Stratégie de contenus : Le podcast, un canal de communication qui donne de plus en plus de la voix !

Longtemps cantonné aux contenus culturels et éducatifs ainsi qu’aux médias radiophoniques, le podcast enregistre depuis 2015 un net engouement de la part des entreprises et des marques pour étoffer leur stratégie de contenus digitaux. S’il n’est certes pas aussi spectaculaire qu’une vidéo ou qu’une animation en réalité virtuelle, le programme audio en ligne présente toutefois d’incontestables atouts que d’aucuns redécouvrent à l’heure où il devient de plus en plus complexe d’accrocher durablement l’attention de l’internaute. Etat des lieux d’une technologie éditoriale qui n’a pas fini de faire parler.

En soi, le podcast n’est pas radicalement nouveau. Le terme est apparu en février 2004 sous la plume de Ben Hammersley, journaliste au Guardian qui évoquait dans un article (1) les nouveaux moyens de communication et d’information prodigués par le Web et notamment le support audio. Il a été le premier à utiliser ce néologisme dérivé de deux termes, l’iPod d’Apple d’un côté et la notion de « broadcasting » (littéralement diffusion) de l’autre. La marque à la pomme a été en effet particulièrement pionnière en matière de podcasts en proposant très tôt des contenus audio enregistrés à télécharger ou à écouter directement en ligne sur sa plateforme iTunes. L’aventure du podcast pouvait commencer.

Au début, était la radio …

Podcast - This_american_lifeRapidement, les grandes stations radiophoniques se sont intéressées à ce canal de diffusion supplémentaire. Jusqu’alors, les programmes et les émissions créés par les radios étaient émis en direct et pour certains d’entre eux, rediffusés en différé durant plusieurs jours. L’émergence du podcast va alors entraîner une délinéarisation majeure des grilles audio en permettant désormais d’offrir via leur site Web, les contenus au public à n’importe quel moment de la journée et sur des supports mobiles comme les baladeurs et les smartphones. Mieux encore, ce fut également l’opportunité d’aller toucher des audiences souvent plus jeunes qui n’avaient d’ordinaire pas l’habitude d’écouter une radio classique.

En France, Radio France a parié relativement tôt sur le podcast pour ses différentes antennes. Résultat (2) : le nombre des téléchargements des programmes de France Inter a grimpé de 50% entre les saisons 2013-2014 et 2014-2015, soit l’équivalent de plus de 100 millions de podcasts téléchargés. Autre antenne phare du groupe, France Culture revendique des chiffres quasi similaires sur la même période.

Mais le succès le plus emblématique du podcast comme amplificateur d’audience demeure une célèbre émission radiophonique américaine intitulée « This American Life ». Initialement apparue en 1995 sur les ondes de WBEZ à Chicago, cette dernière mélange le documentaire radiophonique, le reportage sonore et la voix d’un narrateur autour de différents parcours de vie d’Américains moyens. Une dizaine d’années plus tard, l’émission devient disponible en format podcast et figure aussitôt parmi les 30 podcasts les plus populaires d’iTunes, toutes catégories confondues. Aujourd’hui, on compte environ 700 000 personnes qui téléchargent chaque semaine, la nouvelle histoire diffusée. Une réussite qui conduira d’ailleurs WBEZ à concevoir en 2014 « Serial », une émission d’investigation uniquement disponible en podcast et découpée en plusieurs épisodes consacrés à un fait divers spécifique. Dès le début, Serial devient numéro un des écoutes sur iTunes. En novembre 2014, il est même le premier podcast à atteindre les 5 millions de téléchargements et d’écoutes en streaming (3).

Un réservoir d’audience encore sous-exploité

Podcast - Etude Edison ResearchAu fil des ans, le nombre de personnes recourant au podcast n’a jamais cessé de progressé. Il y a 10 ans, 11% seulement d’Américains déclaraient avoir au moins écouté une fois un contenu en podcast. Selon la récente enquête de l’institut d’études d’opinion Edison Research (4), le nombre de podcasters a dorénavant triplé pour s’établir à 33% des personnes interrogées disant consommer des podcast. Autre enseignement de l’étude : 17% d’Américains soit 46 millions d’auditeurs écoutent des podcasts de manière hebdomadaire. Seul bémol apporté par l’étude (mais qui peut aussi être interprété comme un gisement additionnel d’opportunités) : 49% du panel se déclare familier avec le terme « podcasting ». Pour le reste, ce canal demeure encore inconnu.

