Ce que le digital change pour les ONG en termes d’enjeux de communication

A l’instar des entreprises, des marques et des personnalités publiques, les organisations non-gouvernementales et les associations à but non lucratif sont confrontées à l’irruption du digital dans leurs stratégies de communication. Si certaines ont déjà acquis une maîtrise hors pair pour déclencher une mobilisation publique et obtenir des résultats concrets, nombreuses sont celles qui tâtonnent encore à la recherche de l’improbable martingale qui les fera émerger dans le flux incessant de l’actualité et déclenchera des actions. Si les moyens financiers et humains sont certes un aspect non-négligeable de la problématique, il n’en demeure pas moins que certains critères fondamentaux doivent être intégrés pour espérer une attention minimum. Revue de détails.

Tous les jours ou presque, essaiment des pages Facebook appelant à la mobilisation pour une cause, des pétitions en ligne pour faire capoter un projet ou des hashtags sur Twitter pour attirer l’attention des médias et des influenceurs. Pourtant, peu d’initiatives parviennent réellement à se frayer un chemin dans l’afflux permanent des appels à l’action en dépit d’une frénétique recherche de buzz à tout prix. Pourquoi certaines causes (pas forcément les plus connues d’ailleurs) suscitent un écho là où d’autres restent en jachère ou se diluent. Il n’y a pas de recette infaillible mais il y a des leviers que la communication digitale a rendus incontournables.

L’idée qui viralise avant tout !

ONG 1 - The Killer ideaLes publicitaires le savent par cœur depuis des décennies. Bien plus que les qualités techniques intrinsèques d’un produit, son design séduisant ou son prix compétitif, c’est la plupart du temps l’idée créative articulant et nourrissant la campagne qui va faire la différence auprès du public visé. Une idée que qualifie volontiers d’ « idée qui tue », Nicolas Bordas, l’actuel président du réseau d’agences Being Worlwide et vice-président de TBWA\Europe dont il a d’ailleurs tiré un très inspirant ouvrage éponyme en 2009.

Une idée qui tue est une idée qui sait se jouer des codes classiques, des limites sociétales et des interdits culturels sans pour tomber sombrer dans la provocation agressive, gratuite et trop clivante. En d’autres termes, il faut parvenir à interpeller, convaincre de passer à l’action et d’emmener d’autres gens avec soi.

Pour une ONG, le défi est probablement encore plus immense que pour une marque. Non seulement, elle dispose souvent de ressources financières plus restreintes mais elle doit aussi se démarquer de la concurrence (de plus en plus bavarde) et des diverses causes dont le public est régulièrement abreuvé à travers les médias et les réseaux sociaux (sans parler du street marketing qui vire parfois à la limite du harcèlement des badauds). Le tout dans un contexte économique aléatoire et un état d’esprit général plutôt tourné vers le repli sur soi.

Autant dire que l’équation n’apparaît pas d’une limpidité implacable pour qui veut faire bouger une communauté de personnes autour d’un projet. Pour Zoe Amar, consultante britannique en communication digitale et très familière de l’univers des ONG, les médias sociaux sont pourtant un outil incontournable pour ces dernières. Toutefois, cela peut supposer de faire évoluer la culture digitale même de l’organisation en question autour de 6 points clés qu’elle détaille dans son excellent billet de blog (1). Sinon, la probabilité d’échec demeure forte quand bien même Facebook et consorts feraient partie du nouvel attirail communicant.

Simplicité et proximité

ONG 1 - No make up selfieDans cet univers informationnel saturé en stimuli de tout genre, une ONG doit impérativement raisonner autour d’un tryptique qui pourra peut-être sembler évident à d’aucuns mais pourtant pas si souvent mis en application dans la réalité. Ce tryptique suppose d’abord que l’idée retenue pour accrocher l’attention soit une idée simple à comprendre et à exécuter mais ensuite si possible qu’elle soit proche du quotidien des personnes concernées, du moins suffisamment émotionnelle pour engendrer l’action souhaitée. Si simplicité (qui ne veut pas dire pour autant idiot ou racoleur) et sensibilité (qui ne doit pas être confondu avec larmoyant à tout va) sont conjuguées dès le départ, la cause d’une ONG dispose dès lors d’un socle potentiellement solide pour devenir viral. Le troisième levier qui peut assurer enfin une dynamique encore plus intense est la mobilité. Ce n’est plus un secret pour personne. La connectivité des internautes est aujourd’hui majoritairement mobile. Dès lors, le passage à l’acte recherché auprès de la personne, doit pouvoir se faire facilement, rapidement et en situation de mobilité (même si au final l’individu est en fait derrière un ordinateur fixe).

