Etude Brunswick Group : Dessine-moi le dircom … du futur !

Signe emblématique des temps, les études ne cessent de se multiplier sur l’inéluctable mutation du poste de directeur de la communication. Confrontés à une opinion publique très perplexe face aux discours corporate trop longtemps lessivier, bousculés par un corps sociétal qui a fait du digital son canal de prédilection pour challenger les réputations un peu trop ripolinées et pas toujours à l’aise devant des médias eux-mêmes en plein tâtonnement existentiel, les dircoms ont paradoxalement conquis leur raison d’être dans les organigrammes des organisations. Avec souvent un argument aujourd’hui en totale obsolescence : contrôler à 100% le message et la réputation. Sauf qu’il va vite falloir sortir de ce prisme. La récente étude du cabinet international Brunswick Group vient de fournir une probante analyse de ce que sera le dircom du futur.

Il y a presque deux mois, j’évoquais sur ce blog la synthèse d’une autre passionnante étude sur les dircoms à l’initiative de l’EACD (European Association of Communication Director), l’EUPRERA (European Public Relations Education and Research Association), l’institut Partner Research et le magazine européen Communication Director. Ce document traçait déjà avec une belle précision le rôle évolutif du directeur/directrice de la communication et des nouveaux enjeux que cette personne doit relever pour le compte de son organisation. Le rapport édité cet été par Brunswick Insights, un practice spécialisé dans l’étude de l’opinion du groupe éponyme, enfonce le clou et ose aller plus loin en termes de prospective. Au lieu de s’acharner à empiler du digital partout en croyant que la solution viendra d’elle-même et des clics des internautes, c’est surtout un changement d’état d’esprit et de conduite du changement que les dircoms doivent impulser et accomplir (eux-mêmes y compris) en plus de lancer des sites collaboratifs et d’ouvrir des profils sociaux. Focus sur les points saillants de ce rapport à télécharger en intégralité en fin d’article.

Bye bye la com’ de papa !

Brunswick - the-future-of-corporate-communications-reportRéalisée auprès de 163 hauts décideurs de la communication européens issus majoritairement d’entreprises privées et cotées, l’étude du Brunswick Practice a choisi avec pertinence d’intituler sa synthèse : « The future of corporate communications : Cutting through the noise ». Autrement dit, comment émerger efficacement et de manière crédible d’un environnement où une info chasse l’autre, où tout et son contraire sont diffusés en une fraction de secondes par l’intermédiaire de multiples acteurs plus ou moins influents qui grillent même la politesse aux médias classiques, jusqu’à présent interlocuteurs privilégiés (et souvent à tort ou à raison suspectés de connivence) des entreprises qui souhaitaient faire entendre leur voix et nourrir leur réputation.

Ce schéma à deux bandes jusque-là relativement confortable est effectivement en train d’exploser sous la conjonction d’un brouhaha digital qui essaime sans compter et de chaînes d’information en continu qui happent sans être toujours trop regardantes. Les très récents emballements médiatiques autour de la vraie-fausse mort habilement orchestrée du site satirique français Le Gorafi et de la publicité volontairement discriminante de l’enseigne de salles de sport Vita Liberté en fournissent une percutante démonstration décryptée par ailleurs avec finesse par le chercheur universitaire belge de l’Université catholique de Louvain, Nicolas Vanderbiest. Résultat : le message est de moins en moins véhiculé et défini par le titulaire de la marque ou de l’enseigne mais par celles et ceux qui s’expriment et commentent indifféremment sur un sujet donné. Le constat n’est pas nouveau mais il est désormais incontournable pour les dircoms et il constitue même déjà leur quotidien pour les plus avancés, ceux qui ont compris que la bonne vieille serrurerie communicante était vouée à l’échec face à cette viralité informationnelle d’une part et cette exigence sociétale de transparence d’autre part.

Une fragmentation complexe des publics

Brunswick - public fragmentation50% des communicants interviewés par Brunswick Insight reconnaissent volontiers que l’émergence rapide des médias sociaux boostés par une consommation de plus en plus mobile et quasi instantanée a profondément bouleversé la donne dans leurs départements dont la mission fondatrice est d’entretenir, différencier et protéger la réputation de l’entreprise. La vitesse de propagation d’une information et la capacité à y répondre est bien entendu toujours un défi constant quoiqu’accru tant l’internaute est un impatient atavique ! Mais c’est aussi la fragmentation des publics cibles de l’entreprise et leur présence digitale pouvant varier fortement d’une communauté à l’autre qui constituent un autre casse-tête auquel les communicants interrogés dans le rapport admettent l’évidence. Même si Facebook et YouTube demeurent les poids lourds, Snapchat ou Twitter peuvent aussi être des canaux à considérer en dépit d’une population d’abonnés certes moindre mais très virulente. Or, cela suppose de savoir qui sont les publics et où et comment ils agissent !

