3ème édition des Napoléons (1) : Temps et contenus sont-ils toujours conciliables ?

Durant les deux jours d’ateliers et de rencontres de la 3ème édition des Napoléons qui se tient à Val d’Isère les 13 et 14 janvier, le temps est au cœur des discussions. Longtemps source intarissable d’inspiration pour les poètes, les philosophes, les chanteurs et les écrivains, le sablier quotidien est dorénavant devenue une ressource dichotomique sous l’impulsion de la connectivité digitale permanente. Ubiquité et instantanéité ne se sont jamais autant immiscées dans la vie de ceux que le philosophe Michel Serres appelle les « homo numericus ». Le digital accélère et augmente prodigieusement le temps jusqu’à parfois le fragmenter et le dilater plus qu’il n’en faut. Les consommateurs sont submergés de messages et de sollicitations et frôlent l’overdose numérique. Comment les producteurs de contenus peuvent-ils éviter la surchauffe ? Morceaux choisis d’une première journée intitulée « Fast and Furious ».

Lors de son intervention, Anne Méaux, présidente d’Image 7, la célèbre agence de conseil en communication, a souligné à juste titre que « plus le temps de la communication est bousculé, plus le temps de la réflexion est nécessaire ». C’est effectivement sur ce postulat quelque peu schizophrénique que les intervenants de la première journée des Napoléons saison 3 ont tenté d’esquisser des réponses. Comment mieux apprivoiser ce temps augmenté sans pour autant céder à l’ivresse de la vitesse digitale ? Si l’énoncé de la question semble clair, l’enjeu revêt en revanche de multiples facteurs parfois contradictoires. Spécialement pour ceux qui éditent des contenus à destination de leurs publics cibles.

Fast vs slow : le match à l’affiche

Napo 1 - lapin tortueL’hyperconnexion digitale est une réalité irréfutable. Président de l’agence de publicité Australie, Vincent Leclabart aligne des statistiques impitoyables. L’internaute français consacre quotidiennement 5 h 30 en moyenne aux écrans (ordinateur, smartphone, tablette et TV confondus). Chaque semaine, il donne 105 minutes de sa vie à la consultation de Facebook et 65 minutes à celle de Twitter. Et l’on pourrait ainsi égrener les chiffres pour démontrer cette vertigineuse addiction digitale qui se traduit symétriquement par une inflation de contenus publiés. En 24 heures, 36 millions de courriels sont expédiés, 576 000 heures de vidéo sont mises en ligne sur YouTube, 35 millions de photos postées sur Instagram ou encore 500 millions de tweets émis sur Twitter. De quoi donner le tournis face à une hyper-sollicitation d’autant plus galopante que nombreux sont les utilisateurs à s’interrompre et à répondre dans l’instant ou dans l’heure qui suit.

Pour les marques et plus généralement les éditeurs de contenus, cette fringale digitale a rapidement constitué une opportunité nouvelle de toucher les cibles recherchées à mesure qu’elles désertent ou ignorent les supports de communication plus traditionnels. D’où l’engouement actuel pour le marketing programmatique qui est un mode d’achat et de vente d’espaces publicitaires Web basé en temps réel sur les données algorithmiques laissées par les internautes. Autrement dit, si vous consultez plusieurs fois des contenus relatifs à un sujet, vous serez rapidement identifié comme une personne susceptible d’en vouloir plus sur le même thème et pourquoi pas franchir le cap de la transaction. Présentée par certains thuriféraires du Big Data comme la nouvelle pierre philosophale qui permet à coup sûr de délivrer le bon contenu à la bonne personne au bon moment, la technique suscite pourtant un rejet croissant. Et non des moindres. Président d’Emakina France, Manuel Diaz cite en particulier l’exemple du PDG de Pepsi Cola qui n’hésite pas à qualifier les displays de pollution et enjoint de ne plus les utiliser.

Adblock - iconoFace à cette vague de contenus plus ou moins désirés, les internautes organisent en effet la riposte. Notamment en téléchargeant des bloqueurs de publicité, les fameux ad-blocks, qui selon l’Union des Annonceurs, feraient passer à la trappe 15 à 20% des bannières éditées par les annonceurs. Ce temps court où l’interruption (pour ne pas dire l’intrusion) est de mise, est de plus en plus mal reçu par les internautes qui veulent se réapproprier leur temps. A tel point que la Tuft University travaille actuellement sur un prototype de casque qui aide ce dernier à se déconnecter des messages non-désirés pour maximiser sa concentration sur les contenus qu’il entend lire, écouter ou regarder ! Avec cette profusion d’interactions à gogo, l’internaute est aujourd’hui un funambule en permanence écartelé entre picorer dans le temps immédiat ou s’immerger dans le temps long.

La data comme recours ?