Ces trois points sont parfaitement illustrés par une opération virale réalisée en mars 2014 par l’association anglaise Cancer Research UK. Baptisée #nomakeupselfie, celle-ci est parvenue à lever plus de 11 millions d’euros de don pour soutenir les chercheurs de l’organisme scientifique. A la base, l’idée demandait à chaque internaute de réaliser un selfie sans maquillage, ni autre artifice cosmétique. Autrement dit, se montrer tel que l’on est avec parfois ses petites imperfections cutanées ou cernes excessives pour démontrer une forme de « courage » d’apparaître comme celui dont font preuve celles et ceux qui se battent contre cette sale maladie. Pendant plusieurs jours, plusieurs dizaines de milliers de tweets (2) furent ainsi échangés en mentionnant le hashtag pour soutenir l’opération et lui conférer une ampleur remarquable.

Attention à la dispersion

ONG 1 - Stop YulinS’il est un piège qui guette les associations à but non-lucratif, c’est bien celui de la dispersion. Devant l’aisance à s’emparer des outils digitaux pour sensibiliser à une cause et tout particulièrement les plateformes de pétition en ligne comme Avaaz, WeSignIt, SumOfUs ou encore Change.org, les internautes les plus activistes n’hésitent plus à publier en quelques clics des appels publics à manifester ou à soutenir un sujet spécifique. Malheureusement, on constate que dans une majeure partie des cas, les pétitions sur un même sujet se multiplient en autant d’associations qui existent et qui entendent faire porter leur voix. Résultats : les noms des signataires se retrouvent éparpillés sur différents espaces digitaux pas forcément reliés entre eux sans parler de ceux qui reçoivent parfois jusqu’à une dizaine de fois une invitation à signer de la part de différents acteurs.

Cette redondance conduit tout droit à une déperdition des efforts enclenchés par les ONG et un risque de saturation auprès des publics que l’on cherche à toucher. C’est peu ou prou ce qui s’est produit à l’orée de l’édition 2015 du Festival de la viande de chien et de cat se tenant à Yulin en Chine. Existant depuis plusieurs années, cette manifestation est particulièrement controversée dans le monde entier pour la barbarie et les conditions sanitaires que subissent environ 50000 animaux selon les estimations les plus pessimistes. Cette année encore, les activistes de la planète se sont mobilisés à travers une page Facebook qui a recueilli plus de 100 000 soutiens, un compte Twitter de plus de 20 000 abonnés, un hashtag mondial #StopYuLin2015 et quantité de pétitions émises par différentes associations comme en France, la fondation Brigitte Bardot et la SPA. Problème : les initiatives n’étaient pas coordonnées, ni avec des objectifs et des destinataires chinois communs, ni centralisées autour d’une plateforme unique qui aurait pu obtenir un poids nettement plus considérable pour espérer avoir gain de cause.

Bien que la pétition de Change adressée au président chinois ait tout de même atteint plus de 4 millions de signatures et celle au gouverneur de la région concernée près de 1,5 million, l’événement a bien eu lieu. Pourtant, au premier regard, ces 5,5 millions sont loin d’être quantité négligeable. Malheureusement, lorsqu’on fait un tour sur le Web, on s’aperçoit que d’autres pétitions plus désordonnées comme celle de Care2petitions ont récolté près d’1 million supplémentaire. Sans parler des plus petites qui ont toutes dépassé la dizaine de milliers de gens indignés par le massacre des bêtes. Conséquence : les médias ont certes consacré des sujets au Festival polémique, parlé essentiellement de la plus grosse pétition de Change et clos rapidement le sujet sans réellement voir que la quantité de gens engagés était au cumul probablement de l’ordre de 10 millions, voire plus. Pourtant, l’émotion était bel et bien au rendez-vous mais cela n’a pas suffi à faire annuler la boucherie.