Ceci leur apparaît d’autant plus himalayen que la surcharge informationnelle est en parallèle intarissable. 60% du panel juge même que c’est un obstacle d’envergure pour parvenir à faire émerger efficacement la parole du dirigeant et/ou de l’entreprise sans parler des risques croissants de fuites informationnelles et/ou de hackings de données pouvant porter de graves préjudices à une organisation. 23% des sondés en sont d’ailleurs convaincu et ce n’est pas le site de rencontres adultères Ashley Madison qui prétendra le contraire. En se faisant pirater 37 millions de noms d’adeptes du 5 à 7 discret, la réputation de fiabilité de l’entreprise en aura pris un sacré coup, au point que son PDG a choisi de démissionner dans la foulée. Cependant, l’entreprise et ses marques n’ont plus le choix. Elles doivent se mêler au concert conversationnel. Elles doivent s’ouvrir et apprendre à écouter des publics qu’il suffisait auparavant d’arroser de spots de pub.

Impasse interdite sur les nouveaux acteurs

Autre point qui reste encore quelque peu énigmatique aux yeux des dircoms : ces fameuses nouvelles parties prenantes qu’on qualifie d’ « influenceurs ». Autrefois, ces derniers s’excitaient dans leur coin, parvenaient parfois à convaincre un journaliste local de venir faire un reportage mais l’impact demeurait globalement faible à l’exception des grands scandales sanitaires comme le sang contaminé dans les années 80 ou plus récemment le dossier du Mediator. Lorsque le rapport Brunswick Insights demande à son panel les acteurs qui vont gagner en poids en termes d’écho et d’influence, celui-ci répond nettement et respectivement les employés (88%), les partenaires commerciaux (86%) mais aussi les consommateurs qui font un bond à 69% et les communautés en ligne à 71%. Médias, institutions, régulateurs obtiennent même des scores moindres par rapport à ces trublions des temps digitaux !

Brunswick - InfluenceursDans ce paysage réputationnel où les cartes se redistribuent, le digital est devenu de toute évidence l’épine dorsale majeure de toute stratégie de communication digne de ce nom. Encore faut-il parvenir à accorder les violons entre les différentes fonctions critiques de l’entreprise ! Et c’est loin d’être encore le cas dans de nombreuses organisations. Pour s’en convaincre, il suffit de se souvenir du zèle avec lequel le département juridique du siège mondial Ikea admonesté un blogueur français absolument fan de l’enseigne suédoise qui soudainement s’est vu reprocher un usage indue de la marque au sens légal du terme alors qu’il promeut gratuitement les produits via son blog de passionné. L’affaire s’est vite tassée sous l’impulsion des communicants et notamment de la filiale française, trop heureuse de compter dans sa communauté un tel aficionado.

Mais l’anecdote est révélatrice des perceptions et des compréhensions très décalées d’un service à l’autre. Par peur de la fuite ou de la critique, certaines directions RH et/ou informatique coupent encore l’accès aux réseaux sociaux depuis l’ordinateur de l’entreprise (oubliant qu’un salarié possède un mobile !). Certains départements marketing s’entêtent toujours à considérer les réseaux sociaux comme un énième canal au même titre qu’une page de publicité achetée dans un magazine ou un spot TV. D’autres y voient même une perte de temps ou pire, un risque supplémentaire de crise et optent de fait pour la discrétion la plus totale. Dans ce capharnaüm, il revient très clairement au dircom d’être celui qui favorise une meilleure intégration entre les différentes fonctions. 27% des répondants le disent d’ailleurs haut et fort dans le rapport Brunswick Insights.