Il n’en demeure pas moins que les grandes manœuvres commencent malgré tout sur le terrain de la distribution des contenus audio. Avec plus de 80 millions de téléchargements au total pour sa saison 1 (5), l’émission « Serial » a vite suscité les convoitises. A tel point que la radio en ligne Pandora a annoncé en novembre 2015 avoir obtenu l’exclusivité de la diffusion en streaming de la saison 2. A la même période, c’est aussi Google qui a annoncé que son service de musique en ligne intégré à Android, permettra bientôt de s’abonner à des podcasts et de recevoir des recommandations personnalisées sur des programmes à écouter. Une effervescence qui fait dire à Rex Sorgatz, expert technologie et création chez Kinda Sorta Media qu’en 2016, « les compagnies média vont continuer de décliner leurs émissions en podcasts, les agences vont inciter les marques à créer de nouveaux shows, les réseaux de podcasts vont inventer de nouvelles expériences auditives et il y aura même des indépendants qui vont surgir d’endroits les plus inattendus »(6).

Premières incursions chez les marques

Podcast - 40-40-visionBien que l’idée du podcast comme support de contenu pour une marque ou une entreprise continue de susciter pas mal de perplexité chez nombre de communicants, certaines enseignes n’hésitent cependant pas à faire bouger les lignes. Directrice des contenus podcasts pour le site féminin australien Mamamia, Monique Bowley fait partie de celles et ceux qui estiment que les marques doivent oser bouger et investir ce créneau jusqu’alors délaissé par ces dernières. A ses yeux et d’après sa propre expérience d’éditrice (7), « la croissance des podcasts provient de deux raisons majeures. Premièrement, pour les femmes actives, il y a une limite physique en termes de nombre d’heures passées devant l’écran. Pour rester connectées, les femmes écoutent des podcasts. Ensuite, le podcast représente une chance unique d’avoir des femmes vraiment à l’écoute, avec un niveau d’intimité que d’autres stratégies marketing n’offrent pas ».

Deux marques en particulier aux USA ont ainsi sauté le pas du podcast en 2015. La première est la compagnie d’assurances Prudential qui a créé une série de 4 épisodes intitulés « 40/40 Vision ». Celle-ci traite de la fameuse crise de la quarantaine où chacun se pose des questions sur l’orientation de sa carrière, les études supérieures de ses enfants en train devenir de jeunes adultes et autres considérations qui ont un impact sur les choix de vie et de prévoyance. L’opération a rencontré un joli écho auprès des quadragénaires et a permis à la marque de mieux se faire connaître. Deuxième entreprise à adopter le podcast : Umpqua Bank. En septembre 2015, l’établissement bancaire a lancé une série de podcasts baptisée « Open Account ». Avec la voix d’un ancien correspondant de MTV, la série s’intéresse au pourquoi de la culture du silence dans le monde de la finance et de l’argent ! Un pari audacieux mais qui enregistre déjà un vif intérêt avec plus de 70000 téléchargements effectués pour les trois premiers épisodes !

GE donne le ton au podcast

Podcast - GE-Pivot-1000x500S’il est une entreprise qui a clairement et intelligemment ouvert la voie au podcast dans sa stratégie de communication, il s’agit bien du conglomérat technologique et industriel GE (General Electric). En septembre 2015, GE a conçu Pivot, une série de plusieurs podcasts à mi-chemin entre la fiction et la réalité s’adressant en priorité au public des développeurs et les codeurs d’applications Web industrielles et d’objets connectés. A chaque épisode, Pivot explore un thème en s’interrogeant ce que pourrait changer dans la société une application qui serait construite à partir de Predix, une plateforme cloud commercialisée par GE pour l’Internet des Objets dans le monde industriel.

