Terrorisme & réseaux sociaux : N’abandonnons pas le terrain de l’influence aux intégristes !

L’ignoble assassinat de l’otage français Hervé Gourdel a mis une nouvelle fois en lumière l’instrumentalisation radicale des médias sociaux par les djihadistes de l’EI. Totalement numérisés, ils se servent sans vergogne du Web social pour recruter des gens en déshérence et viraliser leur bigoterie moyenâgeuse. Comment opèrent-ils et quelles stratégies de communication digitale peut-on mettre en place pour ne pas laisser Internet et les réseaux sociaux se transformer en caserne d’enrôlement de desperados intégristes ? Réflexions.

Que le Web soit kidnappé au profit de causes extrémistes et/ou activistes n’est pas une nouveauté en soi. Dès les années 90 dans leur essai « Networks & Netwars », les analystes américains John Arquilla et David Ronfeldt avaient théorisé la puissance disruptive des réseaux informatiques face au pouvoir tutélaire des institutions. Ils avaient notamment écrit (1) : « L’avènement des réseaux signifie que le pouvoir migre vers des acteurs non-étatiques parce qu’ils sont capables de s’organiser en réseaux tentaculaires multi-organisationnels bien plus prestement que ne le sont les acteurs étatiques hiérarchiques. Cela veut dire que les conflits vont de plus en plus être menés par des « réseaux » que par des « hiérarchies ». Cela veut également dire qui quiconque maîtrisant le réseau dispose d’un avantage ». Deux décennies plus tard, force est de reconnaître que la prédiction s’est matérialisée avec le groupe armé djihadiste de l’EI qui pousse la logique digitale à son comble.

Le digital, une arme de guerre ?

EI - cyberwarDepuis qu’Internet a été adopté par des millions de personnes à travers le monde, les conflits et les contestations de toutes formes se sont prolongés sur la Toile. La mémoire collective contemporaine l’a peut-être déjà oublié mais en 2009, Twitter a été la chambre d’écho du soulèvement iranien contre le régime des mollahs. A leur tour, les révolutions arabes de 2010 en Tunisie et en Egypte ont administré la preuve que la mobilisation pourrait également s’effectuer à coups de clics et de partages de contenus. Face à ce nouveau théâtre d’opérations, le sociologue Dominique Cardon est sans ambages (2) : « Situé entre le marché et l’État, Internet donne aux individus des pouvoirs d’expression, de mise en conversation et de formation de leurs propres règles de fonctionnement ou de discussion qui se situent en dehors de la démocratie représentative traditionnelle ».

Même si le Web interactif n’a pas la faculté à lui seul de faire s’écrouler des régimes ou de lever des armées en masse, il est en revanche tout à fait capable de brouiller les lignes, d’exercer une pression aux répercussions fortes parmi les communautés et les sociétés et de court-cuiter ainsi les mécanismes de régulation et d’autorité mis en place par les pouvoirs qu’ils soient démocratiques ou autoritaires. Et Dominique Cardon de préciser (3) : « Un mouvement social peut acquérir une visibilité et une légitimité de par sa propre action, sans être en rien représentatif de la population qu’il met en mouvement. Internet a été le support de ces mouvements, parce qu’il a été un lieu extrêmement vivace d’organisation ». C’est justement ce postulat que déclinent à l’envi les terroristes de l’EI pour mener leur combat obscurantiste et répandre les germes de leur « guerre sainte » partout sur la planète.

EI : Viralisation à outrance …

EI - appli AndroidEn termes de troupes, l’EI n’est en fin de compte qu’un groupuscule par rapport aux pays adversaires qu’il prétend défier et renverser pour rétablir un califat tout droit importé du Moyen-âge de l’humanité. Créé à l’origine en 2004 en Irak, il n’est même qu’une émanation annexe de la tristement célèbre organisation terroriste Al Qaida. Ce n’est réellement qu’en 2014 que le mouvement a pris une ampleur inégalée à la faveur de ses conquêtes territoriales en Irak et en Syrie. A la même époque, l’EI accélère la cadence sur les réseaux sociaux. Objectif : embrigader des combattants dans les pays occidentaux pour poursuivre leurs visées expansionnistes au Moyen-Orient. Un à un, les médias sociaux sont investis. Sur Twitter, Facebook, YouTube et Instagram en particulier, les comptes militants pullulent notamment sous la houlette d’un personnage influent : Nasser Balochi. Cet intégriste de confession sunnite anime sans relâche ses espaces digitaux pour viraliser la propagande de l’EI dans les pays étrangers.

