Monsanto parviendra-t-il à modifier la génétique de sa réputation calamiteuse ?

En dépit d’une image actuellement calamiteuse dans l’opinion publique, Monsanto demeure un leader mondial incontesté et écrasant de la biogénétique. Néanmoins, le conglomérat qui aime à se dépeindre comme le bon samaritain expert de l’agriculture de pointe, va bientôt être à la croisée des chemins. Certains des brevets de ses semences OGM les plus rentables sont sur le point d’expirer et de devoir affronter des génériques. L’entreprise a donc commencé à investir d’autres secteurs comme la préservation de la santé des abeilles ou encore les semences potagères non génétiquement modifiées. Des enjeux cruciaux où la réputation tenace de Monsanto n’apparaît pas d’emblée comme l’atout n°1 pour convaincre les publics et instaurer la confiance.

Pendant de longues décennies, on ne peut pas vraiment dire que Monsanto s’est particulièrement soucié de sa réputation sulfureuse. En dépit d’homériques bagarres médiatiques et juridiques, le géant américain né en 1901 à Saint-Louis au Missouri avec l’invention d’une saccharine artificielle, a toujours avancé tel un bulldozer au gré de ses diversifications industrielles et des polémiques à répétition. Même si la simple évocation du nom de Monsanto suffit à faire dresser les cheveux sur la tête de ses innombrables détracteurs, la firme n’en a jamais vraiment eu cure tant sa suprématie financière et son omnipotence sont gigantesques. En 2013, Monsanto a ainsi encaissé 14 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 2,5 milliards de bénéfices (1) grâce à des marchés bastions inexpugnables comme les Etats-Unis où 90% du soja et 80% du maïs sont issus de ses semences agricoles. Bien que les cultures transgéniques continuent d’assurer un confortable magot, une certaine décélération de la croissance se fait jour incitant la firme de Saint-Louis à s’engager dans d’autres secteurs agricoles sous les regards suspicieux des observateurs.

Le monde selon Monsanto : Tout va bien !

Monsanto - WebsiteOfficiellement chez Monsanto, le monde de l’agriculture de demain est merveilleux et l’entreprise un de ses piliers les plus fantastiques. Il suffit de balader quelques instants sur le site Web corporate de la société pour s’en convaincre. Monsanto œuvre sans relâche et avec technicité pour une agriculture du futur toujours plus performante. A cet égard, le laïus qui ponctue les communiqués de presse de l’entreprise reflète parfaitement la façon dont Monsanto se vit : « Monsanto Company est un fournisseur mondial de premier ordre de solutions technologiques et de produits qui améliorent la productivité des exploitations agricoles et la qualité des produits alimentaires. Monsanto a pour ambition de permettre à des exploitants de petites ou de grandes propriétés agricoles de produire davantage sur leurs terres tout en améliorant la conservation des ressources naturelles de notre planète, comme l’eau et l’énergie ».

Cette vision débonnaire se retrouve également dans la manière de mettre en avant les distinctions que Monsanto parvient à glaner régulièrement. Ainsi, le groupe a-t-il fièrement martelé en mars dernier sa nomination dans la liste convoitée du magazine financier Fortune classant les sociétés les plus admirées du monde, tout en ajoutant que Monsanto était 2ème de son secteur d’activité. Pourtant, lorsqu’on regarde un peu plus en détails le classement établi par Fortune, il est intéressant de noter que Monsanto n’est pas répertorié comme entreprise agricole mais … chimique ! De même, dans le barème de notation, le critère « responsabilité sociale » repousse Monsanto nettement plus loin des premières places. Enfin, Monsanto ne figure pas dans le Top 50 mondial comme pourrait le laissait supposer l’habile libellé du communiqué de l’entreprise.

Ces petites omissions sont le reflet symptomatique de la communication missionnaire de Monsanto. Depuis longtemps, l’entreprise estime qu’elle est injustement incomprise et malmenée par des opposants irréductibles. Répondant au quotidien Le Monde, Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles de la filiale française de l’entreprise, déplorait récemment que Monsanto soit devenu « un nom attractif pour qui veut faire de l’audience » (2). En d’autres termes, l’empereur de l’OGM est un bouc émissaire bien pratique dont on ignore les mérites et les bienfaits.

Un pedigree réputationnel peu reluisant

Monsanto - ManifestantsPourtant, malgré l’obstination de l’entreprise à se sentir l’objet d’un inique dégommage en règle, la réputation peu glorieuse de Monsanto ne surgit pas de nulle part. En 1947, Monsanto apparaît déjà dans la chronique des faits divers avec l’explosion d’une usine chimique au Texas qui fait 500 morts puis d’une deuxième deux ans plus tard en Virginie avec encore des victimes à la clé et des pollutions à la dioxine énormes. A l’orée des années 2000, Monsanto est par ailleurs condamné pour avoir déversé du PCB (polychlorobiphényle), un produit hautement cancérigène dans le ruisseau et une décharge d’un quartier noir d’une ville en Alabama pendant plus de 40 ans !

Dans la série des produits ultra-toxiques sortis des usines de Monsanto, figure également le tristement célèbre « Agent Orange » commercialisé comme herbicide mais également utilisé comme arme militaire lors de la guerre du Vietnam où des tonnes ont été déversées sur les populations locales dont les séquelles graves et invalidantes perdurent encore aujourd’hui. A chaque procès, Monsanto s’entêtera à opposer des études prouvant l’innocuité de ses substances jusqu’à ce qu’on découvre que les résultats étaient surtout biaisés dans le sens de l’industriel. L’entreprise réitérera pourtant les mêmes stratégies avec ses herbicides Roundup et Lasso avec les mêmes effets délétères au final en termes de réputation.