Le dircom sera catalyseur, pas flic de la réputation

Clouds conferenceA la lecture des travaux du cabinet d’études Brunswick Group, il s’avère que le rôle du directeur/directrice de la communication devient de plus en plus central dans l’organigrame. De fait, il l’a pourtant toujours été intrinsèquement. Jamais une fonction n’est autant naturellement en interaction avec tous les autres départements d’une organisation. Au-delà des interlocuteurs externes (qui se sont eux aussi multipliés), un dircom est en principe censé interagir avec le financier, le juridique, les ressources humaines, la R&D, l’industriel, le commercial, la logistique, le marketing et évidemment le n°1 de l’entreprise. Pourtant, ce qui semble tellement couler de source, n’est pas forcément encore totalement une réalité concrète dans toutes les sociétés. Seulement 28% des interviewés du rapport Brunswick Insight siègent dans un comité de direction alors qu’ils sont près de 80% à penser qu’ils devraient pourtant côtoyer leurs homologues au sein de cette instance décisionnelle. En situation de crise, c’est pourtant paradoxalement le dircom qu’on sonne pour le sommer d’éteindre le feu qui couve ou qui est déjà l’œuvre sans forcément que ce dernier dispose des leviers décisionnels et des relations idoines pour agir avec pertinence.

Mais qu’on ne se méprenne pas ! Rôle central ne signifie pas pour autant endosser l’étiquette de verrouilleur en chef ou de flic de la réputation. Si un alignement consistant des positionnements et des actions corporate est évidemment un préalable qui ne devrait pas se discuter, le dircom n’est pas là pour jouer le portier de discothèque lorsque la période se fait turbulente. Or, sur ce point, il perdure encore une grande confusion. Malgré l’infinie palette de cas d’étude édifiants où des organisations se sont engoncées dans la com’ à papa et les effets de manche cosmétiques d’un spin doctor en vogue, le changement dans les têtes continue encore d’être un frein majeur, sinon LE frein n°1. Dans l’étude Brunswick Insights, 21% déclarent d’ailleurs être des tenants du contrôle du message à tout prix. Un chiffre sûrement minoré et loin du compte car dans les faits, nombreux sont encore les communicants tiraillés entre l’exigence contrôlante (même si c’est aujourd’hui utopique) de la part de leurs hauts dirigeants et leur propre frilosité à évangéliser pas à pas et patiemment les décideurs de l’entreprise sur les nouveaux paradigmes communicationnels induits par le digital mais aussi et surtout par l’usage qu’en font les parties prenantes jusque-là tenues pour quantité négligeable.

Que retenir au final ?

Brunswick - future_vision_for_business_communicationIndéniablement (et ce blog ne cesse de le rabâcher depuis qu’il existe), le dircom doit impérativement sortir de sa posture « boîte à outils » pour être à la fois capteur des tendances internes et externes de l’environnement de l’entreprise et catalyseur de changement des mentalités. En cela, le digital peut en effet aider à accélérer le mouvement puisque la réputation n’est plus seulement l’affaire des top managers mais aussi des salariés et de l’externe. Dans une récente interview, Laurent Sacchi , directeur de la communication pendant 12 ans chez Danone et aujourd’hui vice-président exécutif (1) résume bien comment doit se positionner le dircom du futur (mais un futur très proche – pas dans 10 ans !) : « Il a gagné du pouvoir et de la présence sur les sujets sociétaux par rapport au marketing. Car les enjeux d’opinion et citoyens ont pris le pas sur les enjeux de consommateurs. Mais on travaille sur du soft qui ne se met pas en équation. Le métier est encore jeune et n’est pas stable ».

Pour le directeur de la communication, cela suppose obligatoirement d’aller sur le terrain et oublier de temps en temps les moquettes moelleuses des QG. Humer l’air du temps (incluant une présence digitale active a minima et pas juste créer un profil), dialoguer avec les acteurs de l’écosystème online et offline et échanger en permanence avec son PDG et les membres clés du Comité de direction. Condition sine qua non de la crédibilité et l’efficacité business de la fonction communicante : avoir la capacité à relier, recouper, mettre en perspective, adapter si besoin, écouter les publics, les associer si besoin à des actions concrètes et pas simplement des « one shots » événementiels pour glaner des trophées dans les soirées mondaines entre pros.

