La démission devient-elle une arme de communication politique ?

De tout temps, les démissions ont rythmé la vie des organigrammes des entreprises et des institutions. Acte à forte teneur émotionnelle, le jet de l’éponge professionnel engendre systématiquement des répercussions tant au sein des équipes que dans l’écosystème externe. Or, depuis un certain temps, ce geste a tendance à devenir un exercice beaucoup moins spontané qu’il n’y paraît. En 15 mois de pouvoir, le gouvernement Macron vient déjà d’en faire trois fois l’expérience avec des départs médiatiquement orchestrés. La gauche n’est pas en reste dans la mise en scène de fracassantes séparations. Faut-il y voir une tendance appelée à se développer ? Retour sur quatre cas emblématiques.

« Un ministre, ça démissionne ou ça ferme sa gueule ». Chacun garde sûrement encore en mémoire la phrase culte de Jean-Pierre Chevènement. En 1983 alors qu’il est ministre de la Recherche et de l’Industrie, il choisit de rendre son tablier pour signifier son désaccord avec la politique impulsée par le gouvernement Fabius. Il n’en dira pas plus mais la posture fait largement jaser chez les commentateurs politiques et médiatiques. Pourtant, depuis 2016, l’acte de démission signifie de moins en moins « fermer sa gueule ». C’est même le contraire qui semble prévaloir à tel point que la démission apparaît désormais comme une stratégie de communication que l’impétrant peaufine à sa façon pour s’assurer un maximum de retentissement.

Certes, des démissions annoncées brutalement et publiquement ont déjà eu lieu. Le Web regorge d’instants filmés où des salariés vident leur sac et quittent leur poste avec perte et fracas. En 2013, Marina Shifrin, alors rédactrice pour le compte de Next Media Animation, une société taïwanaise de contenus vidéos, n’en peut plus de son job peu valorisant. Elle décide alors de faire sa propre vidéo où elle danse dans les bureaux de son entreprise jusque tard dans la nuit tout en faisant défiler un bandeau écrit expliquant les motifs de sa démission. Un véritable carton d’audience puisque son abandon de poste filmé atteint plus de 8 millions de vus sur YouTube !

Christiane Taubira ou la démission en trois temps

Est-ce ce type de bravade qui a progressivement inspiré des dirigeants politiques à mettre en scène leurs divergences et leur départ ? Probablement pas mais toujours est-il que les actes de sédition ressemblent de plus en plus à des plans minutieusement préparés. Un exemple symptomatique est la démission de Christiane Taubira en 2016. L’annonce du départ de la désormais ex-Garde des Sceaux, est certes officialisée par un communiqué de l’Elysée mais pas à n’importe quel moment. Le 27 janvier précisément, jour où commencent les débats à l’Assemblée Nationale sur l’extension de la nationalité pour les terroristes binationaux nés français à laquelle Christiane Taubira s’est publiquement opposée. La convergence des agendas est parfaite. A la différence près que l’ancienne ministre de la Justice ne s’est pas contentée de quitter le navire gouvernemental.

Avant de se fendre d’un tweet dans la foulée du communiqué présidentiel où elle écrit « Parfois résister c’est rester, parfois résister c’est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l’éthique et au droit. ChT », elle avait pavé le chemin de sa démission. Quelques jours auparavant, elle sème en effet des indices laissant penser à un départ lors d’une interview accordée au journaliste Michel Denisot sur Canal +. Dans l’après-midi du jour de la démission dorénavant acquise, Christiane Taubira organise une conférence de presse où elle justifie son choix mais sans répondre à aucune question des médias. Puis, elle quittera son ministère juchée sur un vélo jaune et pistée par les caméras des chaînes d’information en direct ! Une sortie d’artiste qu’elle complète avec la publication d’un livre une semaine plus tard où elle revient sur son opposition farouche à la déchéance de nationalité. Livre qui aurait été écrit et imprimé courant janvier dans le plus grand des secrets. L’impact médiatique aura en tout cas été au rendez-vous.

