Médias sociaux & Communication : La voix est-elle amenée à connaître un fort regain d’intérêt ?

Depuis que le Web social s’est incrusté dans notre quotidien, les experts et les analystes parlent avant tout de la progression fulgurante des contenus vidéos et de l’expansion protéiforme des contenus écrits qu’il s’agisse de mots, de néologismes, de signes comme le hashtag ou encore les émoticônes. Ces dernières étant quasiment devenues un métalangage venu ponctuer les courriels, les statuts ou les tweets. Au milieu, la voix comme véhicule de communication poursuit pourtant sa route. D’abord avec le constant succès des podcasts, l’émergence de réseaux sociaux vocaux et surtout l’avènement programmé des assistants vocaux comme Google Home ou ceux d’Amazon, Alexa et Echo. Et si la voix venait rebattre les stratégies de communication et éditoriales des marques comme des médias ?

Paradoxalement, la voix est pourtant le plus ancien média du monde. Bien avant les premières écritures cunéiformes et très longtemps avant les premières images saccadées des Frères Lumière, la voix était le canal privilégié pour échanger, transmettre, partager, influencer, etc. Bref, tout ce qui constitue l’attirail basique des interactions humaines. Au 20ème siècle, la voix reprend des couleurs avec les premières diffusions d’émissions radiophoniques pour le public. En 1925 aux Etats-Unis, la radio est même intégrée au dispositif de communication de campagne électorale du candidat Herbert Hoover. La voix n’a jamais réellement perdu de son statut de canal d’information et de discussion mais elle fut quelque peu reléguée au second rang, notamment du fait de l’explosion des contenus vidéos et de la conversation écrite digitale. Les choses pourraient bien changer.

Le podcast, première réplique vocale

Apparu pourtant concomitamment avec les médias sociaux, les blogs et le déploiement des terminaux mobiles (tablettes, smartphones, baladeurs, etc), le podcast est étonnamment demeuré cantonné au départ à des usages pédagogiques et universitaires. Cela permettait d’enregistrer des cours et des conférences que chacun pouvait ensuite réécouter à loisir et à tout moment. C’est Apple qui va véritablement consacrer le podcast comme un moyen à part entière de communication et d’information en commercialisant notamment l’iPod sur lequel il est possible de télécharger différents contenus audio depuis sa plateforme iTunes. D’ailleurs, le néologisme « podcast » sera imaginé en 2004 sous la plume de Ben Hammersley, journaliste au Guardian qui dans un article (1) en a combiné le nom de l’iPod d’Apple et la notion de « broadcasting » (littéralement diffusion).

Bien qu’il fasse moins l’objet de chroniques et d’articles dans la presse spécialisée de la communication et du marketing, le podcast constitue aujourd’hui un véritable phénomène auprès du public doublé d’un succès d’écoute incontestable. Une récente compilation sur le sujet de l’Université Concordia Saint Paul à Minneapolis dans le Minnesota (voir à cet effet l’infographie reprise sur le blog) est sans ambages. Par exemple, le pourcentage d’auditeurs consommant des podcasts a bondi de 12% en 2013 à 24% en 2017. Et 65% des auditeurs actifs ont en moyenne moins de 3 ans de pratique. Côté générationnel, on retrouve pareil enthousiasme avec 33% chez les 35-54 ans (Gen X), 44% chez les 18-34 ans (Millenials) et même 7% chez les 12-17 ans (Gen Z) aux inclinaisons pourtant volatiles et différentes de leurs ainés. En termes de contenus, la variété est également de mise avec 48% pour la fiction, 40% pour l’éducation, 38% pour l’information, etc.

Médias et marques sont à l’écoute

Les médias, radios en tête, ont rapidement saisi l’intérêt qu’il y avait de proposer leurs émissions à télécharger en podcast depuis leur site. D’une part, c’est la possibilité de rendre service à ses auditeurs  qui n’ont pas toujours le temps d’écouter en direct mais aussi et surtout d’aller toucher des cibles peu ou pas enclines à écouter la radio, voire d’autres médias plus classiques. Et des revenus additionnels non négligeables. Le site Slate tire ainsi des podcasts, 25% de son chiffre d’affaires (2). En France, le podcast est carrément devenu un must éditorial que tout titre de presse se doit de rendre disponible. Ceci d’autant que les smartphones se sont tellement enrichis de fonctionnalités qu’il est possible d’écouter avec un confort maximum. Récemment, le magazine Challenges a ainsi établi un Top 9 des podcasts économiques (3) qui cartonnent en complément des acteurs traditionnels du genre.

Du côté des entreprises, l’engouement est aussi présent. Blue Wing, une agence de conseil en marketing digital, a repéré 5 sociétés (et non des moindres) qui recourent au podcast pour alimenter et partager du contenu avec leurs communautés. GE a en particulier créé en octobre 2015 une série intitulée « The Message ». Cette collection de podcasts traite des mystères de l’espace et de la galaxie autour d’un mystérieux signal codé capté 70 ans plus tôt. Là aussi, ce fut carton plein avec une place de numéro 1 sur iTunes au bout de six semaines (4) et plus d’1 million d’auditeurs. Directeur de la création chez GE, Andy Goldberg précise les intentions de la démarche (5) : « Je ne considère pas qu’il s’agit de publicité. C’est un podcast produit par une marque au lieu d’un média classique. Je ne suis pas en train de dire « Eh ! Sortez et achetez un moteur d’avion ! ». C’est une histoire de science-fiction pour entrer en contact avec nos auditeurs et faire connaître qui est GE et quelles sont nos activités ».

