Napoléons Arles 2016 : Petit florilège subjectif sur la simplicité et la communication

La 4ème édition de la conférence des Napoléons vient de clore ses riches débats entre orateurs de multiples horizons autour du thème de la simplicité. Quelle quintessence retenir au final des différentes interventions qui se sont succédé les 21 et 22 juillet dans divers lieux patrimoniaux d’Arles ? Dans ses notes de clôture, Anne Meaux, présidente du Board des Napoléons (et par ailleurs présidente et fondatrice de la célèbre agence de conseil en communication Image 7) n’a pas hésité à souligner l’étonnant paradoxe qui continue d’agiter nos sociétés occidentales qui oscillent sans cesse entre complexité croissante et technologies censées nous simplifier la vie … tout en ajoutant de nouvelles complexités ! Pas si simple en effet de résumer ou de synthétiser cette notion cruciale de simplicité dès lors qu’il s’agit d’apprendre, d’échanger, de progresser ou de réfléchir entre différents acteurs censés interagir entre eux. Sans prétendre restituer toute l’exhaustivité des discussions, le Blog du Communicant a choisi de retenir quelques idées saillantes … en toute subjectivité !

Parler de simplicité n’est pas un exercice aisé. Chacun y aspire mais n’y parvient pas toujours pour des raisons variées dont l’une peut être justement culturelle. Directeur de la création et de l’innovation au sein du groupe Ikea, Yashushi Kusume, n’a d’ailleurs pas manqué de relever ce point durant son discours sur les clés conduisant à la simplicité. Ce qui peut apparaître simple à l’un peut totalement devenir complexe pour l’autre du fait de perceptions et prismes de lectures socio-culturels éloignés. Idem lorsqu’il s’agit de technologies mises à disposition des consommateurs. Co-fondatrice et présidente de la société Tom Tom qui conçoit des outils de navigation GPS, Corinne Vigreux a rappelé l’incroyable complexité à résoudre au préalable pour proposer ensuite l’interface utilisateur la plus simple et intuitive possible. C’est bien là que se situe tout le paradoxe (qui confine parfois à l’oxymore) de la simplicité : s’affranchir d’une certaine complexité mais sans tomber non plus dans le simplisme ou le formatage procédurier qui engendre alors … de la complexité !

Simplifions l’éducation des enfants

Napo2016 - Actes SudDurant les deux jours de la conférence, le système éducatif français a reçu quelques coups de griffe bien sentis. Mécènes d’une toute nouvelle école baptisée le Domaine du Possible et ouverte à Arles depuis décembre 2015, Françoise Nyssen et Jean-Paul Capitani à la tête de la maison d’édition Actes Sud (à droite sur la photo) se sont attaqués à plusieurs reprises au carcan éducatif compliqué dont l’Education Nationale peine à se défaire à leurs yeux. C’est d’ailleurs ce constat qui les a conduits à soutenir la création de cette école hors contrat dont le projet repose autour de la relation des enfants avec l’enseignant et avec la découverte de la nature, la pratique du travail manuel et du développement personnel. A leurs yeux, s’interroger d’abord sur le « pourquoi » des choses est le meilleur apprentissage à distiller au lieu d’ingurgiter d’emblée le « comment » des choses. En renversant le paradigme éducationnel qui imprègne encore fortement l’éducation scolaire, l’enfant peut acquérir une compréhension simplifiée du fait d’être capable de mettre du sens à ce qu’il fait et aux erreurs qu’il commet.

