Armand de Rendinger : « Le pire serait d’ignorer l’influence grandissante du Web social pour les JO 2024»

Aujourd’hui consultant international dans le domaine du sport mais aussi et surtout observateur chevronné du mouvement olympique, Armand de Rendinger a participé de près à plusieurs candidatures de villes pour l’organisation des Jeux Olympiques. De cette longue expérience sur le terrain, il vient de tirer un livre volontiers piquant et documenté sur le pourquoi des échecs à répétition de la France olympique. Pour le Blog du Communicant, il revient notamment sur les enjeux d’image et de réputation que les hiérarques de l’olympisme continuent souvent de minorer à l’heure même où le Web social peut faire ou défaire des mobilisations autour d’un projet. Analyse sans concession d’un expert des cinq anneaux olympiques.

En avril 2015, Anne Hidalgo mettra à l’ordre du jour du Conseil de Paris, la candidature de la capitale pour l’obtention des JO 2024. C’est précisément pour éviter les errements et les faillites d’un certain passé récent qu’Armand de Rendinger a publié fin 2014, un manifeste solidement argumenté. Fruit de plus de vingt-cinq ans d’expérience des arcanes olympiques et intitulé « La tentation olympique française », l’ouvrage imagine sous forme de fiction ce que pourrait être une candidature française efficace pour accueillir les Jeux en 2024. A la lecture de celui-ci, il s’avère que la communication est un levier éminemment stratégique mais pourtant encore trop réduit à l’entre soi. Une ineptie qu’il faut impérativement rectifier aux yeux d’Armand de Rendinger sous peine de couper définitivement l’olympisme du soutien populaire et générationnel dont il a besoin.

En décembre 2014 à Monaco, les membres du Comité International Olympique (CIO) ont approuvé à l’unanimité 40 recommandations rassemblées dans l’Agenda olympique 2020 qui doit constituer la feuille de route stratégique pour l’avenir de l’olympisme. Parmi elles, il est notamment question de développer l’image et les valeurs olympiques auprès de la jeunesse. Est-ce à dire qu’il existe actuellement un déficit de notoriété et d’adhésion des plus jeunes envers les J.O. ? Quelle stratégie de communication globale serait-il souhaitable de mettre en place pour resserrer les liens ?

ADRArmand de Rendinger : Le déficit ne se situe pas au plan de la notoriété mais clairement sur le plan de l’adhésion à ce qu’est l’olympisme. Plus la notoriété du CIO croît, plus son image semble être controversée. Dans ce contexte, le CIO paraît avoir pris conscience que dans le monde moderne, les JO (mais aussi et surtout les valeurs que devrait incarner l’olympisme), « touchent » proportionnellement moins les jeunes que les plus anciens. Or la pérennité du mouvement olympique passe nécessairement par une adhésion accrue et permanente des nouvelles générations. Celle-ci est d’autant plus vitale que les jeunes d’aujourd’hui auraient tendance à se détacher des structures actuelles d’encadrement, même dans le sport, pour s’intéresser à des univers plus libres, plus ludiques et plus attirants.

Par ailleurs, l’indispensable pratique sportive pour un jeune ne passe plus obligatoirement par l’offre « réglementée » actuelle. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer le phénomène lié notamment au développement des sports de rue, de masse, extrêmes (comme le MMA par exemple). Ensuite, les valeurs olympiques sont considérées, à tort ou à raison, dépassées, incomprises, détournées et contestables même si paradoxalement, elles ne sont pas contestées en tant que valeur dans l’absolu.

Dans cette perspective, Il importe absolument d’analyser et revisiter les valeurs olympiques, de repenser leur adaptation au monde moderne, le tout étant accompagné d’un véritable programme d’éducation et d’enseignement des jeunes à la pratique sportive et olympique. Tout en utilisant les moyens modernes de diffusion, ce travail doit s’élaborer au niveau international et global, avec des adaptations et des déclinaisons respectant les traditions, les cultures et les niveaux de développement propres aux différents pays ciblés.

