#LDJGate & Synagogue de la Roquette : Les médias doivent impérativement apprendre de leur ratage

En marge de la manifestation pour la Palestine qui s’est tenue le 13 juillet à Paris, des provocations et des heurts ont opposé plusieurs heures durant des groupuscules rivaux aux abords de la synagogue de la rue de la Roquette. Démarrées sur les réseaux sociaux, les hostilités entre les deux camps se sont poursuivies dans la rue avant d’être d’abord dépeintes dans les médias comme une attaque antisémite délibérée de militants pro-palestiniens. Pourtant, quelques jours plus tard, le président de la synagogue dément tout assaut physique de l’édifice après que plusieurs vidéos aient circulé montrant une autre réalité que celle prévalant unanimement le soir du 13 juillet. Plus que jamais, l’information est devenue un champ de bataille où les médias sont des cibles à influencer à tout prix. Décryptage des faits que d’aucuns qualifient de manipulation politico-médiatique.

C’est peu de dire que le conflit israélo-palestinien a toujours été d’une explosivité éditoriale sans pareil pour la presse française. Depuis que la crise entre Israël et le Hamas est montée d’un cran avec l’invasion de la bande de Gaza par Tsahal, les tensions se sont aussitôt avivées comme jamais. Sur les réseaux sociaux, l’affrontement est tout aussi intense. Pour les factions en lice, il s’agit d’imposer son point de vue et de faire basculer le rapport de force en faveur des thèses que chaque camp défend mordicus. Objectif : parvenir à intoxiquer les médias eux-mêmes confrontés à une accélération du temps éditorial où la vérification de l’information devient malheureusement trop aléatoire.

Guerre totale sur la Toile

A cet égard, le quotidien Les Echos a publié récemment un très intéressant article sur la guerre d’influence que se livrent sans merci les pro-israéliens et les pro-palestiniens sur Internet. Chaque clan fait feu de tout bois sur les réseaux sociaux pour remporter la bataille de la viralité des contenus et gagner le soutien des plus neutres ou des plus indécis. Twitter et Facebook sont devenus des territoires à conquérir au même titre que ceux que se disputent à des milliers de kilomètresLDJ - Désinformation de là les milices du Hamas et l’armée israélienne. A cet égard, les débordements de la rue de la Roquette n’ont pas échappé à cet engrenage viral de la haine et de la provocation à coups de tweets orduriers, mensongers et virulents.

Sur ces mêmes réseaux sociaux, les médias en prennent également pour leur grade. Chacun conteste ouvertement la couverture médiatique des dramatiques événements de Gaza et n’hésite pas à s’en indigner sur Twitter et Facebook. Les pro-palestiniens dénoncent une édulcoration inadmissible des faits en jugeant que les médias évitent sciemment de parler de « massacre » et de « génocide » en ce qui concerne les bombardements à répétition de Gaza. Quant aux pro-israéliens, ceux-ci s’insurgent contre le traitement volontairement biaisé des journalistes français qui présentent selon eux, Tsahal comme une armée ultra-violente.

Résultat : les espaces interactifs des médias en ligne sont littéralement assaillis sans relâche par les plus irréductibles qui entendent faire valoir leur vision des choses en déposant moult commentaires. Jérémie Mani, PDG de Netino, une société qui propose des services de modération des réseaux sociaux, est aux premières loges pour témoigner de cette mitraille incessante qui vise sans retenue les journalistes jugés déviants (1) : « J’ai même vu passer les coordonnées d’un journaliste qui avait écrit un article sur le conflit. Son email et son numéro de téléphone étaient publiés ». En arrière-plan, réside ensuite l’idée de mettre sous pression le dit journaliste en divulguant publiquement ses informations personnelles. Ce que confirme pleinement François Jeanne-Beylot, fondateur et gérant de la société Inmediatic spécialisée dans la recherche d’informations et de l’influence sur Internet (2) : « Les sites d’information en ligne sont propices aux phénomènes viraux puisqu’ils favorisent le partage et le commentaire de leurs contenus ». Lesquels peuvent ainsi inonder les réseaux sociaux en l’espace de quelques jours pour imposer un point de vue au détriment d’un autre.

De la dangerosité du temps réel

LDJ - tweet nahumLes sujets sensibles comme le conflit israélo-palestinien sont devenus pour la presse de véritables casse-têtes d’autant plus insondables que certains de ses représentants ne sont pas forcément non plus d’une neutralité à toute épreuve dans le compte-rendu de faits liés à cette thématique. A cela, il faut ajouter l’urgence inflexible du temps médiatique et tous les critères de la distorsion journalistique sont alors réunis. L’affaire de la supposée attaque de la synagogue de la rue de la Roquette n’a pas fait exception à la règle où la couverture des événements a été traversée de vents contraires qui n’ont pas été sans impacts graves en termes de restitution de l’information.

