Sarah Azan (Babbler) : « La révolution des RP sera collaborative ! »

Dans le luxuriant paysage des outils digitaux dédiés au métier des RP, Babbler est une jeune start-up française qui se distingue d’abord par une vision très disruptive des relations entre les médias, les annonceurs et leurs agences. De cette vision qui entend « défendre les RP de demain » comme le proclame la carte de visite d’une des deux co-fondatrices, est née depuis 2013 une solution collaborative et évolutive assez unique en son genre où les marques peuvent publier des contenus spécifiques et engager plus finement leur communauté média constituée de journalistes mais aussi de blogueurs spécialisés et d’influenceurs. Entretien avec Sarah Azan, co-créatrice de Babbler.

Tout journaliste ou blogueur référencé dans une base de données média vous le confirmera. Il ne s’écoule plus une journée sans que leur messagerie électronique regorge de communiqués de presse et d’annonces en tout genre. Cette déferlante informationnelle est d’autant plus prégnante qu’elle s’accompagne en parallèle d’une inflation du nombre de supports médiatiques entre les déclinaisons Web des médias traditionnels, les « pure players » de l’info comme Mediapart ou Buzzfeed, des blogs qui font autorité et certains influenceurs comme les Youtubers ou les Instagramers qui sont aussi devenus des chambres d’écho incontournables pour les annonceurs. Pour redonner du sens et de la valeur ajoutée à la relation média-agence-annonceur chahutée par cette transformation numérique, Sarah Azan et Hannah Oiknine (outre le fait d’être sœurs !) ont uni leurs compétences respectives (respectivement les RP et le marketing digital) pour imaginer Babbler, une plateforme qui propose de faire des relations médias autrement que par l’envoi massif de courriels ou de newsrooms génériques auxquelles tout le monde a accès.

En 2013, la transformation des relations presse sous l’effet des médias sociaux commençait à devenir patente. Aujourd’hui, 91% des journalistes disent utiliser les réseaux sociaux pour leur travail selon une récente étude de Cision. Pourtant côté annonceurs et agences, on a parfois le sentiment que cette digitalisation n’est pas encore pleinement intégrée. Quels sont les constats qui vous ont motivées à lancer la plateforme Babbler à destination des agences et des annonceurs mais aussi des journalistes et blogueurs ?

Sarah Azan

Sarah Azan

Sarah Azan : L’idée de départ repose sur un constat simple. Avant l’émergence des médias sociaux et des nouveaux influenceurs, une marque avec son agence disposait d’un réseau d’environ une cinquantaine de journalistes. Aujourd’hui, ce chiffre est devenu exponentiel avec l’explosion du Web collaboratif et de la digitalisation de la presse. On ne parle plus de 50 contacts mais carrément d’un millier d’interlocuteurs englobant aussi bien des journalistes, des chroniqueurs, des blogueurs, des Youtubers, des Instagramers qui prennent la parole sur différents sujets avec autant d’impact (sinon plus) que les 50 du départ. Dans ce contexte, l’enjeu des relations presse n’est plus seulement une question d’image et de visibilité mais aussi une question d’impact (comment m’assurer que je touche les personnes pertinentes) et de retour sur investissement (comment créer du lien durable et mieux répondre aux centres d’intérêt de ces mêmes personnes).

L’apparition des bases de données presse a incontestablement permis de démocratiser l’accès aux journalistes. Néanmoins, on ne peut plus se contenter d’envoyer des courriels en masse pour obtenir des retombées médiatiques. Les journalistes (mais aussi les blogueurs et influenceurs reconnus) sont saturés d’informations. Lorsque ma sœur et moi avons commencé à travailler à l’élaboration de ce qui allait devenir Babbler, nous avions notamment réalisé un sondage auprès des journalistes et leur attention portée aux emails des agences et des annonceurs. Il s’est avéré que 3% d’entre eux seulement sont ouverts et 1% réellement traités. Cette énorme déperdition découlait souvent d’un mauvais ciblage, d’un mauvais timing ou d’une accumulation telle de messages que les communiqués ne sont même plus vus ! Nous avons donc conçu Babbler pour désengorger les messageries d’une part et optimiser le travail relationnel des attachés de presse en affinant le ciblage des interlocuteurs. Babbler se veut une plateforme d’échange de contenus en temps réel pour les annonceurs et les agences à destination des journalistes, blogueurs et influenceurs.