Pour résumer : les valeurs olympiques revisitées ne doivent plus être imposées comme des dogmes ou des références du passé, mais comme des principes modernes vécus par toutes les fédérations sportives et admis autant par les éducateurs que par les jeunes. C’est une vaste ambition mais elle m’apparaît incontournable et urgente dans sa mise en œuvre. En revanche, le CIO le veut-il et le peut-il ? Toutes les fédérations olympiques sont-elles prêtes à se soumettre à ces principes et à respecter le corollaire qui serait l’autorité internationale d’une commission éthique et juridique indépendante et dotée de moyens conséquents pour les juger, en relation avec le TAS (Tribunal Arbitral du Sport ? Il faut en tout cas l’espérer, car il y va de la crédibilité et même de la légitimité à terme de la plus haute institution olympique qu’est le CIO. En tous les cas, Thomas Bach, son nouveau Président, en avait fait un élément clé de son programme de campagne électorale pour la présidence du CIO. Celui-ci se retrouve pour partie dans l’Agenda olympique 2020.

Les grandes instances sportives mondiales sont régulièrement égratignées pour des problèmes de corruption et/ou de manœuvres géopoliticiennes, notamment lorsqu’il s’agit de l’attribution de l’organisation de compétitions par une nation. Dans le football, la FIFA est dans la tourmente à cause de la Coupe du Monde 2022 décernée au Qatar où il s’avère que les votes auraient été entachés d’irrégularités. L’olympisme n’a lui-même pas échappé à ces suspicions récurrentes ces dernières années, particulièrement avec Sotchi en 2014. Quels sont les enjeux cruciaux en termes d’image et de réputation que le CIO doit impérativement relever ?

Armand de Rendinger : Les challenges que doit relever le CIO sont nombreux et divers. Ils touchent notamment les pratiques sportives et morales du sport (dopage, corruption, racisme, régularité des compétitions, paris illégaux, violences) et l’unité du mouvement olympique (organisation, gouvernance, indépendance politique et financière, modalités d’attribution des évènements sportifs, cooptations et élections internes, respect des libertés et des différentes formes de régime politique). Ne pas les relever condamnerait, à mon avis, à terme la raison d’être, la légitimité et l’originalité du CIO, comme institution maîtresse du mouvement olympique et sportif au plan international et national.

ADR - CIOPour renforcer l’image du CIO et ce, au-delà des quelques mesures proposées dans l’agenda 2020 qui, dans certains domaines, ont été plus que timides (pour ne pas dire décevantes tant cet agenda était attendu !), je me permettrai de proposer l’activation de cinq axes de réflexions permanentes, courageuses et majeures :

1 – le statut international et les modalités de cooptation des membres du CIO,
2- le processus d’attribution des grands évènements sportifs,
3- les conditions de la prééminence du CIO à la tête du mouvement olympique international (relations avec les Fédérations sportives et les Comités nationaux olympiques),
4- le rôle incontournable du mouvement olympique (CIO inclus), comme acteur clé de paix et d’éducation, par le sport, dans le monde,
5- le caractère politique (au sens noble du terme) du CIO et l’affirmation de son indépendance à l’égard de tout Etat.

Concernant ce dernier axe, eu égard à l’importance économique et sociale qu’il représente dorénavant, le CIO ne peut plus se permettre d’affirmer « haut, vite et fort » qu’il n’est pas un organe politique d’une part et, d’autre part, feindre d’ignorer que les Etats qui investissent en masse dans le sport (pour des raisons de politique nationale et/ou internationale) ont une influence grandissante dans la « géostratégie » des décisions et des influences dans la sphère sportive. Son image et la crédibilité de son obligatoire indépendance politique passent nécessairement par une reconnaissance de ce fait devenu incontournable et ce, en toute transparence. Facile à dire, plus complexe sans doute à mettre en œuvre. Peut-être peut-on espérer des avancées concrètes avec la nouvelle génération des membres cooptés et élus du CIO ?

L’olympisme ne prend-il pas de gros risques réputationnels en acceptant de considérer des candidatures comme celles de Pékin (Chine) et Almaty (Kazakhstan) pour les J.O. d’hiver de 2022. On se souvient en effet que Sotchi avait particulièrement défrayé la chronique dans les médias et l’opinion publique à cause de la politique menée par Vladimir Poutine. Ce n’est certes pas la première fois que les J.O sont pris dans l’étau géopolitique mais avec Sotchi, le public a pu mesurer d’encore plus près à travers les réseaux sociaux, la discrimination appliquée par exemple à l’égard des homosexuels par la Russie. La responsabilité sociétale vis-à-vis des communautés est une valeur grandissante au sein des entreprises. Ne pourrait-il pas en être de même pour l’olympisme ?