A cet égard, les mots de conclusion du rapport Brunswick Insight sont sans ambages. Cette aptitude de syncrétisation contextuelle du dircom est désormais essentielle pour la performance de la réputation de l’entreprise. Marque et réputation ne fonctionnent plus côte à côte et en chiens de faïence mais clairement en symbiose. Le corporate se nourrit des produits et des services conçus par l’entreprise. La dimension citoyenne et responsable de l’entreprise enrichit les produits et les services. Or il s’agit un critère sur lequel cette dernière est de plus en plus disséquée, évaluée et au final préférée … ou détestée ! Ce ne sont pas les outils digitaux qui feront la différence mais le comportement durable et la cohérence de l’ensemble de la communication. Il est plus que temps d’écrire le scénario de « Dircom – Saison 3 » !

Sources

– (1) –Cathy Leitus – « Comment les dircoms sont devenus (presque) indispensables ? » – Emile Boutmy magazine, trimestriel de l’association des anciens de Sicneces-Po – Eté 2015

Pour aller plus loin

Télécharger l’intégralité du rapport « The future of corporate communications : Cutting through the noise » de Brunswick Group (en anglais) – Eté 2015
– Consulter également l’étude Boston Consulting Group/Sciences Po/Stratégies – « Quelle stratégie digitale pour les directeurs de communication ? » – Usine Nouvelle – Juin 2015
– Découvrir la liste des dircoms connectés établie par le « Brand News Blog » d’Hervé Monnier – 22 juillet 2015



2 commentaires sur “Etude Brunswick Group : Dessine-moi le dircom … du futur !

  1. Nicola T.  - 

    Merci pour cette excellente synthèse !

    Vos articles inspirent l’étudiant en communication que je suis. Je constate moi-même, dans ma propre consommation d’information et ma pratique des RS (et puis aussi dans celle de mes congénères), que les organisations sont sommées d’êtres transparentes, à l’écoute, cohérentes, et citoyennes. Charge aux dircoms d’être plus empathiques, ouverts d’esprit etc. Je trouve que ce changement d’attitude est positif, en raison du respect et de l’horizontalité que ça apporte dans les relations entre les organisations et leurs publics. Néanmoins, une question me taraude…

    J’ai parfois peur que cette ouverture de l’organisation au public soit un vecteur de conformisme. Il arrive que les publics soient mal informés, paranoïaques, conservateurs, réfractaires au risque et au changement, parfois même irrationnels. Je pense par exemple à la technophobie de certains influenceurs et de leurs réseaux, dont les craintes parfois scientifiquement infondées peuvent être contagieuses (notamment auprès des médias « sensationnalistes ». Dans ce genre de situation, le citoyen moyen qui n’est pas versé dans les sciences optera en général pour le parti de la peur, malgré tous les trésors de pédagogie déployés par l’organisation. J’aime à penser que les entreprises et les ONG ont aussi le devoir d’innover, parfois contre le courant dominant.

    En bref, j’ai peur que le « dircom du futur » véhicule des changements de mentalité que ni lui ni son organisation approuve. Je me demande où placer le curseur entre l’écoute attentive des publics et la défense légitime des valeurs de l’organisation.

    Bien à vous.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Cher Nicola

      Tout d’abord merci pour votre fidèle lecture et heureux que les contenus de ce blog puissent vous apporter des éclairages dans vos études actuelles.

      Vous posez une excellentissime question. Autant les entreprises (et leurs dircoms et dirigeants) ont tout à gagner en s’ouvrant plus et en faisant preuve de concret et d’écoute, autant il ne s’agit pas non plus de donner quitus à chaque instant aux acteurs qui vous critiquent, contestent, etc. Je vous rejoins tout à fait sur le fait que certains activismes par exemple sont particulièrement passés maîtres dans l’art de la désinformation caractérisée en surfant sur la réputation souvent pas très bonne plus l’organisation est grosse et donc puissante. Or parmi les contestataires, la mauvaise foi et la manipulation existent pareillement ! En cela, les entreprises ont justement l’obligation de faire valoir leur vérité, corriger des mensonges, apporter des preuves supplémentaires et ne pas forcément accepter toutes les critiques.

      Vous le dites très bien. L’enjeu est de placer le curseur entre une écoute attentive et une défense/valorisation légitime de l’organisation à condition de pratiquer une communication sincère, reposant sur des faits et des résultats tangibles. C’est compliqué car aléatoire parfois, volatile également mais tellement mieux que s’entêter à ne rien dire ou rester dans une réflexion binaire. A ce jeu, les entreprises ne sortent jamais gagnantes. Elles ont pourtant des choses à apporter et à faire connaître !

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