Cas d’étude : Pourquoi Lego est-elle une marque aussi puissante sur le Web social ?

Moribonde au début des années 2000, la marque Lego est aujourd’hui un authentique blockbuster qui rafle immanquablement les suffrages des petits et des grands dans un même élan d’adhésion passionnée. Au-delà d’avoir profondément remanié sa stratégie commerciale et ses gammes de jouets en briquettes plastique, la marque a pleinement su capitaliser sur les ressorts affinitaires des réseaux sociaux pour conquérir et fidéliser des publics et se bâtir une extraordinaire réputation. Un engagement digital qui lui vaut notamment d’être sacrée marque la plus puissante au monde par les experts de Brand Finance. Démontage et remontage d’un succès qui casse des briques !

Jusqu’à présent, dans les classements d’influence et de réputation opérés sur les marques, les premières places du podium étaient régulièrement trustées par des enseignes de luxe, de loisirs et/ou de high-tech. Depuis que le cabinet de conseil Brand Finance a publié la dernière édition de son classement annuel des 500 marques qui comptent dans le monde, c’est un petit bonhomme jaune aux épaules un peu carrées qui est venu damer le pion aux éternelles vedettes. Portée en particulier par l’énorme écho populaire rencontré en 2014 par son film « La Grande Aventure Lego », la briquette plastique danoise est la nouvelle championne des marques. Pour le cabinet britannique, le résultat ne fait aucun doute. L’habileté de Lego à convertir son image en valeur commerciale est avérée. A ce jeu, la marque devance même des noms comme L’Oréal, Red Bull, Rolex, Walt Disney, Apple, Burberry et Ferrari jusqu’alors 1er de la classe. Cette distinction trouve aussi ses racines dans la stratégie digitale sociale mise en place par Lego depuis 4 ans environ. Explications.

Un ADN de marque intrinsèquement social

Lego 2 - parentsOctogénaire bon pied bon œil née au Danemark en 1932 d’abord sous la forme de jouets en bois à monter, la marque Lego prend son envol dès 1949 avec la commercialisation des premières briques en plastique à assembler. Dès lors, l’univers angulaire et coloré de Lego ne va jamais cesser de s’étendre à travers le monde et les générations d’enfants et de parents qui tour à tour rivalisent d’imagination autour des boîtes Lego. Bien que l’entreprise connaisse un sérieux trou d’air à l’orée des années 2000, Lego va rapidement reprendre sa marche en avant et regagner le devant de la scène sans coup férir sans jamais dévier de ses fondamentaux de marque.

Qu’il s’agisse en effet des toutes premières briquettes un peu frustres et monocolores de l’après-guerre ou des combinaisons luxuriantes offertes par les gammes actuelles, le ressort affinitaire de Lego demeure identique : procurer un moment de partage entre un adulte et un enfant pour monter des maisons, des véhicules et imaginer ensuite des aventures avec des personnages. Ce « construire ensemble » est le pilier intrinsèque de l’identité de marque de Lego. Même si les gammes se sont largement étoffées et enrichies de multiples thématiques, la promesse originelle reste intacte et attractive. Une promesse qui se transmet de surcroît de génération en génération. L’enfant devenu adulte conserve ce lien quasi proustien avec les briquettes qui ont rythmé ses après-midis de jeu. Lorsqu’il devient parent, la marque Lego apparaît souvent à ses yeux comme une évidence en matière de transmission générationnelle. Une continuité s’établit au fil des décennies autour de l’univers incroyablement prolifique et ludique de Lego.

Le Web social comme une évidence ?

Lego 2 - social mediaAussi paradoxal que cela puisse paraître, Lego n’a pourtant pas été une marque particulièrement pionnière lorsque les réseaux sociaux ont commencé à s’affirmer comme un levier d’influence incontournable dans la construction et l’alimentation d’une réputation. Jusqu’en 2010, la stratégie digitale de la marque faisait même volontairement l’impasse sur le fait de disposer d’une page Facebook et d’un compte Twitter a minima. C’est ce qu’expliquait Andrew Arnold en octobre 2010 lors de la conférence Hub Forum à Paris. A l’époque directeur de la communication et des relations publics de Lego, il expliquait vouloir d’abord s’appuyer sur la formidable et vivace spontanéité des fans de la marque sur les réseaux sociaux. Si Lego comptait à cette période près de 39 millions d’occurrences dans Google, la marque le devait à ce foisonnement conversationnel et ne souhaitait pas forcément en faire plus en prenant la parole à son tour. Autre exemple emblématique de cette communauté : l’encyclopédie Brickipedia, un wiki créé par des fans en janvier 2006 qui recense tous les savoirs relatifs à la marque Lego et qui compte à l’heure actuelle près de 29 000 pages documentées !