ADR - SotchiArmand de Rendinger : C’est le grand paradoxe de l’olympisme d’aujourd’hui ! Au nom de l’universalité des territoires et des pays pour accueillir les JO et une volonté de conquérir de nouveaux territoires économiques propices à de nouveaux marchés, le CIO, sous le prétexte de ne pas s’immiscer dans la vie politique des Etats, n’est pas toujours regardant sur les notions de libertés politiques et démocratiques. Il faut dire que lorsqu’on analyse les origines des différents membres du CIO, on constate que tous les régimes politiques sont représentés et cohabitent très bien !

Dans ces conditions, le rôle sociétal que certains voudraient voir incomber au CIO n’est absolument pas partagé par tous. Des efforts ont certes été faits, au niveau de la charte olympique, en matière de refus des discriminations. Toutefois, avec le poids des réseaux sociaux et la vitesse de communication des informations, le CIO va devoir évoluer plus rapidement et prendre des mesures plus drastiques, s’il ne veut pas connaître un discrédit moral et éthique rédhibitoire.

Il n’est pas certain non plus que les partenaires économiques et les médias puissent se contenter à terme de contribuer au développement de l’olympisme sans prêter attention à la manière dont ses responsables sauront répondre aux exigences « morales » et de transparence qu’imposeront les communautés, les citoyens et les groupes de pression organisés ou non sur les plates-formes numériques.

Cette nouvelle problématique oblige d’autant plus le CIO à être particulièrement vigilant et efficient dans l’élaboration et la distribution de son programme de communication, d’information et d’éducation, en particulier des jeunes sensibles aux valeurs de liberté.

Le 12 février dernier, Anne Hidalgo a officiellement annoncé qu’elle soumettra en avril la candidature de la ville de Paris pour l’organisation des Jeux Olympiques de 2024. Néanmoins, cette perspective olympique ne suscite plus autant d’enthousiasme qu’auparavant dans la population. Dans un récent sondage, 75% des Français se disent favorables pour accueillir les J.O mais très vite, surgit la question corollaire du coût pour le contribuable. Sous la pression populaire, des villes comme Stockholm, Munich ou encore Oslo et Saint-Moritz se sont même désistées pour les J.O d’hiver de 2022. A votre avis, comment la candidature parisienne (si elle est actée prochainement) devra-t-elle communiquer auprès du public pour espérer remporter majoritairement son adhésion et son implication au-delà de l’argument économique systématiquement invoqué ?

ADR - logo Paris 2024Armand de Rendinger : Les exemples que vous donnez militent dans ce sens. Je partage vos interrogations. Une communication en la matière devient plus qu’urgente. En effet, les reports successifs de la date d’annonce officielle d’une décision positive ou non pour une candidature sont préjudiciables. Ils donnent l’impression que si le mouvement sportif français veut les JO, il n’arrive pas à convaincre les décisionnaires politiques (mairie de Paris et autres).

En l’espèce, tout report signifie pour la communauté française (et surtout pour la concurrence qui nous observe), tergiversation et mise en doute du bien-fondé de l’olympisme et du coût qu’il représente. Si la France est candidate, au-delà des calculs économiques nécessaires et bien aléatoires en matière d’olympisme, il est absolument indispensable de convaincre et de mobiliser les populations, autrement que par des chiffres budgétaires qui aujourd’hui sont souvent sujet à toutes les contestations.

Par ailleurs concernant la France, nous sommes confrontés aussi à une autre problématique. Encore plus préoccupante. En effet, cela fait plus de 30 ans que nos candidatures olympiques subissent échec sur échec. Pourtant, le CNOSF (Comité National Olympique et Sportif Français) n’a pas fait l’effort suffisant d’initier la population à ce qu’est réellement l’olympisme moderne et à ce que sont les aléas d’une candidature aux Jeux Olympiques. L’attente est grande et les porteurs d’un projet de candidature passent malheureusement plus de temps à se convaincre de l’utilité des JO, qu’à étudier la manière de mobiliser la jeunesse et surtout de les mettre au centre de l’élaboration du dispositif d’un projet qui sera le leur en 2024.

