#ComDeCrise : Comment l’EM Lyon a géré le buzz médiatique de Laurent Wauquiez ?

Les déclarations fracassantes de Laurent Wauquiez lors d’un cours donné le 16 février à des étudiants de l’EM Lyon auraient pu avoir un effet collatéral sur l’image de l’école de commerce tant le buzz a nourri la chronique médiatique et politique pendant plusieurs jours et fait revenir en boucle le nom de celle-ci. Ceci d’autant plus que ce n’est pas exactement le genre de crise auquel un établissement universitaire peut légitimement s’attendre. La communication de l’EM Lyon a pourtant su éviter les chausse-trappes avec seulement quelques actions astucieusement dosées dans le temps et ciblées. Tour d’horizon.

Ce n’est pas la première fois que le campus de l’EM Lyon accueille des personnalités politiques et économiques de divers horizons. Qu’il s’agisse de conférences ou de cours s’étalant en plusieurs sessions, l’objectif est à chaque fois de confronter les étudiants avec des analyses d’acteurs du monde contemporain et de leur fournir des clés de compréhension qui aillent au-delà du simple cursus universitaire. A ce jour, l’école de commerce a reçu plus de 500 figures dont l’ancien président de la République, Valéry Giscard d’Estaing (1). Intitulé « Enjeux contemporains », le cours de Laurent Wauquiez n’avait a priori pas lieu de déclencher la poussée de fièvre politico-médiatique qui s’en est ensuivie. En revanche et au-delà des considérations politiques sur le fond des phrases prononcées par le leader des Républicains, la tourmente guettait alors potentiellement l’école.

Un enjeu : éviter les ricochets réputationnels

Pour l’EM Lyon, plus que les saillies verbales sans filtre de Laurent Wauquiez, l’enjeu était double à son niveau. D’une part, il fallait à tout prix éviter que l’école ne se voit suspectée d’accointances politiques partisanes alors même qu’un courriel de septembre 2007 envoyée aux étudiants avait indiqué la venue du président du conseil régional Auvergne-Rhône Alpes en ces termes (2) : « Laurent Wauquiez anime régulièrement des séminaires de ce type à Sciences po et à l’ENA (…) comme expert, évidemment de façon apolitique ». De l’autre, le fait que l’orateur ait été enregistré à son insu (bien que ce dernier eût pris soin de rappeler qu’il ne voulait aucun enregistrement, ni tweet) constituait pour l’école un autre risque auprès de futurs intervenants qui pourrait devenir gênant comme le précisera ultérieurement dans un mail interne, le directeur général de l’école Bernard Belletante (3) : « Si nos intervenants extérieurs ne sont plus sûrs de la confidentialité de leurs propos, ils pourront ne plus venir, ce qui se fera au détriment de la diversité des personnalités qui viennent sur le campus. » La réputation de l’école était donc potentiellement menacée. Pourtant, la communication de celle-ci a été exécutée au cordeau et sans précipitation, ni affolement.

Temps 1 : Place aux étudiants

Sans doute contre toute attente pour beaucoup d’observateurs et d’experts de la communication de crise, l’école n’a d’abord pas fait de commentaires officiels. Ce sont des étudiants ayant assisté au cours de Laurent Wauquiez qui s’en sont chargés après la diffusion des enregistrements dans l’émission « Le Quotidien » sur TMC. Ils rédigent alors une tribune pour exprimer leur ressenti qui n’est pas celui dépeint par les médias. Elle est ensuite reprise le 17 février par plusieurs d’entre eux sur leurs comptes Twitter et Facebook comme Anatole Flahault (4) : « Certes le cours n’était pas l’intervention “apolitique” présentée par l’école, mais M. Wauquiez nous avait prévenu dès les premières minutes. Nous avons donc vécu, et en connaissance de cause, son intervention comme le point de vue d’un leader de droite et non comme une parole d’évangile. Nous avons pu constater au fur et à mesure de nos échanges que nous pouvions avoir des opinions politiques différentes, voire diamétralement opposées. Et ce temps passé nous a permis de confronter nos points de vue avec un acteur important du jeu politique. Le cours fut à la hauteur de nos attentes : un discours franc, des échanges parfois abrupts mais toujours respectueux ». Plusieurs médias interrogent alors le jeune homme sur son expérience et relatent un autre angle de vue des faits.

Temps 2 : Priorité à l’interne

Bernard Belletante – crédit photo : Laurent Cerino

Même si durant le week-end, les réactions politiques fusent à tout va dans les médias et sur les réseaux sociaux, la posture de l’EM Lyon est de prendre quelque peu du champ. Ce n’est que le lundi 19 février que le directeur général de l’école de commerce fait part d’une première position. Et celle-ci est d’abord réservée à l’interne (même si le courrier fuitera quelque temps plus tard dans les médias) et en particulier aux étudiants. Le ton est ferme et rappelle avant les valeurs fondamentales de l’établissement universitaire (5) : « Enregistrer une personnalité sans l’en informer n’est pas une valeur early maker. Je note que cette absence d’éthique est par ailleurs un comportement illégal, contraire à notre règlement intérieur s’il s’agit d’un participant. La liberté exige une responsabilité collective ». Puis en parallèle, Bruno Bonnel, le président du conseil d’administration de l’EM Lyon (et également député LREM) précise à l’AFP qu’aucune enquête ne sera menée pour tenter d’identifier la personne qui a réalisé l’enregistrement mais que toutefois, il « regrette profondément qu’un engagement de faire un cours apolitique et inspirant soit devenu une tribune politique et désespérante » (6). Deux séquences qui permettent de montrer que l’école garde la main sur le respect des règles intérieures tout en se dissociant de la polémique politicienne et en misant sur la responsabilisation des étudiants pour des prochaines fois.