Les premiers pas digitaux de Lego ont donc d’abord consisté à lancer des sites Web, à multiplier des déclinaisons thématiques sous forme de microsites et à proposer des applications gratuites interactives pour toutes les catégories d’âge. Seule concession accordée au Web social : une plateforme YouTube où sont compilées toutes les vidéos éditées par le fabricant de jouets danois. Néanmoins, Lego va rapidement réviser son approche à l’égard des médias sociaux. Un homme va être particulièrement clé dans cette acculturation de la marque à l’écosystème social : Lars Silberbauer. Aujourd’hui directeur des activités mondiales Social Media pour Lego, il rejoint l’entreprise au début de l’année 2011 comme stratégiste médias sociaux. A charge pour lui de réfléchir à la mise en place d’un dispositif nettement plus engagé sur les réseaux sociaux.

Brique n°1 : l’interne en première ligne

Lego 2 - interne legoQuatre ans plus tard, l’homme enchaîne les interventions dans les conférences professionnelles à travers la planète. L’écosystème Web social de Lego est devenu entretemps l’un des parangons auquel peut se référer tout communicant ou marketeur en mal d’inspiration. Pour parvenir à ce résultat et convaincre que les réseaux sociaux étaient un must, Lars Silberbauer n’a pas hésité à secouer l’interne de l’entreprise en rappelant tout simplement l’ADN de la marque. Comme il le racontait lors de la conférence Le Web en décembre 2014 à Paris (1), « chez LEGO, tout tourne autour de la notion de jouer ensemble. On crée des choses avec nos produits, puis on partage avec les autres ce qu’on a créé. On retrouve exactement ces mêmes valeurs dans le social media ».

Le « jouer ensemble » s’est par conséquent imposé comme l’articulation stratégique du dispositif social déployé par Lego. Un dispositif qui place le client au cœur des préoccupations à tel point que la gestion des communautés a été calibrée en interne en fonction des tranches horaires de connexion et de la provenance géographique des fans de la marque. Lars Silberbauer explique la démarche (2) : « Notre pic d’audience sur les médias sociaux se situe habituelle en dehors des heures de travail. En conséquence, l’engagement sur les plateformes européennes est pris en charge par mon équipe aux Etats-Unis et ainsi de suite pour les autres zones ».

Actuellement, l’équipe Social Media de Lego compte 4 « core leaders » basés au Danemark, au Royaume-Uni, à l’île Maurice et aux USA. A ceux-ci, s’ajoutent près de 25 personnes intégrées dans les marchés locaux qui consacrent jusqu’à 75% de leur activité aux médias sociaux. Enfin, 300 salariés ont été formés via des ateliers d’une journée pour être capable de créer un post Facebook qui corresponde aux attentes de l’audience de Lego (3). Pour Lars Silberbauer, cette force de frappe interne (et l’« empowerment » qui va de concert) est cruciale si la marque veut espérer interagir efficacement et rapidement avec les fans, et gérer notamment les requêtes en temps réel.

Brique n°2 : l’intelligence collaborative

Lego 2 - Lego IdeasJuste avant d’ouvrir les espaces Facebook, Twitter et consorts, Lego a d’abord mené des incursions sociales plutôt remarquées avec la mise en ligne de plateformes collaboratives. La première du genre est apparue en 2008 à l’initiative du partenaire japonais Cuuso. Son idée était de recueillir auprès des consommateurs locaux des suggestions de nouveaux jeux à créer par Lego. Les suggestions étaient déposées sur un site dédié et soumis au vote des internautes. Sitôt la barre des 10 000 votes atteinte, l’idée était alors transmise aux décideurs de l’entreprise pour examiner sa faisabilité industrielle et commerciale. En 2011, le concept fut rebaptisé « Lego Ideas » et déployé à l’échelle du monde entier. Avec des résultats probants puisque 8 nouvelles lignes de produits ont été lancées grâce à ce processus de crowdsourcing dont les séries « Retour vers le Futur » et « Ghostbusters ».

Dans un registre similaire, Lego a mis en ligne dès décembre 2011 une plateforme intitulée ReBrick. L’idée consiste là aussi à solliciter l’intelligence collective autour des produits de la marque. Le site propose donc aux créateurs de modèles originaux de partager en ligne le fruit de leur imagination avec la communauté qui compte plus d’un million de fans à travers le monde. D’autres peuvent également effectuer de la curation de contenus et signaler les informations les plus intéressantes sur des conseils de montage, des idées de réalisations ou autres astuces relatives aux jeux Lego. Pour dynamiser le groupe, la marque lance à intervalles réguliers des mini-compétitions thématiques pour stimuler la créativité et inciter à déposer de nouveaux contenus.

Brique n°3 : les incontournables du social media

Lego 2 - FacebookIl y a encore 4 ans, Lego n’avait tout bonnement pas de page Facebook. Une incongruité aujourd’hui réparée magistralement puisque la marque danoise dénombre plus de 10,4 millions de fans à travers la planète. Sur Twitter, Lego partait également de rien. Désormais, 236 000 aficionados suivent l’actualité des produits et des temps forts de la marque.Clairement sous-exploités, Facebook et Twitter sont vite devenus des piliers dans la stratégie digitale de Lego.

