Communication corporate : Pourquoi les entreprises doivent-elles cultiver l’authenticité ?

L’épineuse question de l’authenticité de la stratégie de communication qu’une entreprise met en place à destination de ses publics, est sans nul doute la quotidienne quadrature du cercle que tout communicant affronte en permanence. C’est dans cette optique que les entreprises se sont progressivement dotées d’un corpus corporate affichant leur raison d’être, leurs valeurs et leur mission sociétale pour accroître leur acceptabilité sociale et nourrir la confiance des parties prenantes de leur écosystème. Problème : le discours peine souvent à accoucher d’actes en cohérence avec les intentions professées. C’est le constat relevé par une étude menée par l’institut de management IMD et l’agence de communication Burson-Marsteller. Synthèse des enseignements à intégrer d’urgence pour qu’authenticité rime enfin avec véracité … et efficacité !

Les conclusions du rapport signé par l’IMD et Burson-Marsteller ne sonnent pas à proprement parler comme une divine révélation. Avec la propagation croissante de la défiance dans l’opinion publique et l’exacerbation des rapports sociaux sous l’effet de la crise économique, le discours des entreprises peine déjà depuis plusieurs années pour faire entendre sa voix et tenter d’être perçu comme autre chose qu’une organisation froide, gourmande en dividendes et peu soucieuse de son environnement. En revanche, l’intérêt de cette enquête réalisée en février 2015 réside d’abord dans l’ampleur du panel sollicité, à savoir plus de 10 000 hauts dirigeants d’entreprises de 46 nationalités différentes et de 51 ans d’âge moyen. Leurs regards et expériences croisés ont ainsi permis de dégager des pistes de réflexion très pertinentes où la communication corporate peut agir en activateur concret de business et de dialogue et non plus en dérouleur en chef de papier peint pour cacher les fissures.

Mais au fait, c’est quoi la raison d’être corporate ?

IMD - MatriceContrairement à certaines idées reçues, la notion de raison d’être (ou de mission) corporate (que les anglo-saxons appellent « corporate purpose ») ne date pas d’aujourd’hui. Déjà dans le courant du 20ème siècle, des entreprises et des universitaires se sont penchés sur le sens sociétal d’une entité économique produisant des biens ou des services. Le rapport IMD/Burson-Marsteller cite ainsi Chester Barnard, un expert du management américain qui s’interrogeait en 1938 sur la dimension holistique de l’entreprise. A ses yeux, il la caractérisait autour de trois points fondamentaux : des personnes qui communiquent les unes avec les autres, des tâches et des actions à accomplir et un but commun à atteindre. A charge pour le leadership de l’entreprise d’activer les leviers idoines pour y parvenir.

Force est de constater que huit décennies plus tard d’abondante littérature managériale et en dépit d’une complexification évidente des enjeux et des interactions entre acteurs, la mission corporate de l’entreprise demeure intrinsèquement fondamentale pour sa cohésion en interne et sa réputation en externe. Pour les auteurs du rapport IMD/Burson-Marsteller, elle est même qualifiée d’essence de la raison d’être de l’entreprise qui rassemble toutes les parties prenantes internes et externes dans un contexte à la fois économique, sociétal et environnemental. De fait, ce qui va exprimer et concrétiser cette mission corporate vont être d’une part les discours de l’entreprise et d’autre part, ses actes. Formulé ainsi, le concept semble d’une logique limpide. Pourtant, au regard des résultats mis en évidence dans le rapport, on note que bien des hiatus et paradoxes perdurent au risque de mettre en péril la réputation des entreprises et tout ce qui en découle. Autrement dit, entre le déclaratif claironné et la réalité des réalisations, les écarts mettent à mal les communications les mieux huilées.

Personne n’est exemplaire

IMD - Top 5 companiesCes écarts entre le « dire ce que l’on fait » et « faire ce que l’on dit » se confirment à la lumière des réponses faites par les dirigeants interviewés. A la question de citer spontanément une entreprise incarnant de manière authentique la mission corporate qu’elle revendique, à peine un tiers des répondants est en mesure de donner un exemple qui est probant selon lui. Au final, aucune entreprise n’émerge clairement parmi toutes les réponses collectées dans le cadre de l’enquête. Seules 5 entreprises parviennent à collecter plus de 5 mentions parmi lesquelles on trouve respectivement Google, Nestlé, Apple, Ikea et Patagonia. Au total, 181 entreprises auront été évoquées pour ceux qui ont été en mesure de citer un nom.

Cet éparpillement des citations a tellement interpelé les auteurs de l’étude que ceux-ci ont ensuite soumis une liste prédéterminée de 30 entreprises précédemment distinguées par des classements réputationnels reconnus comme le Dow Jones Sustainability Index, Fortune’s Most Reputable Companies ou encore Global ESG 100. Chaque entreprise était alors notée sur un barème de 10 en fonction de plusieurs critères. Le vainqueur est cette fois le constructeur automobile BMW avec 5,87 points de moyenne, talonné par … Patagonia (5,83) et Nestlé (5,79). Pour information, les 4èmes, 5èmes et 6èmes sont dans l’ordre Volkswagen (5,74), Unilever (5,63) et Michelin (5,58).

