Dircoms, l’heure est venue de se réinventer … ou de disparaître à terme !

Derrière ce titre que j’admets sans doute un peu apocalyptique, réside pourtant une réalité excellemment dépeinte par le dernier rapport intitulé « European Communication Monitor 2015 » et publié en juillet 2015. Si l’essentiel des professionnels de la communication du Vieux Continent s’accorde à reconnaître que leur métier est en profonde mutation, nombreux sont encore ceux qui peinent à embrayer la vitesse supérieure en adoptant le digital autrement que sous le prisme de l’outil en plus et en convainquant plus significativement les PDG que communication et développement du business ne sont pas antinomiques mais bien totalement imbriqués. Résumé des enseignements et des tendances les plus marquantes.

« European Communication Monitor » (ECM) est sans doute en France la moins connue des études récurrentes du secteur de la communication mais probablement une des plus fouillées qu’il soit donné de lire pour qui s’intéresse de près aux tendances et aux pratiques des communicants dans les entreprises, les institutions et les organisations à but non lucratif. Depuis 2007, sous la houlette de plusieurs organismes comme l’EACD (European Association of Communication Director) et l’EUPRERA (European Public Relations Education and Research Association) et avec le concours de l’institut Partner Research et du magazine européen Communication Director, l’étude balaie en profondeur toutes les mutations et les enjeux à l’œuvre que les communicants européens de 41 pays rencontrent au quotidien. Cette année, 2253 professionnels de tout âge, secteur et niveau hiérarchique ont répondu à un impressionnant questionnaire en ligne pour dresser les contours des challenges de 2015 et au-delà. Petite sélection des points les plus cruciaux que le digital continue toujours autant de bousculer.

Que faire des médias traditionnels ?

ECM 2015 - LogoLongtemps, ils ont été à la fois la focale et le baromètre des communicants. La couverture obtenue dans la Sainte-Trinité médiatique (print, TV, radio) était le périmètre largement investi pour s’assurer de sa bonne visibilité auprès des publics visés et parfois que d’aucuns dircoms s’entêtent encore à convertir en équivalent dépenses publicitaires pour justifier de la pertinence des relations presse et publics auprès des grands patrons aiinsi que des inflexibles directeurs financiers à la gâchette « cost-killer » particulièrement chatouilleuse dès lors qu’il s’agit de communication !

Les professionnels interrogés par l’étude ECM 2015 prennent de plus en plus conscience que la donne médiatique se transforme et se complexifie grandement. Avoir une pleine page dans Le Monde ou un plateau de 3 minutes au JT de 20 heures de TF1 ne suffit plus pour émerger et se faire entendre. Pour la simple et bonne raison que les médias traditionnels se sont eux-mêmes fragmentés, que les modes de consommations varient grandement d’une génération à l’autre et que d’autres acteurs (blogueurs, experts indépendants ou même quidams créatifs) sont pour certains également devenus des relais de poids dans l’opinion publique.

Certains communicants estiment même à 50,3% d’entre eux que les « owned media » (à savoir les sites, blogs, publications, réseaux sociaux, etc d’une organisation) ont désormais un rôle plus prééminent à jouer autour d’une stratégie de contenus régulièrement alimentée. Ces derniers déclarent même qu’ils entendent réorienter leurs dépenses publicitaires classiques dans les 3 années qui viennent vers des plans d’action conversationnels plus étoffés. Une évolution notable qui a notamment mis sur le devant de la scène des concepts (parfois un peu fumeux à cause de gourous tendance) de « content marketing », « brand journalism » ou « native advertising » pour continuer à toucher les parties prenantes d’un écosystème donné. Ce qui n’est pas sans soulever par ailleurs des questions d’éthique comme le relève finement l’étude ECM (lire également à ce sujet le billet dédié du Blog du Communicant sur le native advertising). Le mélange des genres est en effet vite arrivé !

Pour autant, les médias classiques ne sont pas non jetés avec l’eau du bain. Bien qu’ils subissent concomitamment déclin du lectorat, défiance accrue du public et réinvention parfois aléatoire de leurs modèles éditoriaux, ils demeurent des carrefours d’audience et d’impact dont il n’est pas question de se priver. 74,3% des répondants disent ainsi continuer à utiliser les médias pour veiller sur l’actualité et l’état de l’opinion publique. De même, 71% jugent les médias incontournables pour faire connaître ou entretenir la notoriété de leur enseigne, de leurs produits et de leurs services. Il n’en demeure pas moins selon l’étude qu’une majorité de professionnels éprouve d’avérées difficultés pour s’affranchir des paradigmes RP qui ont fonctionné jusque-là pour évoluer vers des stratégies multi-interlocuteurs plus sophistiquées où l’organisation est elle-même devenue en quelque sorte un média parmi les médias !

