’un incomparable efficacité en termes de recherche sur le Web et dans bien d’autres domaines. Mais cette efficacité ne saurait à elle seule alimenter la réputation de l’entreprise confrontée à des problématiques et des questions sociétales sur lesquelles des réponses et positions plus développées seraient appréciables.

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