Le réseau de Mark Zuckerberg sert évidemment de levier prioritaire pour activer jeux-concours et opérations promotionnelles autour des nouveautés pondues par la marque tout en invitant les fans à partager leurs meilleurs moments de jeu avec le reste de la communauté. A la clé, Lego peut se targuer d’indicateurs d’engagement bien au-dessus de la moyenne traditionnellement observée pouvant grimper ponctuellement jusqu’à plus de 100 000 partages !

Côté Twitter, le compte principal sert à la fois d’agrégateur de l’actualité des sous comptes liés à des lignes de produits spécifiques et de service après-vente. La marque est en effet interpelée une dizaine de fois par jour par des utilisateurs qui rencontrent des problèmes de pièces perdues, de briques défectueuses ou qui s’interrogent sur la fonctionnalité d’un élément. Ce qui est intéressant d’observer est le délai de réponse plutôt prompt de la marque. Avec là aussi des explications concrètes et très servicielles. Mais parfois aussi des silences plus embarrassés notamment lors de la passe d’armes polémique qui avait opposé Shell, Lego et Greenpeace durant l’été 2014. Devant certaines questions et revendications, la marque avait plutôt versé dans le profil bas !

Brique n°4 : l’atout visuel

Lego 2 - InstagramLego n’ignore évidemment en rien la puissance que le visuel a désormais conquise sur les réseaux sociaux. De fait, la marque avait déjà pris pied assez tôt sur cette dimension en ouvrant une chaîne YouTube dès octobre 2005. A l’époque, il s’agissait avant tout d’une compilation de vidéos sans réelle organisation éditoriale. Depuis, la gestion de YouTube est véritablement montée en gamme avec des répertoires thématiques par gamme de produit mais également l’ouverture de nouvelles chaînes s’adressant à des tranches d’âge plus enfantines. En cumulé, Lego a désormais allégrement passé la barre du million d’abonnés avec des taux de visionnage qui enregistrent en moyenne des centaines de milliers de vus.

La grande nouveauté se situe aujourd’hui du côté des réseaux sociaux en pleine croissance que sont Instagram et Vine. Cela fait plus d’un an que Lego a investi ces réseaux très prisés des utilisateurs les plus jeunes. Avec succès là encore. Grâce à des contenus de qualité et aux effets visuels particulièrement soignés, la marque a recruté massivement. Sur son compte officiel Instagram, elle rassemble plus de 407 000 abonnés avec des taux d’engagement pareillement significatifs. Sur Vine, l’incursion semble en revanche plus expérimentale. Bien que les vidéos postées aient connu un bon écho auprès des publics ciblés, la marque a temporairement cessé d’être active depuis octobre 2014 et compte de fait une communauté minuscule (4800 abonnés) comparativement à ses autres réseaux sociaux.

Lego 2 - YouTube

Quels enseignements ?

Lego 2 - tipsD’aucuns objecteront probablement qu’il est sûrement chose plus aisée pour une marque comme Lego de bâtir de larges communautés mobilisées que pour d’autres marques aux aspérités moins prononcées ou moins fédératrices. Cet attribut affinitaire est de toute évidence un atout que Lego a su faire fructifier avec succès sur les médias sociaux. Pour autant, la marque s’est donné les moyens. Plus que le dispositif mis en place pour interagir là où se trouvent les internautes fans de Lego, c’est avant tout l’implication de l’interne qui est à retenir comme enseignement majeur de cette stratégie digitale.

L’entreprise a effectivement fait le pari de s’appuyer sur des relais au sein même de ses équipes et de leur accorder du temps pour agir sur les réseaux sociaux. Si elle s’appuie évidemment sur des agences pour concevoir de nouveaux contenus, le tempo est clairement donné par l’interne. Lars Silberbauer estime d’ailleurs dans ses interventions répétées que des collaborateurs préalablement formés sont les meilleurs ambassadeurs qu’une marque puisse disposer, pour entretenir la relation avec les utilisateurs des produits Lego. La consistance et la robustesse des résultats obtenus en l’espace de quatre ans et en partant d’une quasi feuille blanche sur les médias sociaux, ne peuvent que lui donner raison.

Sources

– (1) – Xavier Foucault – « Le Web 14 : la stratégie social media de Lego » – E-Marketing.fr – 12 décembre 2014
– (2) – Christopher Radcliffe – « Q&A: Lars Silberbauer on LEGO’s social strategy » – E-Consultancy.com – 15 octobre 2014
– (3) – Steve Prosinski – « Lego’s social media strategy excites hard-core fans, attracts new customers » – Ragan.com – 3 février 2014

Lego 2 - Infographie AFP