Les individus comme Balochi sont des pièces maîtresses dans le dispositif viral qu’a mis en place l’EI. Pendant 12 mois, les chercheurs de l’International Center for the Study of Radicalisation (ICSR) basé à Londres ont passé au crible les profils numériques de 190 d’entre eux. Très vite, ils sont apparus comme des agents « disséminateurs » dont le rôle est d’instiller les messages et les contenus émanant de l’EI auprès de potentielles recrues en Europe ou ailleurs. Peter Neumann, directeur de l’ICSR précise (4) : « Les disséminateurs ne sont pas nécessairement des gens en Irak ou en Syrie. Ils peuvent être basés à Londres ou dans le nord de l’Angleterre et se sont auto-nommés porte-paroles de l’EI ». C’est ainsi que l’un d’entre eux nommé Shami Witness est parvenu depuis avril 2014 à passer de 4700 abonnés sur Twitter à plus de 11 900 (5).

Pour multiplier les fronts digitaux de la propagande, l’EI ne recule devant rien et ne néglige aucun canal de communication. En avril 2014, l’organisation terroriste a carrément lancé une application baptisée « L’Aube de la Bonne Nouvelle » que n’importe quel utilisateur Android peut télécharger sur la plateforme en ligne Google Play. Une fois installée, l’application tweete automatiquement au nom de la personne quantité de messages, de photos, vidéos, etc émis par l’EI. En juin 2014 lorsque l’EI était aux portes de la ville de Mossoul en Irak, le record de 40 000 tweets militants en une journée a été atteint (6).
Autre technique largement usitée pour infester les réseaux sociaux : le recours massif aux hashtags thématiques. Cela permet ainsi aux « community managers » de l’EI de nourrir des flux d’information rapidement identifiables par les sympathisants qui peuvent alors partager à leur tour les contenus. Durant la Coupe du Monde de football, certains ont même détourné des hashtags relatifs à l’événement sportif pour glisser leur bourrage de crâne digital et essayer d’élargir le soutien à la cause de l’EI.

… et storytelling porté à incandescence

EI - propagandeNon contents d’avoir dressé un dispositif réticulaire sans cesse en mouvement, l’EI accorde également une attention toute particulière à l’élaboration de ses contenus. Tant au niveau du graphisme que du rédactionnel, rien n’est laissé au hasard pour obtenir à chaque fois un impact maximal.

Les vidéos des décapitations de James Foley et Steven Sotloff sont à cet égard un « summum » de mise en scène soignée dans le moindre détail. Le film est tourné en haute définition. Le son est capté et enregistré de la même manière. Les suppliciés sont habillés d’une tenue orange qui rappelle les bagnards de la prison spéciale de Guantanamo à Cuba. La langue utilisée est l’anglais pour conférer une plus grande accessibilité dans le monde occidental.

Il n’y a pas que les exécutions sordides qui font l’objet d’une scénographie attentive. Les opérations de guerre de l’EI sur le terrain sont couvertes avec la même qualité. La conquête de la ville irakienne de Falluja a ainsi été filmée depuis un drone pour donner lieu ensuite à un documentaire mis en ligne. De même, l’EI diffuse régulièrement des vidéos montrant ses hommes accomplissant des œuvres caritatives auprès des populations dans les zones conquises. Sens de la forme et perfection de la narration scandent invariablement les contenus émis par l’organisation terroriste.

Dans le même registre, les djihadistes postent eux-mêmes des photos et des vidéos de leur vie quotidienne sous les drapeaux de l’EI. Ces sortes de « selfies » propagandistes visent à convaincre de potentielles recrues du bien-être qui règne dans les territoires contrôlés par l’EI. En permanence, un véritable storytelling s’écrit sur Twitter, Facebook, Instagram, YouTube où le djihad est dépeint comme un mode de vie attractif. Consultant en terrorisme international pour le gouvernement américain, Jarret Brachman constate la puissance de la stratégie de communication digitale de l’EI (7) : « Ce qui compte vraiment, selon moi, c’est l’utilisation informelle des réseaux sociaux non seulement par les organes de presse formels de l’Etat islamique, mais aussi par son réseau de partisans, représentants et pom-pom girls informels à travers la planète. Les combattants de l’Etat islamique ont créé une ligne de communication directe fascinante entre le champ de bataille et leurs fans de la Terre entière à travers ces canaux.»