En dépit d’une forte réticence au départ (surtout en interne), Pivot a pourtant trouvé son public au bout de 4 épisodes (aujourd’hui, 8 sont accessibles depuis ce site dédié) comme le raconte John Perry, directeur des contenus marketing digital de GE (8) : « Le scepticisme et le silence dans la pièce étaient incroyables. C’était vraiment décourageant. Nous avions le sentiment d’avoir un pétard mouillé dans nos mains. Mais ce qui est formidable aujourd’hui est que les personnes ayant participé à ces premières discussions, sont désormais parmi nos plus gros fans et forces de proposition. Nous ne pouvons pas réussir avec notre plateforme si nous ne gagnons pas le cœur et l’esprit des développeurs. Avec Pivot, nous essayons de les convaincre que l’Internet industriel est réel, accessible, plaisant à travailler et que Predix permet tout cela ».

La force de Pivot réside aussi dans le fait de ne pas succomber à un discours commercial trop appuyé et intrusif. Au-delà de la forme plaisante, immersive et dynamique qu’offre le podcast, les concepteurs éditoriaux de la série de GE font intervenir régulièrement des experts tiers issus du secteur de l’Internet des objets comme par exemple Richard Soley, directeur exécutif de l’Industrial Internet Consortium ou encore Tim Connors qui dirige le département de l’internet des Objets chez l’opérateur télécoms AT&T. Toujours dans le souci de délivrer des contenus à forte valeur ajoutée, GE a également imaginé un service de crowdsourcing en lien avec son podcast. Appelé « Ideation Challenge », il s’adresse directement aux auditeurs en leur demandant de soumettre à leur tour des idées d’applications. Celles qui sont retenues, peuvent alors gagner des sommes d’argent et avoir l’honneur d’apparaître à leur tour dans un prochain épisode !

Du sens au-delà du format

Podcast - IconSi GE a autant rencontré de succès auprès de ses cibles, c’est notamment parce qu’il a su se distinguer en proposant un format innovant, adapté aux usages de son public et avec des éléments informationnels solides. L’expérience de Pivot a d’ailleurs convaincu l’entreprise de récidiver très vite. Depuis octobre 2015, GE a lancé une nouvelle série « The Message » qui traite cette fois des mystères de l’espace et de la galaxie autour d’un mystérieux signal codé capté 70 ans plus tôt. Là aussi, ce fut carton plein avec une place de numéro 1 sur iTunes au bout de six semaines (9) et plus d’1 million d’auditeurs (10).

Pour autant, il serait aventureux et inepte de voir le podcast comme une martingale absolue qui assure la fidélité des publics cibles. Encore une fois et cela est constamment répété sur ce blog, le tuyau n’assure pas à lui seul la réussite de la relation avec les communautés qu’une marque ou une entreprise cherchent à toucher. GE a obtenu d’excellents résultats parce que la compagnie s’est préoccupé des attentes éditoriales des personnes auxquelles s’adressent les podcasts. En fournissant un contenu de haute qualité avec un format agréable, elle s’est ainsi assurée en retour d’un écho positif et d’une communauté participative.

Fondateur de l’agence audio digitale Amplifi Media, Steven Goldstein est à cet égard très direct (11) : « Beaucoup de marques se tournent vers le podcast en pensant que cela sera amusant, intéressant et pas cher. Puis elles apprennent vite que c’est dur de créer du contenu audio efficace avec une ligne cohérente ». Faute d’investir et de consacrer de véritables moyens humains et techniques pour éditer du contenu pertinent, un grand nombre de podcasts disparaît encore très rapidement des écrans (6 mois maximum) comme le relève le sociologue Josh Morgan qui a publié en septembre 2015 une analyse fouillée sur les podcasts disponibles aux Etats-Unis. En revanche, il confirme la tendance haussière qui entoure le format podcast dans un contexte informationnel surchargé où chacun cherche à se rendre visible et attractif. Alors, donnez de la voix … et du sens !