Quel a été justement l’accueil de ces derniers lorsque Babbler s’est lancé pour la première fois en ligne ? Et quid des marques et des agences ?

BABBLER - Macbook_babblerSarah Azan : Babbler est précisément un point de rencontre pour des professionnels de l’information et la communication. Si vous êtes journaliste ou blogueur, vous devez vous inscrire (gratuitement) pour créer un profil à l’instar de Facebook ou Linkedin et renseigner le plus précisément possible vos centres d’intérêt et vos coordonnées online et offline.

A partir de cet instant, vous serez destinataire d’un fil d’actualité correspondant uniquement aux thématiques que vous traitez. Le tout se présente sous la forme d’un titre informatif, un résumé de 200 caractères et si nécessaire des pièces jointes complémentaires (infographie, photo, chiffres clés, vidéo, dossier de presse, etc) et les coordonnées du contact agence et/ou annonceur.

Les annonceurs et les marques qui souscrivent à Babbler (à partir de 189 € par mois) peuvent également inviter leurs contacts privilégiés à rejoindre la plateforme. On créé ainsi une véritable communauté média où les contenus sont ciblés et actualisés en fonction des uns et des autres. Autrement dit, un journaliste qui se connecte sur Babbler, sait qu’il va trouver des informations relatives aux secteurs qu’il couvre et aura la possibilité d’entrer directement en contact avec l’agence ou l’annonceur s’il souhaite creuser un aspect ou formuler une requête spécifique.

Babbler - Hannah Oiknine

Hannah Oiknine

Au fur et à mesure des évolutions, nous avons aussi porté une attention particulière à l’ergonomie et à la navigation. Nous avons d’ailleurs un designer UX à plein temps pour rendre l’interface et l’expérience utilisateur les plus simples et intuitives possible. C’est un critère clé pour inciter les contributeurs et les utilisateurs à revenir. Aujourd’hui, nous comptons près de 3000 journalistes et blogueurs avec des profils qualifiés en temps réel, 250 marques clientes comme Décathlon, Le Bon Coin, AlloResto ou encore Danone et une trentaine d’agences de communication.

Nous fournissons également des tableaux de bord pour les agences et les annonceurs afin de suivre l’évolution du trafic concernant les contenus mis en ligne, suivre l’activité des journalistes et des blogueurs. Si nécessaire, ils peuvent ainsi affiner ou rectifier leur stratégie de relations presse et de contenus. Cela peut même conduire à fournir en plus des actualités, des informations sur par exemple le réseau de distribution d’un produit, une fiche technique ou encore une demande d’échantillon. Notre volonté est de proposer un outil capable d’être évolutif et souple. C’est pour cette raison que nous avons internalisé le développement avec 4 personnes à plein temps pour ajuster l’outil aux besoins des utilisateurs.

Sur le marché désormais très disputé (voire encombré) des logiciels RP et des newsrooms, pourriez-vous nous décrire en quoi la version 3 de Babbler lancée le 14 septembre dernier se différencie et apporte des plus et des nouveautés pour ses abonnés?

BABBLER - Macbook_babbler_1Sarah Azan : Pour cette nouvelle version, nous avons revu l’ergonomie pour toujours plus de fluidité. Certaines fonctionnalités sont ensuite accompagnées de petits tutoriels vidéo ou de contenus hypertexte pour guider l’utilisateur. Autre nouveauté : les journalistes et les blogueurs enregistrés peuvent actualiser leur profil et effectuer des recherches de contacts chez les annonceurs et les agences pour lesquels les profils des attachés de presse sont désormais rattachés à des marques. Celles-ci peuvent enfin importer des bases de nouveaux contacts et les inviter à venir sur Babbler.