La censure comme unique pare-feu ?

EI - banniere communicationTrès rapidement, les autorités occidentales mais aussi les entreprises propriétaires des grands réseaux sociaux se sont efforcées de faire le ménage et instaurer un cordon sanitaire pour juguler la prolifération de la propagande numérique de l’EI. A peine les vidéos des meurtres de James Foley, Steven Sotloff ou encore Hervé Gourdel étaient-elles uploadées sur YouTube que les profils émetteurs ont été aussitôt bloqués. De même sur Twitter, on ne compte plus les profils suspendus pour apologie de propagande criminelle. En France, le gouvernement a d’ailleurs soumis au Parlement un projet de loi qui comprend un volet digital pour éradiquer les djihadistes sur les réseaux sociaux.

Même si ces actions peuvent parfois compliquer et ralentir la communication digitale de l’EI, celles-ci sont malheureusement très vite contournées par la création de nouveaux profils à mesure que d’autres sont censurés. Ancien secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères du gouvernement britannique, Malcolm Rifkind est conscient que cette stratégie n’est souvent qu’un pis-aller nécessaire mais incomplet (8) : « Vous pouvez faire beaucoup de choses mais vous ne pouvez pas définitivement éliminer. La technologie est si diffuse et permet un tel anonymat que même si vous bouchez un trou, il ressurgira ailleurs ». Sans parler de contenus censurés qui ont eu le temps d’être dupliqués et remis en ligne sur d’autres sites.

Pire, les djihadistes ont déjà tout prévu dans leur arsenal de propagande en ligne. Ils sont notamment très présents sur des réseaux sociaux plus difficiles à contrôler comme Ask.fm et Diaspora. De même, ils adoptent abondamment des serveurs proxy et des navigateurs spéciaux pour anonymiser leurs activités et déjouer la surveillance en ligne opérée par les services secrets occidentaux et autres.

Quelles issues ?

EI - shootingBien que la fermeture de comptes numériques doive continuer à figurer dans la réplique portée à l’encontre de l’EI, il est évident que la stratégie de communication des pays occidentaux doit être révisée à la lumière de cet ennemi agile et prompt à s’immiscer partout pour lessiver le cerveau des plus malléables ou des plus extrémistes. Dans cette optique, le département d’Etat américain a récemment pris pied sur les réseaux sociaux pour porter la contradiction. Intitulés « Think Again Turn Away », un fil Twitter, une chaîne YouTube et une page Facebook ont été lancés pour mettre en évidence les horreurs commises par l’EI et ainsi contre-argumenter sur la Toile la communication djihadiste. Le community manager américain va même jusqu’à interpeler en direct son homologue terroriste sur Twitter en lui disant sous les yeux de tous (9) : « EI recrute. 2 choix : commettre des atrocités et mourir en criminel ou se faire coincé et gâcher sa vie en prison ». Si percutant soit-il, le message n’a obtenu aucun retweet là où la prose terroriste a été 32 fois mise en favori !

Faut-il pour autant baisser les bras devant la difficulté à briser l’argumentaire djihadiste ? Cela serait à coup sûr une erreur que d’abandonner les réseaux sociaux à la logorrhée terroriste de l’EI. Même si le combat d’influence s’avère aléatoire et long, il doit malgré tout être engagé. Mais pas uniquement à travers les canaux de communication officiels. A l’instar de l’EI qui parvient à s’appuyer sur des relais digitaux, il conviendrait de décliner une stratégie similaire où des influenceurs, des blogueurs, des citoyens porteraient à leur tour la contradiction avec des faits et des éléments concrets de l’ineptie assassine de l’EI. A condition de s’appuyer sur des sources d’information fiables (et non pas comme certains aller piocher dans des sites d’extrême-droite et/ou ultra-catholiques tout aussi biaisés que ceux de l’EI), il est possible d’opposer sur les réseaux sociaux une riposte démocratique et éclairée. On en est certes encore loin mais rien n’interdit de s’y lancer pour viraliser une vision nettement plus saine et moderne du monde. Peut-être que l’espoir réside entre autres dans l’opération virale #NotInMyName ?