Encore plus donner de la voix ?!

C’est un fait. La voix via le podcast a acquis ses lettres de noblesse dans une stratégie de communication (à condition que cela corresponde avec les modes de consommation des médias des publics visés, un point qui a malheureusement souvent tendance à être zappé !). En revanche, une toute récente évolution technologique est en train de faire de la voix un levier de plus en plus majeur. Certes, des réseaux sociaux basés sur le concept de partages de messages vocaux enregistrés et viralisés auprès d’une communauté avaient déjà entretemps commencé à défricher le terrain. En 2013, la start-up française avait lancé l’application Bobler (lire l’interview d’un des co-fondateurs accordée au blog). Le principe de Bobler était très simple. Chaque utilisateur peut enregistrer depuis son application des Bulles qui sont des messages audio de 2 minutes maximum auxquels on peut ajouter une localisation, un tag, une photo et que l’on peut ensuite partager avec ses followers sur Bobler, sur Twitter et ses amis sur Facebook. Elle sera fermée deux ans plus tard mais d’autres applis du même acabit ont vu le jour comme Bubly, Listen ou HearMeOut. Comme quoi la voix a clairement une fonction communicante pour qui en doutait !

Cependant, ces initiatives si louables soient-elles ne sont rien avec la nouvelle vague technologique de la commande vocale qui n’en finit pas de grossir. Celle-ci a d’abord vu le jour via la fonction Siri d’Apple puis celle de Google (OK Google devenu Google Now). Installée respectivement sur les smartphones fonctionnant sous iOS (système d’exploitation d’Apple) et sous Android (le concurrent Google), la recherche vocale a rapidement conquis les foules. Résultat : 20 % des recherches sur Google (6) aux États-Unis passent dorénavant par la voix de l’utilisateur qui fait sa requête en commençant par « OK Google ». L’institut Comscore parie même qu’en 2020, la recherche vocale pèsera 50% !

Réapprendre à communiquer vocalement ?

Or, dans le droit fil de ces technologies qui modifient la manière dont l’usager interagit avec une marque, apparaissent désormais les assistants personnels connectés dont Google Home, Amazon Echo et Amazon Alexa sont les pionniers les plus offensifs. S’il s’agit d’un nouveau pas franchi dans la connectivité galopante de notre vie quotidienne, ces petits appareils à l’ouïe fine et mus par la voix et l’intelligence artificielle, vont également avoir un impact dans la façon dont marques, entreprises, organisations, etc s’adressent à leurs communautés. Ce qui ne va pas être sans bouleversements sur la conception des contenus éditoriaux. Les plus jeunes générations se sont d’ailleurs déjà emparées de ces nouveaux codes de communication. Notamment sur Whatsapp et Snapchat qui permettent d’enregistrer un message vocal qui est ensuite envoyé à son (ou ses) destinataire(s). Terminés les SMS fastidieux à écrire !

Nous sommes donc bien en présence d’un canal de communication vocal qui gagne progressivement en puissance et qui vient s’intercaler entre les contenus textuels divers et les contenus vidéos. Directeur retail et e-commerce chez Google France, François Loviton distingue à cet égard un enjeu qui concerne tout particulièrement celles et ceux qui sont en charge de l’animation d’une stratégie éditoriale (6) : « La nécessité pour les marques de se créer, plus qu’une identité sonore, une personnalité. Quand l’utilisateur parle à un objet, il projette l’image d’un être humain. La marque devra donc réfléchir à son incarnation, aux attributs qu’elle souhaite porter, que ce soit à travers son timbre de voix, le ton avec lequel elle parle, son style de réponse ». De quoi augurer de sacrés casse-têtes tant les profils des publics peuvent varier et diverger. Ce mode d’interaction grandissant risque d’ailleurs de vite ringardiser au passage les chatbots aux propos globalement très standardisés (pour ne pas dire plus) et nettement moins à même d’appréhender la finesse d’un contexte conversationnel.

Il est certainement encore un peu prématuré pour mesurer exactement en quoi et sur quoi le chamboulement va porter. Mais nul ne doute que la communication va devoir s’adapter à cette intelligence artificielle des communications entre humains et objets. Ira-t-on jusque dans un monde comme « Her » ? Bien malin est celui qui peut le prédire. En revanche, une chose est certaine. Les assistants personnels vocaux vont redéfinir les territoires d’expression. Pour les marques et les entreprises, cela va obliger définitive à sortir du discours prémoulé, validé 15 fois et descendant. Si ce dernier a pris du plomb dans l’aile ces dernières années, il reste quand bien pratiqué.

Sources

– (1) – Ben Hammersley – « Audible revolution » – The Guardian – 12 février 2004
– (2) – Lucia Moses – « We’re pivoting to words’: Slate says podcasts are now 25 percent of revenue » – Digiday – 16 janvier 2018
– (3) Léa Lejeune – « Podcast: ces 9 émissions économiques incontournables qui cartonnent à écouter gratuitement » – Challenges – 12 décembre 2017
– (4) – Ellen Gamerman – « Serial podcast catches fire » – The Wall Street Journal – 13 novembre 2014
– (5) – Laura Hazard Owen – « How did the GE-branded podcast The Message hit No. 1 on iTunes? In part, by sounding nothing like an ad » – The Nieman Lab – 30 novembre 2015
– (6) – Delphine Soulas – « OK Google : Le vocal, ça change quoi ?  » – Stratégies – 3 novembre 2017
– (7) – Ibid.