ECM 2015 - Slide 24

Le contenu comme poumon essentiel de la communication ?

Ce n’est pas faute que le message soit martelé avec constance par les experts du métier et quelques entreprises pionnières : le contenu est en passe de devenir le carburant incontournable de toute stratégie de communication intelligemment assemblée en fonction des enjeux en cours ou à venir, des publics considérés et des objectifs à atteindre. Même si cet énoncé peut paraître à d’aucuns une tautologie tant les médias sociaux ont poussé marques et organisations à réviser certaines approches, force est de constater qu’on reste malgré tout scotché au bon vieux blabla enjoliveur de la com’ de papa ou aux pirouettes sympathiques mais volatiles que sont les jeux, concours et autres instruments à déclencher du clic pour faire apprécier les « contenus » diffusés.

L’étude ECM 2015 met en relief que cette évolution timide perd de vue un point pourtant essentiel. Jamais les enjeux d’image et de réputation de l’organisation et de ses produits ou services sont autant intrinsèquement liés. D’où la nécessité de plus en plus impérieuse selon les auteurs de l’étude d’aligner et de synchroniser plus agilement le corporate/RP et le branding/Marketing qui sont très souvent empêtrés dans les querelles de territoire que le digital n’a d’ailleurs pas forcément contribuer à clarifier. Il n’en demeure pas moins que le risque d’avoir une communication éparse, voire incohérente, est plus grand qu’il ne l’a jamais été auparavant. Surtout si en plus un troisième larron très en vogue actuellement, le Chief Digital Officer, vient s’en mêler à son tour !

Du coup, si tout le monde est à peu près globalement d’accord pour dire que le contenu s’impose nettement comme le véhicule majeur (mais pas le seul non plus) pour interagir avec les publics, les divergences demeurent sur qui doit impulser et coordonner pertinemment l’ensemble entre toutes les entités d’une organisation (PDG, DRH, Marketing, Commercial, Finance, Juridique, Industriel, etc). Conséquence : c’est encore l’émiettement qui prévaut où chacun opère dans son coin et créé des contenus pas forcément en ligne avec le cadre stratégique global, ni avec les attentes des parties prenantes. Pire, dans la plupart des cas, c’est même l’inaction qui finit par s’imposer comme le démontre la diapositive ci-dessous.

ECM 2015 - Slide 34

La communication, c’est aussi créer de la valeur mais …

Cette inaction découle en partie d’un mythe tenace et fort répandu qui veut la communication se résume avant tout à des dépenses aux résultats totalement incertains, voire superfétatoires. Il faut bien avouer que durant les dernières décennies, certaines actions aux dépenses somptuaires mais pas vraiment adaptées aux besoins réels de l’organisation, n’ont guère aidé à briser cette image calamiteuse du communicant qui est surtout là pour verser dans la paillette et le discours aseptisé. Heureusement, l’idée que la communication bien réfléchie en amont et exécutée en aval peut être génératrice de valeur pour l’entreprise ou l’institution commence petit à petit à faire son chemin. Un mouvement mû un peu sous la pression des financiers qui n’ont guère d’états d’âme à raboter les budgets alloués à la communication. Un peu aussi grâce à des communicants pour qui la communication crée du lien sociétal et des facteurs d’influence favorables pour ensuite opérer au sein d’une communauté donnée. Avec l’apprivoisement du Web social qui se poursuit, l’étude ECM 2015 note que le renforcement du lien entre communication et business est l’autre défi prioritaire des communicants interrogés.

ECM 2015 - Slide 41

Néanmoins, pour générer cette valeur et la mesure qui lui correspond en retour, cela requiert là aussi que les organisations cassent les carcans traditionnels de la communication encore très largement descendante (« top-down »). De ce point de vue, les résultats de l’étude sont assez implacables. Une large proportion de communicants consacre avant tout ses efforts à l’élaboration de messages, voire pour les plus avancés d’entre eux à la veille en ligne des discours relatifs à leurs sujets … mais sans vraiment être pour autant en posture d’écoute active où ce qui dit l’autre concourt de temps à autre à répondre à ces questions et à mieux orienter l’action de l’entreprise. Bien que çà et là des organisations ont commencé à lâcher la bride de la validation à outrance (et peu réactive de ce fait), les réflexes quasi pavloviens perdurent en règle générale. Oui au contenu mais avec un message tellement calibré qu’il en devient décalé ou inepte par rapport aux attentes du public et quelquefois contre-productif en termes de valeur (pas lu, pas cru, voire critiqué au profit d’un concurrent).