ADR - jeunesIl est révolu le temps où c’est la génération actuelle au pouvoir qui va expliquer aux jeunes d’aujourd’hui ce que seront les JO de 2024. Ce sont ces-derniers qui doivent concevoir comment ils verront les JO qu’ils veulent vivre dans une dizaine d’années. C’est une approche beaucoup plus mobilisatrice que celle consistant à expliciter d’en haut sous le prétexte que pouvoir et hiérarchie valent obligatoirement savoir-faire et innovation. Là aussi, nous risquons de continuer à alimenter dans le sport la redoutable contestation entre nos élites ( « les fameux responsables en costume gris ») et la population.

Des pays concurrents de la France ont très bien compris cela et ne se trouvent donc pas confrontés à ce handicap majeur. Dans le cadre du projet d’Exposition Universelle proposé par la France pour 2025, il semble en revanche que cette dimension ait été prise en considération. Il est donc temps que nos élites olympiques cessent de se limiter à uniquement glorifier l’excellence de nos résultats sportifs et prennent conscience des vrais enjeux. Cela serait déjà un progrès et un investissement pour 2024 et après en cas d’échec. Si l’on veut effectivement ne pas annihiler nos chances d’obtenir un jour les JO, au-delà de la réalité des chiffres et du rêve à entretenir, mobilisons effectivement et intelligemment les Français et sachons enfin écouter, sans naïveté et sans condescendance ni arrogance, chaque membre décideur du CIO pour mieux le convaincre.

Dans le processus de désignation de la ville hôte de Jeux Olympiques, le lobbying, longtemps tabou, est maintenant stigmatisé de manière croissante. A tel point que le public a l’impression que c’est moins la qualité intrinsèque des candidatures qui l’emporte que la capacité à exercer une influence parfois « borderline », voire au-delà de l’éthique ? Vous qui avez vécu de très près ces coulisses, quel regard portez-vous et que faut-il faire pour modifier cette perception quelque peu délétère pour l’olympisme ?

ADR - FillonArmand de Rendinger : Pour le commun des mortels, le processus d’attribution des JO sera toujours considéré comme opaque et dans certains cas, à tort ou à raison, comme suspect, tant que le vote restera secret. Le CIO en est conscient, mais il considère que les inconvénients d’un vote public seraient plus nombreux et ne régleraient pas tous les risques de « fraude » ou de « corruption », avérée, patente, supposée ou non. Cependant, en interdisant par exemple aux membres du CIO de répondre favorablement aux invitations de villes candidates à venir les visiter, on reste dans l’hypocrisie. Une telle mesure d’interdiction, rappelée dans l’Agenda 2020, montre que le CIO n’a pas totalement confiance en ses membres. Il peut jeter le discrédit sur ceux-ci en semblant vouloir dire qu’ils pourraient se laisser corrompre.

J’ajouterai même que, tout en maintenant le vote secret et tout en renforçant le pouvoir des membres du CIO, des mesures simples pourraient être prises afin d’éviter l’image de suspicion qui est donnée aujourd’hui à chaque attribution d’évènement sportif et olympique. Le CIO connaît certaines de ces mesures, mais il sait aussi combien ce sujet est sensible pour nombre de ses membres qui ne souhaitent pas que l’on touche à leur dernier pouvoir majeur que représente la désignation de la ville organisatrice des JO.

Peut-on pour autant espérer plus de transparence dans le déroulement de la compétition qui vise à élire la ville réceptionnant les Jeux Olympiques ? Comment peut-on raisonnablement procéder ?

Armand de Rendinger : Dans le prolongement de ma réponse à votre précédente question, je procéderai de façon progressive sans bousculer l’attachement des membres à leur « sacro-saint » principe qu’est le vote secret :

1- Le CIO, dans sa phase d’invitation (2 ans avant le vote), définirait sa vision des JO à 10 ans: quel continent, quel type de pays (émergent ou non), quel problématique à régler … afin de permettre des comparaisons pertinentes entre tous les prétendants selon des critères objectifs, reconnus et admis par toutes les candidatures

2- Après avoir reçu les candidatures, la Commission Exécutive du CIO (15 membres), retiendrait les candidatures des pays respectant les critères énoncés précédemment, 18 mois avant le vote. Les candidatures auraient 9 mois pour répondre à un cahier des charges techniques. A l’issue de cette phase, la Commission Exécutive retiendrait 2 candidatures.

3- Durant les 9 derniers mois précédant le vote, les membres du CIO pourraient visiter les villes retenues, sachant que les critères politiques et affectifs de choix deviendraient, comme il se doit, prépondérants dans le choix des membres du CIO. Ceci est logique et mettrait fin à l’hypocrisie actuelle consistant à faire croire que la totalité des membres du CIO font un choix technique.

