Sans confiance, pas de communication crédible, ni de réputation durable !

Formulé ainsi, ce titre pourrait même s’apparenter à un banal truisme de comptoir tant la confiance est (en principe) le fondement même d’une organisation efficace et dynamique. Pourtant, sondages d’opinion et baromètres ne cessent, année après année, de mettre en lumière l’érosion implacable de la confiance que les entreprises subissent de la part de leurs parties prenantes internes et externes. Si pendant longtemps, d’aucuns ont cru que la communication suffisait à engendrer la confiance, ceux-ci doivent vite réviser leurs gammes à l’instar de ces 38 grands patrons français qui viennent récemment de s’unir autour de la création d’un nouvel indice de capital confiance. Objectif : mieux comprendre cette dernière pour lui redonner un rôle moteur essentiel où la communication s’exerce en transparence et avec du concret et où la réputation et la performance s’en trouvent durablement renforcées.

En août 2014, l’Institut Montaigne et le collectif Financi’elles publiaient un ouvrage collectif décapant à l’aune de son titre « Et la confiance bordel ? ». Le livre s’interrogeait sans faux-semblants sur les racines de la défiance des Français envers leurs institutions mais également leurs entreprises. Qu’ils se placent du point de vue du salarié, du consommateur, voire du militant associatif, leur opinion est quasiment invariable et empreinte d’une méfiance croissante (pour ne pas dire tenace) à l’égard de l’entreprise. Sentiment de jouer les utilités qu’on jette au premier plan social boursier venu, impression d’être pris un client nigaud ou croyance que l’entreprise n’est qu’une obsessionnelle machine à profits, d’exclusion sociale et de destruction écologique, les motifs de brouille ne manquent pas pour alimenter les zones de fracture. Lesquelles n’ont d’ailleurs guère tardé à ébrécher l’unité interne au sein de toutes les couches managériales de l’entreprise.

Ce temps où confiance rimait souvent avec obéissance

Confiance - Why-Smart-Executives-Fail-BooksDurant les dernières décennies, le corps sociétal de l’entreprise a été majoritairement considéré comme un tout indissociable, voire symbiotique, surtout dans les couches managériales censées être acquises aux orientations que la direction générale impulsait. D’où fréquemment une communication interne oscillant entre paternalisme suranné et voix de son maître ne prêtant guère au débat et à l’écoute. Aujourd’hui encore, ce modèle perdure çà et là. La gigantesque crise que traverse actuellement le groupe Volkswagen vient à nouveau d’en fournir une preuve éclatante. Le top management autocratique et ivre de sa propre puissance bâtie depuis des années a progressivement façonné une culture interne de la peur où personne n’ose plus évoquer les problèmes, ni coopérer au-delà de son silo organisationnel. Le pire dans ce modèle, est que l’entreprise peut continuer de fonctionner sans contre-performance notable du moment qu’aucune turbulence ne vienne mettre à mal l’illusion managériale que tout avance avec l’engagement de toutes et tous. Dans ce schéma, la communication interne est alors souvent réduite à faire office d’enlumineur officiel où les échecs et les ratages n’existent pas.

Ce modèle imprègne depuis longtemps les paradigmes relationnels et communicationnels de nombre d’entreprises. Auteur d’un ouvrage de référence, Why Smart Executives Fail, Sydney Finkelstein évoque les pratiques de management qui sévissaient chez General Motors dans les années 80 (1) : « Toutes les communications de la société devaient suivre une voie établie et rigide qui ne laissaient aucune place à des informations sortant de la routine (…) Tout le monde était censé être d’accord avec tout ce qu’un supérieur disait ». Une organisation confirmée par le témoignage d’un responsable de l’entreprise dans le livre que la consultante et ancienne analyste financière américaine Maryann Keller a consacré aux revers que General Motors a ensuite connu sur le marché automobile (2) : « Si vous souleviez un problème, vous étiez étiqueté « pessimiste », mauvais joueur. Si vous vouliez monter dans la hiérarchie, vous n’ouvriez pas la bouche et vous disiez oui à tout ». Obnubilée par la concurrence japonaise qui grignotait sans cesse des parts de marché aux Etats-Unis, le top management de General Motors était persuadé qu’il fallait investir tous azimuts dans la robotisation à outrance de ses usines pour atteindre le même niveau de compétitivité et inverser la tendance. Cette stratégie d’investissement fut totalement ruineuse pour le géant américain. A se focaliser uniquement sur la technicité des voitures japonaises, elle perdit de vue que le succès des modèles nippons reposait aussi et avant tout sur une implacable politique de qualité industrielle couplée à une formation et une implication permanentes des opérateurs. Au point de frôler la faillite mais aussi de perdre la confiance de ses parties prenantes.