Sources

– (1) – Ben Hammersley – « Audible revolution » – The Guardian – 12 février 2004
– (2) – Benoît Perrier – « La révolution podcast » – Le Temps – 20 novembre 2015
– (3) – Ellen Gamerman – « Serial podcast catches fire » – The Wall Street Journal – 13 novembre 2014
– (4) – « The Podcast consumer » – Edison Research – 25 juin 2015
– (5) – Benoît Perrier – « La révolution podcast » – Le Temps – 20 novembre 2015
– (6) – Venkat Ananth – « Key trends from Nieman’s lab predictions for 2016 » – Livemint – 21 décembre 2015
– (7) – Allison Lowe – « Why brand podcasting is a ‘missed opportunity » – Ad News – 25 novembre 2015
– (8) – Celine Roque – « GE’s Crazy, Experimental Podcast Is ‘Serial’ for Coders » – Contently – 5 octobre 2015
– (9) – Celine Roque – « Everything Brands Need to Know About Podcasts (but Were Afraid to Ask) » – Contently – 8 décembre 2015
– (10) – Shareen Pathak – « Latest in content marketing: brands make their own podcasts » – Digiday – 2 décembre 2015
– (11) – Celine Roque – « Everything Brands Need to Know About Podcasts (but Were Afraid to Ask) » – Contently – 8 décembre 2015



6 commentaires sur “Stratégie de contenus : Le podcast, un canal de communication qui donne de plus en plus de la voix !

  1. Fred Condette  - 

    Merci pour ce billet très intéressant.
    J’écoute beaucoup de podcasts « tech » américains notamment depuis 2005, et je m’étais abonné à des podcasts tech « corporate » produits par de grandes sociétés du secteur informatique. Certaines n’ont enregistré que quelques épisodes, mais d’autres en ont produit un grand nombre.
    Un certain nombre de ces sociétés a abandonné ce mode de communication entre 2009 et 2011, ex. : Dell (2006-2011), HP (2005-2010), EMC (2006-2009), NetApp (120 épisodes entre 2005 et 2010), VMware (2008-2009), Hitachi Data Systems (2007-2010), Polycom (2006-2007), Symantec (2006-2011)… Cela m’intéresserait de savoir pourquoi : crise, baisse des ventes de pc ou autres matériels, pas de retour sur investissement… SAP et Cisco poursuivent à ce jour leurs podcasts semble-t-il.

  2. Fred Condette  - 

    Merci pour ce billet très intéressant.
    J’écoute beaucoup de podcasts « tech » américains notamment depuis 2005, et je m’étais abonné à des podcasts tech « corporate » produits par de grandes sociétés du secteur informatique. Certaines n’ont enregistré que quelques épisodes, mais d’autres en ont produit un grand nombre.
    Un certain nombre de ces sociétés a abandonné ce mode de communication entre 2009 et 2011, ex. : Dell (2006-2011), HP (2005-2010), EMC (2006-2009), NetApp (120 épisodes entre 2005 et 2010), VMware (2008-2009), Hitachi Data Systems (2007-2010), Polycom (2006-2007), Symantec (2006-2011)… Cela m’intéresserait de savoir pourquoi : crise, baisse des ventes de pc ou autres matériels, pas de retour sur investissement… SAP et Cisco poursuivent à ce jour leurs podcasts semble-t-il.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour Fred

      La réponse est en quelque sorte dans votre question sur l’abandon des podcasts. C’est souvent à cause de restrictions de budgets, voire de la difficulté qu’ont certaines entreprises à créer des contenus audio vraiment valables qui suscitent l’intérêt. Ce n’est pas toujours le cas. Enfin, certains pionniers ont arrêté car à l’époque, il y avait moins de terminaux mobiles capables de lire les podcasts !

      1. Fred Condette  - 

        Bonjour Olivier,
        merci pour votre réponse,
        et je crois aussi que les podcasts que j’ai cités étaient assez peu « passionnants » et divertissants dans l’ensemble (comme ceux dont on attend le prochain épisode avec impatience), disons intéressants pour les spécialistes du secteur, donc un public plutôt restreint. Désolé j’ai posté mon commentaire en double.

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