4- Le vote final resterait secret. Libre à chaque membre du CIO de choisir officiellement la ville qu’il affectionne ou qui l’attire le plus.

Cette proposition n’est qu’un type d’orientation envisageable à moyen terme. Elle n’éviterait pas totalement les éventuelles possibilités de corruption. Mais au moins, elle les limiterait et permettrait de contrôler les coûts de candidature sur un échantillonnage plus réduit. Au final, cela renforcerait énormément l’image du CIO au plan de l’efficacité et de la transparence.

Dans votre livre, vous abordez la question du rôle crucial des médias lorsqu’une ville a fait acte de candidature. Notamment en France où vous semblez déplorer la versatilité de ces derniers avec votre formule choc : « lécher d’abord, puis lâcher, pour enfin lyncher ». N’est-ce pas un peu excessif ? Et que pourrait-on faire pour s’assurer d’une couverture plus objective d’une candidature comme celle de Paris ?

ADR - BookArmand de Rendinger : On ne changera pas les médias sur des sujets tels que l’olympisme et les JO, tant ceux-ci, eu égard à leur résonnance politique, économique, sociale, juridique, morale et éthique, sont sujets à controverse et à contestation. Le rapport avec les médias sera d’autant plus efficace et apaisé, que les porteurs d’un projet de candidature démontreront leurs compétences, leurs capacités à mobiliser la population, leur désintéressement personnel, leur indépendance politique, leur souci d’utiliser les meilleures compétences sans ostracisme et sans passe-droit et leur volonté de jouer constamment la transparence.

Les médias seront d’autant plus à l’aise de servir de relais avec la population que les porteurs du projet ne travaillent pas pour eux-mêmes, pour satisfaire leur égo, pour conserver leur place et statut, mais exclusivement dans l’intérêt du projet. On ne se sert pas d’un tel projet pour exister ou pour subsister, surtout quand on utilise des fonds publics et privés qui ne vous appartiennent pas. C’est une question de savoir-faire, de volonté, d’enthousiasme, de leadership, d’humilité et de déontologie. Sans être naïf et benoitement optimiste, je reste persuadé que cela reste possible en France comme ailleurs. Il suffit de mettre en pratique le principe élémentaire : on ne se sert pas de la cause olympique. On la sert !

Quels enseignements majeurs retirez-vous en matière de communication des candidatures ratées d’Annecy pour les J.O. d’hiver de 2018 ou celles de Paris pour les J.O. d’été de 1992, 2008 et 2012 ou celle de Lille pour 2004 ? Quelles sont les erreurs à ne surtout pas reproduire et les axes d’amélioration dont devrait s’inspirer la capitale française pour 2024 ?

Armand de Rendinger : Là aussi la France vit un paradoxe étonnant. Bien qu’insuffisamment influent dans les sphères décisionnelles internationales, notre pays, au travers de certaines de ses fédérations sportives, obtient et a obtenu de belles organisations d’évènements importants qui nous conduisent jusqu’à 2020. Concernant l’organisation des grands évènements olympiques par contre et en dépit de magnifiques succès sportifs, la France est absente. Les raisons sont nombreuses et diverses, sachant que nous ne faisons pas preuve d’une grande fidélité à l’olympisme en n’étant candidat aux différents évènements olympiques que de façon ponctuelle et occasionnelle. La fidélité olympique est une vertu qui se construit en permanence, alors que l’image d’infidélité que nous véhiculons n’est pas propice pour se prémunir de tout risque d’échec.

ADR - peoplePrésenter la liste des enseignements, si on s’en donne la peine (cf. notamment mes livres précédents), serait intéressant. Cependant la liste serait trop longue et bien tardive pour être utile à court terme.

Aussi serait-il plus contributif dorénavant d’élaborer, immédiatement et dans le prolongement des études déjà entreprises, un référant de ce qu’il faut surtout éviter de faire et permettant de réduire le risque de se lancer dans un investissement conséquent d’une candidature qui serait une nouvelle fois vouée à l’échec.

Pour répondre à votre question plus spécifiquement en matière de communication, je retiendrai, dans un premier temps, 12 axes à fixer en priorité, pour ne pas réitérer les erreurs du passé et dissiper au moins la certitude qu’on va une nouvelle fois échouer :

1- Continuer, parce que l’on a enfin compris qu’il est nécessaire de mettre en avant les athlètes, d’utiliser ces derniers uniquement comme « instrument » de communication et de promotion.