Toutefois, si l’aspect outil est capital pour optimiser les relations presse, Babbler n’est pas là pour se substituer à l’attaché de presse mais lui permettre au contraire de simplifier grandement le traitement de certaines tâches opérationnelles et de dégager par conséquent du temps pour du conseil et de l’accompagnement auprès du client ou encore des rencontres offline avec les journalistes et blogueurs. C’est clairement là que réside la valeur ajoutée du travail d’un attaché de presse : un relationnel ciblé et qualitatif avec la communauté média de la marque qu’il représente.

Vous évoquez souvent le terme de « révolution des RP » (1) pour décrire l’approche de Babbler. Est-on effectivement en train d’assister à une lente mais inexorable disparition du vieux modèle des agences RP ? Celles-ci parlent aujourd’hui abondamment de digital mais éprouvent parallèlement des difficultés à s’imprégner de cette culture et à s’affranchir de cette tentation de simplement dupliquer en version numérique, ce que les attachés de presse font depuis plus de 20 ans ?

BABBLER - Babbler_CloudsSarah Azan : Nous assumons totalement notre vision disruptive du métier des RP qui doit impérativement évoluer. Les journalistes ont mis un peu de temps à apprivoiser les outils numériques mais aujourd’hui, la grande majorité d’entre eux y a recours pour trouver des informations, identifier des interlocuteurs et même promouvoir leur propre production éditoriale sur Twitter par exemple. Les annonceurs commencent aussi à progressivement comprendre l’importance d’une communauté en matière de réputation et d’intention d’achat et que celle-ci attend d’eux, au-delà des contenus, plus d’interaction, d’innovation et de collaboratif. Les agences doivent repenser leurs pratiques en s’emparant à leur tour de cette culture collaborative au risque sinon de se décrocher des attentes de leurs clients et des médias. Certaines ont déjà bien avancé et ont revu leurs processus. D’autres réduisent encore le digital à une boîte à outils qu’il suffit d’activer pour obtenir des résultats.

Après avoir fait vos preuves en France, Babbler vise désormais les Etats-Unis. Vous aviez déjà gagné le prix Imagine Cup de Microsoft en 2013 et été sélectionné pour participer au programme d’accélération VentureOutNY en 2014. Depuis quelques mois, vos bureaux sont sur Time Square, à New-York. Le marché américain est pourtant déjà riche de solutions digitales similaires pour optimiser les relations entre annonceurs et médias. Qu’est-ce qui vous décide à investir le monde anglo-saxon des RP ?

Sarah Azan : C’est un marché tout simplement énorme. Aux Etats-Unis, on dénombre plus de 9000 agences référencées comme telles là où la France en compte environ 400. Même s’il existe effectivement des concurrents proches comme MuckRack par exemple, nous savons que la totalité du marché RP est loin d’être couverte aux USA par des solutions comme la nôtre. Ensuite, les RP ont une fonction encore plus stratégique au sein des entreprises par rapport à la culture française. Le PDG est très souvent en lien avec ses équipes RP pour communiquer autour de l’entreprise et de ses produits ou services. Enfin pour l’anecdote, les Etats-Unis sont tout de même le pays qui a inventé les RP ! Pour toutes ces raisons, nous voulons relever le défi. Nos premières prospections ont déjà envoyé des signaux positifs avec 15% de taux de réponse à nos sollicitations auprès des annonceurs et des agences et déjà 70 réunions ou conférences téléphoniques au compteur. En parallèle, nous travaillons sur une levée de fonds pour soutenir notre développement et courant octobre, la version US de Babbler sera disponible. La révolution des RP sera collaborative !

Sources

(1) – Adeline Raynal – « Sarah Azan et Hannah Oiknine « On vit Babbler! » – French Web – 26 août 2015

Pour aller plus loin

– Visiter le site de Babbler