Napo2016 - Gillian FerrabeeCette dichotomie entre le « pourquoi » et le « comment » a tout autant été déplorée par deux orateurs tout droit venus d’Outre-Atlantique. Aujourd’hui directrice du Creative Lab du Cirque du Soleil, la Canadienne Gillian Ferrabee (photo ci-contre) a témoigné de sa propre expérience d’enfant qui ne tenait pas en place dans les salles de classe traditionnelles au point d’avoir des résultats médiocres. C’est parce qu’elle a pu ensuite rejoindre un système éducatif où est accordée une place prépondérante au faire et à l’expérience qu’elle a pu se forger sa créativité et trouver sa voie professionnelle, l’expression artistique et corporelle. Conseiller en stratégie d’innovation et membre agrégé des universités de Berkeley et Princeton aux Etats-Unis, John Danner a d’ailleurs pareillement rebondi sur cette urgence à enrayer « le piratage du « comment » au détriment du « pourquoi ». Selon lui, s’obstiner en permanence sur le « comment » avant même de se questionner sur le pourquoi n’est pas vecteur de simplicité. Au contraire, cette posture aurait même une fâcheuse tendance à rendre les choses plus complexes et à ne pas révéler le véritable potentiel que chacun possède.

Communiquer : simple ou complexe ?

La communication des entreprises et des organisations n’échappe pas non plus à ce travers, source de nombreuses distorsions. Parmi elles, on peut notamment citer celle à laquelle se consacre Jérémie Boroy. Président et fondateur de la société Aditevent, ce dernier mène un combat sans relâche que l’usage de la langue française soit accessible en toutes circonstances par des personnes souffrant de déficits auditifs ou de surdité totale. Lui-même sourd de naissance, il œuvre afin que l’accessibilité aux contenus sonores soit aussi simple que pour les personnes n’ayant aucun handicap. C’est ainsi qu’il a été amené à créer de nombreux outils de simplification et d’accès à la compréhension de ces différents contenus.

De gauche à droite : T. Trinh-Bouvier (Vivendi), J. Pellet (Instagram) et J. Bordeau (Institut Qualité de l'Expression)

De gauche à droite : T. Trinh-Bouvier (Vivendi), J. Pellet (Instagram) et J. Bordeau (Institut Qualité de l’Expression)

Un challenge d’autant plus relevé que le langage lui-même est en constante évolution et augmentation sémantique. Présidente de l’Institut de la Qualité de l’Expression, artiste et linguiste de formation, Jeanne Bordeau est aux premières loges pour vivre cette complexification grandissante de la langue au fil du temps. A la polysémie des mots de l’écrit générant parfois des doubles sens et des confusions, s’ajoute désormais la dimension digitale constituée d’un magma visuel extrêmement dense comme les émoticônes mais aussi les photos, les Gif animés, les vidéos, etc. Là aussi, à ceux qui voient un retour à la simplicité du langage à coups de symboles visuels en pagaille, une autre experte pondère leur enthousiasme. Responsable Nouveaux médias à la direction de la communication de Vivendi, Thu Trinh Bouvier constate par exemple que le recours aux points de suspension dans un message de type SMS peut être mal reçu par un adolescent, contrairement à son interlocuteur adulte qui cherchera à signifier quelque chose à suivre ! Pour autant, cette relative complexité de l’expression où s’imbriquent dorénavant l’écrit et le visuel n’est pas source d’appauvrissement pour Jeanne Bordeau. Chacun opère sur un registre spécifique qui peut être totalement complémentaire et simple à comprendre dans maintes situations de communication.

Simplifier, c’est aussi écouter et associer

Napo2016 - SNCF NespressoS’il est un désir que les marques et les entreprises ont en permanence, c’est bien celui de pouvoir capter leur auditoire et de se faire comprendre et aimer. Pendant longtemps, le seul message publicitaire à caractère massif et descendant a été le levier pour attirer l’attention, séduire et inciter à utiliser des services ou des produits. Ce n’est maintenant plus le cas depuis que le client compare, critique si ses attentes ne sont pas satisfaites et surtout le fait savoir sans filtre à travers les réseaux sociaux. Issus pourtant de secteurs d’activité différents, Béatrice Chavanel, directrice de la communication externe et de la marque SNCF et Arnaud Deschamps, directeur général de Nespresso France (photo ci-contre) ont déjà intégré cette nouvelle donne certes plus complexe au départ mais qui doit déboucher au final sur une simplification efficace et concrète dans la relation avec le client. Celui-ci est donc désormais associé régulièrement pour imaginer et concevoir des offres pertinentes ou encore répondre à des questions basiques mais essentielles. Cependant, le duo souligne avec force l’impérieuse nécessité d’impliquer et d’écouter pareillement le corps interne de l’entreprise. Pour eux, ce n’est que par ce dialogue permanent sur les différents points de contact que la simplicité peut être une réalité tangible pour tous.