2- Ignorer la nécessité, d’une part d’intégrer des champions sportifs à des postes-clés à condition qu’ils soient reconnus et appréciés par les membres du CIO, et d’autre part de capitaliser sur le savoir-faire des responsables des fédérations sportives ayant fait leur preuve dans l’obtention de l’organisation de grands évènements. Toutefois chacune de ces expériences est unique et n’interdit pas de considérer qu’une candidature est toujours en soi spécifique et tributaire de phénomènes autant structurels que conjoncturels.

3- Oublier qu’après tant de tergiversations pour se décider la France est vue, encore plus qu’avant, comme un pays doutant de l’olympisme et faisant des JO, au final, un instrument politique au service des politiques.

4- Ne pas croire à l’effet ravageur qu’est « l’effet papillon » : chaque fait, chaque évènement, chaque déclaration, chaque décision politique ou non … a un impact sur l’image projetée par la France et sera repris par les médias et la concurrence.

5- Se tromper de cible : toute la communication, qu’elle soit nationale ou internationale, doit être effectuée en priorité à l’aune des souhaits et des interprétations de chacun des membres du CIO.

6- Répéter que Paris est la plus belle des villes au monde et qu’elle a déjà tout pour bien accueillir les décideurs du CIO et faire croire à ses concitoyens que « les JO payeront les JO » et que cela leur coûtera peu.

7- Ne pas faire l’effort de présenter un projet au CIO qui répond à ce qu’il attend de la France, c’est-à-dire un projet (12 caractéristiques possibles) : authentique, faisable, innovant, pragmatique, surprenant, contribuant au développement du mouvement olympique, respectueux, généreux, intégrant les jeunes, projeté dans le futur et faisant rêver.

8- Continuer de « se regarder le nombril » et ne pas écouter en priorité les membres du CIO et les décideurs olympiques.

9- Se montrer naïf quant aux conseils et déclarations de ces quelques acteurs étrangers à la France qui se disent francophiles et prêts à contribuer à sa réussite. Une écoute sélective est obligatoire.

10- Croire que tout est acquis avant le vote final. Plus la date de vote d’attribution des JO se profile, plus la vigilance et l’intensité du travail prennent de l’importance et plus les erreurs deviennent rédhibitoires.

11- Sacrifier l’indispensable leadership pyramidal et démarche type commando au profit de la recherche constante du consensus politique dans la gouvernance de la candidature.

12- Enfin, imaginer que le lobbying représente une fonction monolithique, n’impliquant pas l’analyse et le contrôle de toute information aussi minime ou marginale qu’elle soit et qu’il ne fait pas l’objet de la mise en œuvre d’une fonction indépendante, structurée et non soumise aux impératifs et aux certitudes politiques.

Avec l’avènement du Web social, l’opinion publique pèse de plus en plus lourdement dans les débats de société. On le constate actuellement avec les projets controversés d’aménagement du territoire comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le barrage de Sivens ou le village-vacances de Roybon. La contestation s’organise sur le terrain mais aussi sur les réseaux sociaux qui cristallisent et mobilisent les oppositions. A votre avis, comment la candidature parisienne devrait-elle intégrer cette nouvelle donne digitale susceptible de perturber, voire faire capoter, le projet d’organisation des Jeux en 2024 ?

ADR - social mediaArmand de Rendinger : Le pire serait d’ignorer l’importance et l’influence grandissante de ce nouveau mode de communication virale, de soutien populaire et de contestation de masse. Un département spécifique et imaginatif de suivi et d’animation du web social, composé de professionnels, devrait être anticipé et identifié au sein de la candidature.

En effet, à peine la candidature sera annoncée que déjà une majorité de concitoyens (sportifs inclus) concernés seront actifs et/ou activés individuellement ou par affinités et familles pour analyser et/ou contester tout projet de candidature olympique. Ceci d’autant plus que d’autres projets et d’autres priorités existent et peuvent paraître plus urgents pour la France. Enfin ce ne sont pas les sondages favorables ou non aux JO qui pourront combler toute lacune en matière de maîtrise de web social tant ceux-ci seront toujours contradictoires, contestables et contestés.

A lire et consulter par ailleurs

– La page Facebook de soutien à la candidature de Paris pour les JO 2024



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