De l’importance d’entretenir une communauté

ONG 1 - GreepeanceAu-delà de la nécessité impérieuse de mettre en place une stratégie préalable et une idée pivot avec un destinataire identifié comme tel, les ONG doivent réellement capitaliser sur leurs communautés existantes. Les plus importantes et les plus historiques disposent déjà de bases de données sur lesquelles s’appuyer pour amplifier les actions qu’elles sont amenées à effectuer. A cet égard, la célèbre association écologiste Greenpeace est sans conteste passée orfèvre en la matière. Reconnue et crainte pour ses actions coup de poing dont les médias se délectent régulièrement, l’ONG a parfaitement su s’adapter aux médias sociaux au point de faire plier par exemple le fabricant de jouets Lego qui s’apprêtait l’an passé à reconduire un contrat commercial avec l’ennemi récurrent de Greenpeace : le pétrolier Shell.

Mais là où l’association est encore plus agile, est dans sa stratégie de contenu éditorial parfaitement huilée et synchronisée de surcroît avec les opérations terrain si le besoin s’en fait sentir. De fait, les militants comme les donateurs ou les sympathisants sont régulièrement informés de l’actualité de Greenpeace. Qu’il s’agisse de la classique newsletter ou des réseaux sociaux, chacun peut trouver chaussure à son pied pour garder le contact et facilement signer le cas échéant en faveur d’actions qu’il juge utiles. Pour l’ONG, le slacktivisme n’est absolument pas la fin en soi. Au contraire, l’un de ses dirigeants précise que les médias sociaux sont un lien durable (4) : « Si nous impulsons un mouvement sur le changement climatique, nous avons besoin d’atteindre un grand nombre de gens. Les médias sociaux constituent la passerelle mais nous devons ensuite grossir et engager la conversation pour les encourager à faire des actions en ligne et hors-ligne ». Tout est dit surtout quand l’idée est forte à la base !

Sources

– (1) – Zoe Amar – « Why your charity’s culture is critical for digital success» – Blog de Zoe Amar – 1er juin 2015
– (2) Luke Lewis – « #nomakeupselfie – why it worked » – The Guardian – 25 mars 2014
– (3) – Jan McQuillan – « Delivering a social strategy content with Greenpeace » – Blog de Falcon Social – 27 novembre 2014

Pour en savoir plus

– Lire l’article d’Aimee Meade du Guardian – « 10 facts your charity need to know about social media » – 21 juillet 2014
– Lire l’enquête réalisée par l’agence Limite – « Enquête Népal : les ONG nettement plus réactives que lors des catastrophes précédentes mais moins efficaces dans la communication d’après-urgence » – 25 juin 2015

 



5 commentaires sur “Ce que le digital change pour les ONG en termes d’enjeux de communication

  1. Kamel  - 

    Comme toute organisation communicante, les ONG et associations doivent faire très attention à ce qu’elles diffusent. Aujourd’hui, le copier-coller des pétitions pourrit les boîtes mails de tout un chacun, et décridibilise même les associations qui font seulement suivre les messages d’alertes.

  2. Nicolas Danet  - 

    Bonjour,
    Il me semble que #nomakeupselfie n’est pas une « opération virale » dont CRUK serait à l’origine mais plutôt un mouvement spontané, populaire, que CRUK a intelligemment choisi de soutenir. C’est important, parce qu’il s’agit 1. d’une stratégie bien différente de celle d’une logique publicitaire émetteur-récepteur 2. d’un phénomène spécifique à l’engagement (on imagine la chose moins facile avec le secteur marchand)

    plus d’infos par exemple ici:
    http://www.charitycomms.org.uk/articles/how-cancer-research-uk-raised-8m-from-a-campaign-they-didn-t-start

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