ECM 2015 - Slide 62

 

Alors qu’est-ce qui pourrait faire un excellent dircom ?

En plus de chapitres fort instructifs sur la mesure de la performance de la communication, des pratiques salariales en fonction des positions occupées ou encore sur les relations entre annonceurs et agences, l’étude ECM 2015 ne s’est pas contenté de décrire un état des lieux par ailleurs remarquablement exhaustif. Ses auteurs se sont aussi attachés à essayer de dresser le profil du communicant tel qu’il doit maintenant devenir à l’aune des bouleversements et enjeux évoqués par ailleurs. Les constats dressés constituent de formidables sources d’amélioration pour tous les communicants en quête d’optimisation.

Sans entrer dans tous les détails qu’on peut retrouver dans le document final en téléchargement ci-dessous, quelques points cruciaux méritent en revanche d’être soulignés. Sur le plan organisationnel, il est d’une part fortement recommandé d’avoir une fonction communication unifiée et non pas par exemple cette dichotomie qu’on trouve encore dans de grandes organisations où la communication interne est absorbée par la direction des Ressources Humaines et la communication externe baladée entre le PDG, la direction Marketing ou celle des Ventes. Ce type de schéma est un véritable ferment pour engendrer des dysfonctionnements préjudiciables. Autre élément d’importance : le dircom doit être un membre à part entière du comité de direction et pouvoir disposer ainsi d’une vision 360° de la vie de l’entreprise ou de l’organisation.

ECM 2015 - Slide 124

L’étude ECM 2015 a aussi abordé un point plus original mais pas négligeable : le choix des agences par les organisations. Il ressort de l’analyse des auteurs que les premières sont souvent plus sélectionnées comme des forces d’appoint, voire de sous-traitance intégrale, pour les équipes de l’annonceur (qui ne peut pas ou peu recruter) mais ensuite nettement moins sollicitées comme des partenaires précieux pour stimuler l’innovation et la créativité du fait pourtnt de leur vision extérieure et multi-disciplinaire.

Enfin, l’excellent communicant sera celui qui sait justifier avec des critères pertinents (et pas du bricolage au doigt mouillé ou de l’empilage de « likes ») la valeur ajoutée d’une action de communication auprès de ses dirigeants. Une valeur qui au passage n’est pas obligée de se traduire systématiquement par des indicateurs purement financiers mais aussi par des baromètres démontrant l’évolution d’une réputation et/ou des positions tenues par des parties prenantes initialement résolument contre l’organisation. Mais là encore, cela suppose que l’organisation s’astreigne à une nouvelle posture communication où le bottom-up est pris en compte et peut trouver des terrains de convergence avec le « top-down ». Pas toujours facile mais pas forcément impossible.

A une condition expresse toutefois que le rapport ECM 2015 répète à plusieurs reprises : l’allocation de moyens humains et budgétaires significatifs. Sans pour autant claquer l’argent et bâtir des armées mexicaines, la communication nécessite des ressources. Plus elles sont limitées, plus le dircom et ses équipes ont le nez dans le guidon opérationnel et plus il leur devient parfois malaisé de prendre un peu de recul, de mesurer ce qui a été accompli et convaincre le PDG que la communication est un levier de business au même titre que les intouchables business plans et résultats des vents !

Pour en savoir plus

L’historique de l’étude European Communication Monitor
Télécharger l’intégralité du rapport ECM 2015
– Visiter le site de l’EACD (European Association Communication Directors)
– Visiter le site d’EUPRERA
– Visiter le site du magazine Communication Director
– Visiter le site de Prime Research

Voir le résumé de l’étude 2015 en vidéo

 

 



2 commentaires sur “Dircoms, l’heure est venue de se réinventer … ou de disparaître à terme !

  1. dsicol  - 

    Encore faudrait-il aussi que le DirCom ne confonde pas web/numérique et communication à l’ancienne : si tout ce qui transite (data, dématérialisation, apps interactives, UX, etc.) doit être préalablement soupesé et filtré avec le fantasme d’une communication toujours descendante et « maîtrisée », la transformation numérique est morte, et l’entreprise/organisme avec !

Les commentaires sont clos.