Napo2016 - John DannerFormulée ainsi, l’approche peut sembler d’une évidence cristalline pour tendre vers cette simplicité tant convoitée. Néanmoins, John Danner (photo ci-contre) n’a pas hésité à mettre les pieds dans le plat en regrettant en particulier que l’échec ne soit pas plus activement pris en compte lorsqu’une entreprise opère un changement ou lance une nouveauté. Sa conviction est que l’échec est une source d’amélioration et pas forcément quelque chose qu’il faut oublier au plus vite, voire sanctionner ou taire à tout prix. Un ratage peut concourir à rendre ensuite les choses plus fluides au lieu de s’évertuer à construire des processus et des guidelines sécurisants pour celles et ceux qui les font appliquer mais pas toujours facteur de simplification pour celles et ceux qui doivent les appliquer, voire les subir !

A cet égard, le philosophe américain de l’université de Virginie, Matthew Crawford a la dent dure envers la pression publicitaire quasi ubiquitaire que les technologies numériques ont induite. Si les émetteurs et concepteurs de ce bombardement communicationnel ont le sentiment de simplifier leur relation, il n’en est pas de même pour les cibles réceptrices dont le niveau d’attention est aujourd’hui sur-sollicité au point de décrocher, voire bloquer et refuser ces stimuli et intrusions incessants. Et si la simplicité du message passait effectivement par une diète face à l’infobésité et l’accumulation de procédures ? La question est loin d’être obsolète ou résolue mais la conférence des Napoléons aura au moins permis d’ouvrir des brèches pour que la simplicité soit vraiment un objectif inhérent à la communication des organisations et des communautés.

A noter sur vos tablettes : la prochaine conférence des Napoléons se tiendra du 11 au 14 janvier 2017 à Val d’Isère. Pour suivre les actus d’ici, visitez le site dédié de la communauté des Napoléons !

Pour en savoir plus sur la conférence d’Arles 2016

– Lire ou relire le hashtag de la conférence #napo2016 sur Twitter
– Suivre le compte Twitter des Napoléons @LesNapoleons

Ouvrages évoqués durant la conférence

– Jeanne Bordeau – « Le langage, l’entreprise et le digital » – Editions Nuvis
– Thu Trinh Bouvier – « Parlez vous Pic Speech ? » – Editions Kawa
– John Danner & Mark Coppersmith – « The other F word – How smart leaders, teams and entrepreneurs put failure to work » – Editions Wiley
– Matthew B. Crawford – « Eloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail » – Editions La Découverte
– Matthew B. Crawford – « Contact – Pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver » – Editions La Découverte
Rapport SNCF sur la mobilité augmentée à l’horizon de 2035



3 commentaires sur “Napoléons Arles 2016 : Petit florilège subjectif sur la simplicité et la communication

  1. martzel  - 

    J’ai retenu aussi qu’il va falloir payer pour conserver de l’espace de cerveau disponible, ce qui nous laisse de belles perspectives sur la question de la liberté de pensée et de sa monétarisation (M. Crawford)
    La cohérence de l’entreprise est un élément clé de sa valeur, on ne peut plus créer de la valeur sans valeurs (A. Deschamps, M. Abdenhader)
    Le sentiment d’insécurité fournit bien des opportunités de business (N. Mattisson)
    Que bientôt grâce au big data, nos envies seront anticipées et modélisées et que nous n’aurons plus qu’à attendre que ça se passe (D. Delport)
    et que pour finir la réduction de la pensée à 140 signes est probablement notre plus grand risque (M. Vauzelle).
    Personnellement je pense que la théorie du 5 slides max, est vrai si on fait primer le show sur le fond, dire qu’on ne serait pas capable de se concentrer plus de 6 minutes… c’est renoncer, ne renonçons pas, et passons du temps à réfléchir ensemble. Vivement Val d’Isère

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