Quels points critiques?

IMD - Top 6Même si Patagonia et Nestlé peuvent au final se targuer d’être les deux seules enseignes à systématiquement apparaître, leurs scores ne constituent pas pour autant des brevets d’excellence. Pour les auteurs de l’étude, cette absence notoire d’entreprise « étalon » en matière de mission corporate est révélatrice des tensions et des incohérences qui interfèrent encore dans les stratégies de communication des entreprises. La première d’entre elles tient au fait qu’il existe un manque d’alignement patent entre ce qui est dit par l’entreprise et ce qui est fait. Décalage qui est source de méfiance de la part des publics de l’entreprise qui y voient là au mieux une incohérence gênante ou au pire une volonté d’enjoliver la réalité.

Autre enseignement clé de l’étude : le rôle crucial du leadership de l’entreprise et en filigrane de son exemplarité. Pour nombre de répondants, l’authenticité de la mission corporate de l’entreprise est clairement corrélée aux dires et aux actes de son top management. Bien que le rapport IMD/Burson-Marsteller identifie au total 12 leviers concourant à nourrir un positionnement corporate authentique, la question du leadership est indéniablement motrice et crucial pour faire la différence auprès des différents publics de l’entreprise. Avec notamment une idée clé qui veut que les décisions stratégiques et structurantes de l’entreprise soient toujours prises au regard des critères intrinsèques de la mission corporate. Un point que la moitié des dirigeants interrogés estime très difficile à concrétiser lorsque la majorité d’entre eux est soumis aux aléas court-termiste des impératifs financiers et boursiers qui conduisent souvent à court-circuiter ou abandonner des éléments pourtant constitutifs de la culture de l’entreprise.

Un cas d’étude à suivre : BMW

IMD - BMWDans leur rapport, les auteurs citent plus en détails plusieurs cas d’étude d’entreprise qui ont véritablement entrepris une démarche visant à coller au plus près aux aspirations de la mission corporate qu’entend s’assigner une société donnée. Le constructeur allemand BMW est notamment mis en avant pour sa volonté de susciter plus de dialogue et d’ouverture dans sa stratégie de développement en associant les parties prenantes concernées. C’est ainsi qu’en 2007, le groupe BMW a mis en place un plan baptisé Strategy Number ONE avec deux objectifs : être rentable et renforcer la création de valeur sur le long terme dans un contexte de changement. Cette stratégie s’appliquait aux aspects technologiques, structurels mais aussi culturels de l’entreprise et visait à aider les managers à prendre des décisions avec une approche plus holistique. Autrement dit, en associant d’autres personnes et en tenant compte de différents paramètres comme les ressources humaines, les indicateurs financiers, l’impact environnemental, etc.

En termes d’indicateurs, BMW peut déjà se targuer d’indicateurs probants. En 2012, l’entreprise a par exemple été élue entreprise la plus réputée du monde. Autre élément qui indique que la société maintient un cap crédible : six de ses huit membres du comité de direction actuel sont des personnes issues de l’entreprise elle-même. Enfin, 46% des parts de la société sont toujours détenues par une famille. Ce qui fait dire à BMW : « Si toutes les entités de l’organisation comprennent la mission, les employés sont pleinement en mesure de prendre des décisions de façon autonome tout en étant alignés avec la mission corporate du groupe BMW ».

Mission impossible ?

IMD - banniere communicaationA la lecture de ce rapport réellement très édifiant, d’aucuns hausseront probablement les épaules préférant n’y voir qu’une lubie de chercheur déconnecté du terrain et théorisant de belles notions peu compatibles à la rude réalité des affaires et de la pression médiatique. C’est certes une façon de se rassurer et de repousser la poussière sous le tapis tout en essayant de tirer sur la corde d’un modèle qui s’essouffle plus que jamais depuis que les médias sociaux et la prise de parole individuelle qui s’ensuit, ont totalement bousculé la donne.

Il serait pourtant dommage de réduire cet intéressant travail d’investigation qui prouve une fois de plus la vacuité de cette communication incantatoire, voire manipulation que certains s’échinent à plaquer en toutes circonstances. Si la mission corporate de l’entreprise doit être générée et nourrie en son sein, la réputation de celle-ci est désormais une co-construction où d’une part l’entreprise doit être cohérente entre actes et paroles et d’autre part, elle doit écouter ses publics et savoir lui déléguer une part de voix. L’exercice n’est évidemment pas chose aisée pour certains cerveaux managériaux pétris d’autocratisme et d’arrogance. Il est pourtant la seule voie pour que la communication corporate soit perçue comme authentique et pas apocryphe.

Pour en savoir plus

– Télécharger l’intégralité du rapport « How Authentic is your corporate purpose ? » – IMD & Burson – Marsteller – Février 2015