Expression libre et transparence rebattent les cartes

Confiance - oreal-glassdoor-2On le vérifie avec le scandale Volkswagen. Ce type d’organisation où l’adhésion du corps sociétal de l’entreprise se pratique au chausse-pied (voire au marteau-pilon dans les systèmes les plus rigides et standardisés à l’excès) perdure toujours même s’il tend à perdre de la vitesse. Seule énorme mais cruciale différence entre les années 80 et aujourd’hui : la transformation digitale est venue heurter de plein fouet cette pseudo-confiance édictée comme un dogme. Actuellement, la porosité entre interne et externe n’a jamais été aussi importante. 80% des salariés sont présents sur les médias sociaux, particulièrement ceux qui ont des fonctions de direction et/ou d’encadrement. Or, 33% d’entre eux s’expriment de manière croissante sur la vie de leur société selon une étude Cegos en date de 2014. Contrairement aux idées reçues, les commentaires partagés ne sont pas systématiquement négatifs mais ils traduisent en revanche une capacité à moduler plus ou moins l’image officielle que l’entreprise s’évertue par ailleurs d’entretenir.

Ce n’est d’ailleurs pas par hasard qu’un site comme Glassdoor (voir capture ci-dessous) est apparu aux USA en 2008 et en France depuis fin 2014. A l’heure où le concept de marque employeur bat son plein pour attirer les meilleurs talents et fidéliser les collaborateurs les plus performants, Glassdoor a délibérément choisi de faire œuvre de transparence sur le marché de l’emploi. Depuis sept ans, le site ne se contente pas de diffuser des annonces proposant des postes à pourvoir en entreprise. Il met également à disposition des candidats, une gigantesque base de données où sont compilés les avis de salariés actuels et/ou anciens relatifs à leur propre expérience dans l’entreprise concernée. Objectif : permettre à chacun de se forger une opinion plus consistante envers une entreprise qui ne soit pas uniquement nourrie par le discours corporate de cette dernière. Et c’est précisément là que la notion de confiance devient plus que jamais cruciale. Si votre interne est confiant, votre réputation et votre dynamisme s’en ressentiront. Si au contraire il verse dans la défiance, réputation et dynamisme risquent forts d’en pâtir.

Peut-on mieux piloter la confiance ?

Confiance - Premier Indice-confiance-cadresA défaut de l’imposer, la confiance peut-elle au moins s’appréhender, se modéliser et constituer un baromètre efficace pour le top management ? C’est en tout cas le pari que se lance depuis novembre 2015 le premier indice de capital confiance des cadres en entreprise. Dans la continuité des réflexions de l’ouvrage « Et la confiance bordel ? » cité plus haut, cet outil (parrainé par l’Institut Montaigne et le fonds d’investissement Raise) est opéré par TNS Sofres auprès de 1000 cadres français répartis dans de grandes entreprises et dans des ETI. Il a en outre reçu l’appui de 38 hauts dirigeants. Ceux-ci ont signé à cet effet une charte destinée à promouvoir « une dynamique de la confiance ». Il semblerait qu’il soit effectivement temps car le score obtenu par l’édition n°1 de cet indice atteint les 6,7 points sur une échelle de 0 à 10 quelle que soit la catégorie des cadres auscultés.

Confiance - Institut-Montaigne - modèle de confianceL’approche est en tout cas très intéressante. Elle distingue en effet 5 briques essentielles qui concourent à l’existence plus ou moins dynamique de la confiance au sein d’une entreprise donnée : l’image et la performance économique, la confiance dans les dirigeants, la confiance en soi et son futur professionnel, l’adhésion aux valeurs proclamées et intégrées et enfin la confiance dans les supérieurs directs et les employés.

Economiste et co-concepteur du modèle, Yann Algan insiste sur l’importance majeure de la confiance (3) : « Avec les capitaux matériels et financiers, les capitaux d’image, de marque et de réputation, le capital confiance constitue le troisième actif de l’entreprise ». Dès 2016, le nouvel outil sera publié annuellement et permettra ainsi de disposer d’une cartographie de la confiance des cadres envers l’entreprise. Une version personnalisée est également disponible commercialement pour les sociétés qui voudraient se doter d’un outil en propre.