Temps 3 : Une communication média ciblée

Alors qu’entretemps l’émission « Le Quotidien » a diffusé un deuxième enregistrement de Laurent Wauquiez tout aussi sulfureux que le premier, le directeur général de l’EM Lyon accorde une interview à … un blog spécialisé sur l’enseignement supérieur et hébergé par le quotidien Le Monde. Là encore, le choix peut surprendre tant il est de coutume d’aller vers les médias généralistes lors d’une crise publique. C’est l’occasion pour Bernard Belletante de réaffirmer la philosophie globale de l’école qu’il dirige (7) : « Une école de management comme la nôtre doit préparer ses étudiants à rencontrer des personnalités de haut niveau. A être en face d’eux pour les voir autrement. A pouvoir leur adresser la parole et à les contester. Les faire intervenir au sein même de l’école leur apporte une autre vision du monde. Quand nous faisons intervenir le directeur d’une ONG comme le Philippin Antonio Meloto il s’exprime contre un système économique et permet à nos étudiants d’entendre une vision différente. Les futurs responsables que nous formons doivent être confrontés à la diversité des jugements. Et pour cela nous devons les mettre en face de personnalités qu’ils n’ont pas la possibilité de rencontrer habituellement ».

Bernard Belletante enchaîne alors avec deux autres entretiens pour le site Educpro qui fait partie du groupe L’Etudiant et le Figaro Etudiant. Dans ces deux médias pros, il revient sur le déroulement de la crise et la façon dont il a choisi de réagir et en profite au passage pour réaffirmer des points clés intrinsèques à la vision de l’école (8) : « l’EM Lyon est une agora (…) Lorsqu’un intervenant rentre dans une salle de classe à l’EM Lyon, il dispose d’une totale liberté d’expression, avec la possibilité pour les étudiants de débattre et de le contredire. C’est également vrai pour les professeurs de l’école, et je tiens fondamentalement à cette liberté de parole ! ». Et glisse au passage à chaque fois, l’exemple qui fait mouche (9) : « Nous continuerons, ce n’est que du positif pour nos étudiants. Par exemple, je rêve que Jean-Luc Mélenchon vienne également donner des cours à l’EM Lyon ». Quoi de mieux que de lancer une invitation au leader de la France Insoumise qui ne passe pas précisément pour un fan de l’économie de marché pour mieux souligner le souci d’ouverture et d’apolitisme de l’école.

Une sortie de crise en douceur

Autre point à retenir : l’EM s’est volontairement cantonné sur des médias de son secteur. Une option pertinente car au final, il s’agissait en priorité de s’adresser aux acteurs du monde de l’éducation et des étudiants actuels et futurs plutôt que s’éparpiller dans un plan média plus généraliste où la voix de l’école de commerce se serait diluée.

Ce cas peu banal de crise médiatique rappelle enfin des fondamentaux valables en toutes circonstances sous tension : d’abord prendre le pouls de ce qui s’est passé durant et après le cours, ne pas forcément vouloir s’exprimer en premier, s’appuyer d’abord sur son corps interne pour maintenir la cohérence autour des valeurs de l’EM Lyon et le faire ensuite savoir à travers des médias spécialistes du secteur de l’enseignement universitaire et sur son propre compte Twitter. Le séquençage est à cet égard remarquable et a permis une sortie de crise en douceur avec en prime un appel du pied iconoclaste avec l’invitation faite à Jean-Luc Mélenchon !

Sources

– (1) – Romain Herreros – « Pour le président de l’EM Lyon, le cours de Wauquiez s’est transformé en « tribune politique et désespérante » » – Huffington Post – 19 février 2018
– (2) – Marie-Sandrine Sgherri – « Wauquiez à l’EM Lyon : very bad buzz chez les « early makers » – Le Point – 19 février 2018
– (3) – Ibid.
– (4) – Page Facebook d’Anatole Flahault 
– (5) – « Le directeur de l’EM Lyon déplore l’enregistrement des propos de Wauquiez » – L’Express – 19 février 2018
– (6) – Romain Herreros – « Pour le président de l’EM Lyon, le cours de Wauquiez s’est transformé en « tribune politique et désespérante » » – Huffington Post – 19 février 2018
– (7) – Olivier Rollot – « Une école comme EM Lyon doit préparer ses étudiants à rencontrer des personnalités » Blog Il y a une Vie après le BAC – 20 février 2018
– (8) –  Cécile Peltier – « Affaire Wauquiez : Bernard Belletante défend la liberté d’expression au sein d’EM Lyon » – Educpro – 21 février 2018
– (9) – Wally Bordas – « Bernard Belletante : « Je rêve que Mélenchon vienne aussi donner des cours à l’EM Lyon » – Le Figaro Etudiant – 21 février 2018



5 commentaires sur “#ComDeCrise : Comment l’EM Lyon a géré le buzz médiatique de Laurent Wauquiez ?

  1. Jean-Francois CANCEL  - 

    Merci, Olivier, de cet éclairage pertinent (comme très souvent) ; personnellement, je n’avais pas eu le temps d’analyser la posture / réaction de l’EM Lyon ; je la trouve très intelligente mais, de leur part, cela n’est pas surprenant ; le choix de medias de son secteur est très pertinent et leur a sans doute permis de ne pas être amalgamé avec tout ce torrent médiatique auquel on a assisté (encore en ce moment sur Direct 5, à l’heure où j’écris ces lignes…), JF Cancel

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