Sources

– (1) – Tom Liacas – « ISIS, activists and netwar : new fears, new hopes » – Social for Survival – 23 septembre 2014
– (2) – Michel Eltchaninoff – « Internet, nouvelle zone de combats ? » – Philosophie Magazine – 17 janvier 2013
– (3) – Ibid.
– (4) – Mark Townsend & Toby Helm – « Jihad in a social media age : how can the west win an online war ? » – The Guardian – 23 août 2014
– (5) – Ibid.
– (6) – J.M. Berger – « How ISIS games Twitter » – The Atlantic – 16 juin 2014
– (7) – Joshua Keating & Grégoire Fleurot – « Décapitation de James Foley : pourquoi les vidéos des djihadistes sont aussi léchées » – Slate – 22 septembre 2014
– (8) – Mark Townsend & Toby Helm – « Jihad in a social media age : how can the west win an online war ? » – The Guardian – 23 août 2014
– (9) – Scott Shane & Ben Hubbard – « ISIS displaying a deft command of varied media » – New York Times – 30 août 2014



3 commentaires sur “Terrorisme & réseaux sociaux : N’abandonnons pas le terrain de l’influence aux intégristes !

  1. de sousa  - 

    la France pays du droit de l’homme la France pays d’accueil aux fanatismes et aux fanatiques musulmans si la France ne vous plaie pas il ne faut pas y rester repartaient dans le pays où sont vos racines la France n’acceptera pas vos idées vous insultez une nation qui vous a ouvert les bras dont vous refusez de les tendres ,vous n’arrivez même pas à savoir vivre ensemble dans la paix vous s’avez que être dans la guerre et les conflits. l’éducation que vous avaient ne vaut pas d’être français prenez un avion et ne revenez plus dans le pays du droit de l’homme et de la liberté car vous ne savaient pas vivre en paix

  2. Bruno  - 

    Merci pour cet excellent billet, Olivier ! Finalement, toutes proportions gardées, Daesh recycle et surpasse les savoir-faire du tristement célèbre Goebbels, avec des outils plus immédiats, plus puissants, encore plus viraux (relire Tchakhotine ?).
    Sur la riposte US, cela me semble illusoire et les chiffres que tu cites sont éloquents. Car, dans cette bataille de la réputation, le contradicteur oublie qu’il n’est pas, aux yeux des publics qu’il veut atteindre, le plus crédible et audible. Agir ainsi n’est pas totalement inutile, mais de portée plus que limitée. Nous connaissons tous la bonne vieille règle qui veut que ceux qui disent du bien d’une organisation ont d’autant plus de poids qu’ils sont extérieurs à cette même organisation. Il en va ainsi également pour les causes, les idées. Certains ont dénoncé d’emblée les risques et les crimes des Khmers rouges. Parce qu’ils étaient clairement identifiés (et conspués, discrédités aussitôt comme tels) anti-communistes « primaires », leur discours n’a convaincu que leur propre camp. Il a fallu plusieurs mois/années pour ouvrir les yeux des autres, devant l’accumulation de faits irréfutables (cf. les remords bien tardifs du journal Le Monde…).
    Je te rejoins pleinement : # NotInMyName me semble être la seule esquisse possible. Mais ce n’est qu’une esquisse… Le combat sera très long et très difficile, à rebours de nos sociétés baignées de (fausse) immédiateté facile.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Oui Bruno ! L’asymétrie des stratégies de communication profite malheureusement aux extrémistes. Le seul moyen de contrer leur influence est de parvenir à gagner des alliés objectifs qui avanceront des arguments concrets démontant la supercherie sans issue des groupes intégristes. Ton exemple des Khmers rouges est tout à fait emblématique de ce vieux dicton qui fait « qu’avoir raison trop tôt » vous range aussitôt dans la catégorie de l’ « anti » primaire. Pourtant, la suite de l’histoire a montré les ravages … Espérons que la société saura se mobiliser contre la gangrène extrémiste. Qu’elle se réclame d’un islam obscurantiste ou d’une quelconque doxa religieuse

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