Dans ce cas précis, tout commence avec la dépêche de l’Agence France Presse comme le relève le site de décryptage Arrêt sur Images. Un des journalistes de l’AFP couvrant la manifestation qui vient de s’achever sur la place de la Bastille, édite une première information (3) : « Un certain nombre de manifestants pro-palestiniens ont tenté de se rendre vers des synagogues voisines, rue de la Roquette et rue des Tournelles. Des CRS sont intervenus pour les repousser et mettre fin à un « début d’échauffourée » avec des membres de la communauté juive devant la synagogue de la Roquette, ce qui a permis d’éviter toute intrusion dans les lieux de culte ». Problème : le reporter n’est pas physiquement devant la synagogue. C’est pourtant ce récit qui va largement et aussitôt nourrir la substance des articles à suivre dans les autres médias.

D’autres vont même encore plus loin comme ce journaliste de Slate.fr, Frédéric Royer (dont le CV laisse quelque peu pantois !), qui fournit un angle de lecture totalement à charge. L’homme raconte qu’il habite le quartier et qu’informé par Twitter, il est immédiatement descendu pour assister aux échauffourées. Pour lui, l’affaire est entendue puisqu’il a été lui-même traité (4) de « Rabbi Jacob ». De fait, c’est globalement cette version de l’histoire qui s’impose rapidement comme par exemple cet article publié sur le site de TF1 où le scénario narré s’oriente nettement vers des actes antisémites.

L’emballement médiatique à l’œuvre

LDJ - Tweets SoufronAvec l’emballement médiatique désormais en marche, s’ensuit inévitablement le concert des déclarations des personnalités politiques et des associations concernées. SOS Racisme est l’une d’entre elles. Cette dernière s’empresse d’émettre un communiqué indigné où les coupables sont clairement désignés et le motif pointé du doigt : « la haine des Juifs ». Aline Le Bail-Kremer, responsable communication de SOS Racisme ne sera d’ailleurs pas la dernière à retweeter la version avant de verrouiller son compte Twitter quelque temps plus tard.

Autre institutionnel à monter au créneau : Jean-Baptiste Soufron. Secrétaire général du Conseil national du numérique, journaliste et membre du Parti socialiste, il était à proximité des mouvements de foule observés rue de la Roquette. Pour lui aussi, la version unilatérale d’une attaque raciste ne fait aucun doute comme en témoignent ses deux tweets postés au moment des faits. Sur Instagram, il publie même une vidéo où l’on voit des individus s’exciter mutuellement. Son commentaire est pourtant péremptoire : « Les pro-palestiniens cassent un peu tout ».

Sur les réseaux sociaux, les tenants de cette trame narrative claironnent et se vantent même d’avoir réussi à influer sur la ligne éditoriale de plusieurs médias. Le Betar, un mouvement de jeunesse juive particulièrement musclé, fanfaronne ainsi sur Twitter en déclarant qu’il a rencontré un journaliste de TF1 / LCI pour que soit évoquée au journal de 20h le sujet de « l’agression nazislamiste » de la Rue de la Roquette ! Ensuite, gare à ceux qui seraient tentés d’avoir une approche éditoriale des faits différente.

Le 15 juillet alors que des voix et des éléments divergents commencent à poindre çà et là, le Conseil Représentatif des Institutions Juives tonne haut et fort avec un communiqué qui conteste les médias commençant à mettre en doute la véracité des attaques contre la synagogue. Pour le CRIF, la cause est entendue (6) : « Ces attaques sont présentées comme des heurts intercommunautaires alors que dans les faits, il s’agit d’actions antisémites, haineuses, violentes et unilatérales, émanant de mouvements pro-palestiniens et islamistes. Les jeunes juifs présents devant la synagogue de la rue de la Roquette n’ont fait que protéger les personnes participant à une réunion à l’intérieur alors même que des dizaines de manifestants tentaient d’y pénétrer avec des barres de fer, des manches de pioche et des sacs à dos remplis de projectiles très dangereux ». Pour enfoncer le clou, son président Roger Cukierman déclare même sur I-Télés : « C’était un peu le Kristal Nacht (NDLR : par référence à la nuit de cristal des nazis en 1938) et on a échappé de peu à un véritable pogrom ».