Plus récemment, ce sont avec les OGM que Monsanto a de nouveau fait la Une des médias. En plus des polémiques virulentes autour de possibles effets négatifs sur la santé humaine, le groupe a également été pointé du doigt pour sa politique commerciale impitoyable envers les agriculteurs achetant les semences transgéniques de Monsanto. Ceux qui replantaient l’année suivante sans s’acquitter de redevances étaient implacablement poursuivis devant les tribunaux. En Inde, les prix de ces mêmes semences ayant tellement flambé, des centaines de milliers de petits cultivateurs de coton se sont carrément suicidés à cause des dettes contractées auprès de Monsanto. De fait, avec un pareil pedigree et une attitude où seul l’argent du lobbying de Monsanto fait office de réponse, il n’est guère étonnant que le nom de l’entreprise soit associé à des valeurs maléfiques et ultra-négatives.

Monsanto cherche à jouer la carte « bio »

Monsanto - AbeilleSi les OGM ont procuré un indéniable et confortable succès commercial à Monsanto, cette dernière a toutefois commencé à élargir son terrain de jeu vers d’autres horizons agricoles à l’image nettement moins controversée (en principe !). Ainsi l’entreprise a-t-elle fait l’acquisition en 2011 de Beelogics, une société israélienne de recherche et de protection de l’ADN des abeilles. Depuis les années 90, les scientifiques ont en effet constaté la réduction préoccupante des colonies d’abeille sur la planète, avec un fort soupçon envers les pesticides et autres produits chimiques utilisés dans l’agriculture. Avec ce rachat, Monsanto entend ainsi œuvrer à la préservation des abeilles, éléments fondamentaux dans l’écosystème d’une agriculture durable.

Cependant, en dépit des bonnes intentions affichées par Monsanto, la résistance n’a guère tardé à s’organiser. Nombre de chercheurs, d’associations et d’apiculteurs s’inquiètent publiquement des visées nouvelles de Monsanto qui consisteraient selon eux à devenir propriétaires de techniques permettant de modifier génétiquement des abeilles pour ensuite les revendre à prix d’or lors de la pollinisation des cultures. Des suspicions qui se sont renforcées depuis que Monsanto s’est fortement rapproché de Kona Queen, une société à Hawaï de production de reines d’abeille (3).

C’est en substance à une levée de bouclier similaire à laquelle se prépare Monsanto dans le domaine des semences potagères. En 2005, le groupe a acheté Seminis puis en 2008, De Ruiter Seeds se propulsant ainsi acteur n°1 du secteur. Grâce à son incomparable savoir-faire technologique issu des OGM, Monsanto travaille désormais à élaborer des nouvelles graines mais sans recourir à des modifications génétiques. Cette fois, il s’agit de remettre au goût du jour une technique vieille comme le monde : le bouturage et l’hybridation naturelle en croisant le meilleur de chaque graine pour obtenir des produits agricoles conventionnels mais aux qualités renforcées. Trois produits existent déjà : la laitue Frescada, les poivres BellaFina et le broccoli Beneforté. Face à des réglementations tatillonnes anti-OGM qui éclosent à intervalles réguliers, ces produits présentent un intérêt évident pour Monsanto d’autant qu’ils rapportent déjà annuellement 821 millions de $ en 2013. A l’exception près que pour s’imposer auprès des consommateurs, ils vont devoir regagner la confiance comme le confesse l’un des experts interviewés dans le reportage du magazine Wired (4).

Impasse communicante ?

Monsanto - FrankefoodMalgré les innombrables actions qu’entreprend Monsanto pour redorer son image et regagner en crédibilité dans le domaine de la responsabilité sociétale, l’entreprise traîne indubitablement un boulet réputationnel pachydermique. Si pendant longtemps cette réputation écornée n’a finalement pas trop handicapé le développement du groupe (du fait des colossales sommes injectées en lobbying divers pour contrer les opposants), Monsanto commence à prendre la mesure des obstacles même si le discours corporate demeure encore diablement empreint de langue de bois et de déni.

Plus que jamais, l’opposition est active. Sur les réseaux sociaux, on ne compte les multiples initiatives qui entendent freiner les ambitions de Monsanto. Pour s’en convaincre, il suffit uniquement de taper le nom de Monsanto sur Google pour voir se dérouler quantité d’articles et de sites farouchement adversaires de l’industriel américain. A l’heure où ce dernier tente d’amorcer un virage où l’agriculture durable devient petit à petit une ligne stratégique, il va bien falloir se résoudre à désherber cette réputation funeste qui colle obstinément aux basques de Monsanto. Le pari est loin d’être aisé tant le nom de Monsanto catalyse tous les excès d’un productivisme débridé et d’une cupidité financière sans limites. Cette génétique déviante devra pourtant être modifiée si Monsanto veut rester dans la course.

Sources

– (1) – Lucie Robequain – « Dans les entrailles de Monsanto » – Les Echos – 14 avril 2014
– (2) – Soren Seelow – « Monsanto : un demi-siècle de scandales sanitaires » – Le Monde – 16 février 2012
– (3) –Marie Astier – « Monsanto veut contrôler le business des abeilles » – Reporterre – 3 avril 2014
– (4) – Ben Paynter – « Monsanto is going organic in a quest for perfect veggie » – Wired – 21 janvier 2014