Napo 1 - Jeff Bullas infographyAvec cette connectivité constante où tout devient possible en l’espace de quelques clics, d’aucuns ont cru que le brassage algorithmique des données personnelles suffirait à affiner le ciblage et la pertinence des contenus émis. Pour Manuel Diaz, cette vision technocentrée relève quasiment de l’hérésie. Selon lui, la rencontre initiale du monde de la communication et des technologies digitales s’est opérée sur un funeste malentendu : « Le digital ne doit pas être perçu comme un média mais comme une culture à part entière où c’est la relation qui importe. Faute d’avoir compris cela, beaucoup se contentent de plaquer ce qu’ils avaient l’habitude de faire par ailleurs dans les formats digitaux et s’en remettent au Big Data pour valider leurs choix ». Ce qui constitue au final une erreur puisque l’internaute se retrouve sollicité à tout moment par des contenus indésirables ou hors contexte.

Président de Radium One, une plateforme publicitaire spécialisée sur les médias sociaux, François Bellier est d’ailleurs le premier à en convenir : « Au lieu de savoir vendre son produit, il conviendrait plutôt d’apprendre à mieux connaître celui à qui on vend ou on souhaite vendre ». Manuel Diaz abonde pleinement dans ce sens. A ses yeux, la permission accordée par l’internaute doit primer dans l’approche éditoriale qu’une marque entreprend. Cette dernière ne doit pas se résumer à du remplissage publicitaire mais au contraire fournir du sens, de la narration face à des consommateurs qui sont de surcroît de plus en plus exigeants et qui n’accordent plus leur temps n’importe comment même si paradoxalement la fréquentation digitale ne cesse d’être exponentielle. Ce qui requiert de la part des éditeurs, une capacité plus fine à concevoir des messages plus agiles et mieux profilés mais aussi à envisager le canal digital comme étant d’abord un espace relationnel avant même d’être source de ventes.

Le contenu reste le nerf de la guerre mais …

Napo 1 - emotioninfluencesb2bbuying_businessservicesLorsque le contenu correspond aux attentes du public, la réceptivité est généralement au rendez-vous. Directeur général de Twitter France, Damien Viel explique le succès de la plateforme de micro-blogging dans l’Hexagone par le fait d’avoir misé sur des partenariats avec notamment les médias : « En France, il y a une vraie appétence pour les contenus informationnels, serviciels et live. Résultat : nous comptons parmi nos utilisateurs 43% de CSP + alors que la moyenne française est de l’ordre de 29% ».

Agnès Pannier-Runacher, directrice générale déléguée de la Compagnie des Alpes, s’inscrit dans la même ligne où l’expérience de l’utilisateur doit primer : « Les gens qui fréquentent nos lieux de loisirs – stations de montagne, parcs de loisirs – génèrent eux-mêmes du contenu sur les expériences qu’ils vivent chez nous et qu’ils partagent ensuite sur les médias sociaux. Ces contenus ont un impact énorme en termes de bouche-à-oreille. A nous ensuite d’éditer d’autres contenus qui complémentent ou prolongent l’information sur notre offre ».

Il n’en demeure pas moins que l’univers des contenus digitaux est ultra-disputé. Là encore, certains experts mènent des combats picaresques pour défendre alternativement le format court ou le format long ou encore calculer les grilles horaires les plus susceptibles de toucher les publics visés. Co-fondateur de l’agence Altmann + Pacreau, Olivier Altmann tord radicalement le cou à ces approches beaucoup trop rationnelles et quantitatives. Pour lui, le temps d’attention qu’un individu va accorder à un contenu n’est pas forcément déterminé par la longueur ou la durée d’un format mais par le sens et/ou l’émotion que celui-ci déclenche(voir à ce effet la vidéo de Monty le pingouin de la chaîne britannique de grands magasins John Lewis)  : « Il faut savoir s’extraire du mode purement rationnel où la data promet de tout prédire, comprendre et programmer. L’efficacité du quantifiable est une utopie. Je comprends le souci des éditeurs de contenus de rentabiliser des investissements qui sont souvent importants. Mais si vous êtes intrusif ou non-adapté, vos contenus sont perdus. La variable humaine reste encore un ressort que les algorithmes ne savent pas appréhender ». Le temps est effectivement devenue une denrée non-extensible en dépit de la démultiplication que le digital permet en parallèle. De la justesse des contenus adressés à un public donné, découlera alors l’attention que ce dernier daignera donner. L’algorithme peut aider à baliser mais ne remplace en aucun cas la qualité de l’expérience utilisateur.



2 commentaires sur “3ème édition des Napoléons (1) : Temps et contenus sont-ils toujours conciliables ?

  1. Ariel Gomez  - 

    Papier très très intéressant, c’est réjouissant de voir qu’il peut y avoir une réflexion éclairée sur le numérique à côté du mainstream marchand, souvent présenté comme la seule évidence et la seule finalité…

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci Ariel pour l’appréciation !
      C’est effectivement toute la subtilité du positionnement de cette conférence que de proposer des échanges entre personnes concernées par le numérique (quasiment tout le monde aujourd’hui) mais issus de différentes cultures. Cette hybridation pourra générer des solutions nettement moins silotées !

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