La confiance ne se décrète pas

Confiance -Trust-Management-3-Top-Mistakes-Trustees-MakeLe grand mérite de cette initiative est qu’elle induit désormais une notion capitale : la confiance ne se décrète pas ex-nihilo à grands coups d’opérations de communication flamboyantes. Elle se tisse par une connaissance fine des publics de l’entreprise, et en premier de celles et ceux qui la composent et qui lui apportent les compétences et les énergies pour être performante sur son secteur d’activité. PDG d’Aéroports de Paris et signataire de la charte, Augustin de Romanet ne dit pas autre chose au sujet de la fonction névralgique de la confiance (4) : « C’est la première des valeurs de l’entreprise, parce que j’estime que pour mettre en mouvement quelqu’un, il faut lui donner la certitude que l’effort qu’il consent à faire à court et moyen terme, doit pouvoir lui procurer des bénéfices à plus long terme ».

Autre dit, la confiance ne s’insuffle et ne grandit qu’à condition que des actes concrets, palpables et réciproques aboutissent. Ce point est en soi une petite révolution pour les professionnels de la communication dont beaucoup sont encore pétris d’habitudes incantatoires, séductrices ou pire manipulatoires. Il va pourtant falloir s’y résoudre. La confiance ne naît et ne perdure que si les parties prenantes enregistrent un bénéfice respectif. Pour l’entreprise, cela implique de nouvelles obligations de discours mais cette fois, avec l’écoute active (voire contributive) de ses publics et avec l’apport de preuves tangibles que le contrat de confiance collectif repose sur d’authentiques fondements. Dans le cas contraire, à savoir une rupture de la confiance, l’effet papillon provoqué peut aller très loin avec des salariés démotivés et/ou en pilotage automatique et des pertes de performance qui s’ensuivent tant en termes de réputation que de valorisation boursière, de qualité de service et d’efficacité économique.

Le cas emblématique d’Ashley Madison

Confiance -ashley-madisonSite de rencontres adultères en ligne, le site Ashley Madison a touché du doigt les conséquences d’un pacte de confiance rompu. Créé en 2001 au Canada, la plateforme de rendez-vous extra-conjugaux a connu rapidement une forte expansion internationale au point de compter plus de 124 millions de visiteurs mensuels et d’être classée 18ème mondial des sites pour adultes (5). Outre la perspective émoustillante d’un 5 à 7 coquin, le site promettait avant tout une anonymisation totale des données confiées par ses abonnés hommes et femmes. Un engagement qui a donc vite conquis la confiance de 37 millions de personnes au total dans le monde entier.

Les choses se sont pourtant gâtées en août 2015. Après une effraction et le vol des données utilisateurs, le collectif de pirates anonymes a ensuite publié publiquement une partie des informations personnelles récoltées. Résultat : des centaines de milliers de personnes se retrouvent identifiées dont certaines très haut placées dans les administrations américaines et canadiennes (et même le désormais ex-PDG du site !). L’émoi est tel que quelques inscrits iront même jusqu’à se suicider, dévastés psychologiquement qu’ils étaient par ces révélations. Cette crise de confiance va de surcroît en engendrer une seconde où il s’avère que les profils féminins d’Ashley Madison sont aux deux-tiers fictifs, ceci pour mieux attirer les clients masculins qui sont les seuls à devoir payer la création de leur profil. Conséquence de cette confiance bafouée et en dépit des dénégations : le PDG démissionne quelque temps plus tard et la maison-mère du site, Avid Life Media, reporte sine die son introduction en Bourse. Aujourd’hui, selon le classement de Similar Web, le site est tombé à la 32ème de sa catégorie et craint pour sa survie économique. Confiance, vous avez dit confiance ? !

Sources

– (1) – Sydney Finkelstein – Why Smart Executives Fail – Portofolio – 2003 – Disponible en français sous le titre Quand les grands patrons se plantent aux éditions Eyrolles
– (2)– Maryann Keller – Rude Awakening : The Rise, Fall and Struggle for Recovery of General Motors – William Morrow – 1989
– (3) – Valérie Landrieu – « Vers un nouvel outil de pilotage : l’indice de capital confiance » – Les Echos – 30 novembre 2015
– (4) – Ibid.
– (5) – Selon les statistiques fournies par Similar Web en juillet 2015



6 commentaires sur “Sans confiance, pas de communication crédible, ni de réputation durable !

  1. Jennifer @ xilopix.com  - 

    Bonjour Olivier,

    C’est une excellente analyse ! Je suis entièrement d’accord avec vous : Internet a rebattu les cartes à ce sujet, et pour construire une relation de confiance avec les salariés et ses clients et un travail de longue haleine. Le modèle de la pyramide de confiance, c’est un peu la pyramide des besoins de Maslow : elle résume à elle seule ce que recherche les collaborateurs et les clients d’une marque et les points clés sur lesquels mettre l’accent !

Les commentaires sont clos.