Le monolithisme des faits s’érode

LDJ - tweet betarLa première version médiatique des incidents de la rue de la Roquette a en tout cas une conséquence immédiate : l’interdiction par la préfecture de police de Paris d’une nouvelle manifestation pro-palestinienne programmée une semaine plus tard. Le Premier ministre Manuel Valls comme le président de la République François Hollande sont fermes : les actes commis sont inadmissibles et il est hors de question d’importer le conflit de Gaza sur le territoire français.

Pourtant, dans les jours qui suivent, la version initiale commence sérieusement à être battue en brèche. Sur les réseaux sociaux, on retrouve trace de multiples tweets émanant d’excités extrémistes juifs dont ceux de la sulfureuse Ligue de Défense Juive connue pour faire facilement le coup de poing et verser dans la ratonnade sans état d’âme. Ces messages appellent sans détours à venir se battre à la fin de la manifestation. Pire, des vidéos d’amateur montrent que des membres de cette même clique sont également présents devant la synagogue de la rue de la Roquette et surtout loin de cultiver des attitudes pacifiques. Devant des cordons policiers étonnamment passifs, ils insultent des participants de la manifestation pro-palestinienne, cassent et jettent des objets tout en cherchant ostensiblement à en découdre avec leurs opposants.

Le coup de grâce est définitivement asséné le 18 juillet avec la longue interview de Serge Benhaim, président de la synagogue au centre de toutes les conjectures. L’entretien est édifiant. Lui qui a assisté de bout en bout aux événements, recadre sacrément la version jusque-là monté en épingle. Devant le journaliste d’i-Télés qui l’interroge, il n’hésite pas à confirmer que (7) « pas un seul projectile lancé sur la synagogue. A aucun moment, nous n’avons été physiquement en danger ». Au reporter qui lui demande alors comment cette attaque n’est en fait qu’une rumeur, il répond tout aussi franchement en estimant qu’une « confusion » a probablement été opérée avec des actes délictueux avérés contre la synagogue d’Aulnay-sous-Bois.

Quels enseignements retenir de cet énième avatar médiatique ?

LDJ - infowarUne chose est d’emblée certaine : les médias se sont laissés trop vite embarquer dans une couverture unique des faits. Même si par la suite, plusieurs supports de presse vont parvenir à démêler l’écheveau de la véritable histoire (sous l’active pression d’autres témoins), l’intox a eu le temps d’opérer en entraînant notamment l’interdiction d’une manifestation pro-palestinienne qui a à son tour dégénéré le 19 juillet à Paris. Furieux, certains pro-israéliens s’insurgent à leur tour contre ce qu’ils qualifient de mensonge volontaire et de désinformation. Le site Europe-Israël par exemple n’en démord pas et voit une manipulation éhontée pour faire endosser la responsabilité des dérapages à la Ligue de Défense Juive.

Il est malheureusement à craindre que les intoxs et les manips ne vont guère se calmer. Sur les réseaux sociaux, l’affrontement a même redoublé. Les plus acharnés des deux camps vocifèrent et s’abreuvent de supposées preuves de la haine fourbe de l’autre. Pour les médias, plus que jamais, l’heure est à la vigilance. Le ratage de la rue de la Roquette doit vraiment sonner comme un avertissement à intégrer d’urgence pour les prochains reportages. C’est d’autant plus crucial que le sujet israélo-arabe cristallise à l’envi les passions et les emportements au détriment de la froide raison du factuel. Pour autant, difficile d’affirmer qu’il y ait eu une connivence avérée des médias dans la retranscription des heurts de la rue de la Roquette. Mais cela n’excuse pas les failles éditoriales flagrantes une nouvelle fois à l’œuvre sur une question où les extrêmes doivent être impérativement débusqués.

Sources

– (1) – Benoît Theunissen – « Crise à Gaza : les médias français pris d’assaut sur Internet » – Les Echos – 17 juillet 2014
– (2) – Ibid.
– (3) – Vincent Coquaz – « Attaques contre les synagogues à Paris : L’AFP n’a vu la violence que d’un côté » – Arrêt sur Images – 16 juillet 2014
– (4) – Frédéric Royer – « Un dimanche 13 juillet à Paris, entre la place de la Bastille et le boulevard Voltaire » – Slate.fr – 14 juillet 2014
– (5) – « Paris: des heurts à l’issue d’une manifestation pro-palestinienne » – TF1.fr – 13 juillet 2014
– (6) – Communiqué du CRIF – « Une description inexacte et dangereuse des attaques des synagogues par certains médias » – 15 juillet 2014
– (7) – Julien Nény – « Incidents rue de la Roquette: Serge Benhaim dément toute attaque de la synagogue » – I-Télés – 18 juillet 2014

 



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