Général Pierre De Villiers ou la démission cadencée

En juillet 2017, une virulente passe d’armes met face-à-face le président de la République fraîchement élu, Emmanuel Macron au chef d’état-major des armées françaises, le général Pierre de Villiers. Le contentieux porte sur les futures ressources budgétaires allouées aux militaires. Le chef de l’Etat entend geler des dépenses là où le militaire exige une hausse pour maintenir l’efficacité de ses troupes. Le duel d’abord à fleurets mouchetés va rapidement s’envenimer. Lors de son audition par la commission de la Défense, le général cinq étoiles ne mâche pas ses mots pour exprimer sa réprobation après avoir signé en début d’année une tribune où déjà il sonnait le tocsin à l’encontre des candidats à la présidentielle. Mieux, il alimente maintenant le feu en multipliant des offs avec des journalistes tout en sachant pertinemment que ces saillies verbales vont inéluctablement fuiter sur la place publique. Ce qui ne manque pas d’arriver et qui lui vaut un recadrage sévère de la part d’Emmanuel Macron.

Qu’à cela ne tienne. Le galonné dégaine alors un communiqué sans ambages le 19 juillet : « Dans les circonstances actuelles, je considère ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd’hui et demain, et soutenir les ambitions de notre pays. Par conséquent, j’ai pris mes responsabilités en présentant, ce jour, ma démission au Président de la République, qui l’a acceptée ». Le lendemain, il quitte ses bureaux du ministère de la Défense à Balard sous les vivats et les applaudissements de ses subalternes, avec en prime une retransmission instantanée de l’événement sur Facebook Live ! Le tout avant de tirer une dernière cartouche en novembre avec la sortie d’un ouvrage qui revient sur les conditions de sa démission. Ouvrage qui bien entendu engendre une couverture médiatique importante.

Hulot & Collomb ou comment sortir par le haut ?

Alors que la rentrée se profile, c’est au tour de Nicolas Hulot de sortir du bois et annoncer sa démission du gouvernement. La forme est cette fois inédite puisque l’impétrant le fait au cours d’une interview matinale sur France Inter et précise qu’il n’a pas encore informé le président de la République de son choix. En soi, sa démission relevait pourtant de l’Arlésienne depuis plusieurs mois tant les diverses couleuvres écologiques que le ministre de la Transition écologique a dû avaler sur le glyphosate, le nucléaire, les chasseurs, etc, militaient pour dire stop. Néanmoins, Nicolas Hulot veut sortir la tête haute. Larmes aux yeux, il explique aux journalistes médusés qu’il n’a pas les moyens de sa politique et qu’il ne veut plus être une caution écologique. Sauf que là aussi, le plan a les atours de quelque chose de préparé. Deux semaines plus tard, la publication d’un recueil d’entretiens avec l’ex-ministre est annoncée. Recueil qui reprend par ailleurs de larges extraits d’une longue interview accordée en juin à l’hebdomadaire Le 1. Nicolas Hulot réagira toutefois à cette initiative en la qualifiant de « confusion » et de « récupération ». Difficile de croire que tout n’est qu’éruption spontanée.

A peine remis de l’épisode Hulot, le gouvernement Macron se retrouve aux prises avec un deuxième démissionnaire en puissance. Et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb. Lequel plante d’abord une première banderille dans le magazine L’Express le 18 septembre. Il confie au journaliste son souhait de quitter le gouvernement après les élections européennes de mai 2019 pour se présenter l’année suivante aux élections municipales de Lyon. Fatalement, la nouvelle fait grand bruit. D’aucuns y voient un coup de bluff pour regagner du crédit après l’affaire Benalla qui ne l’a pas épargné. Le premier flic de France maintient toutefois la pression en remettant cette fois officiellement sa démission au chef de l’Etat le 1er octobre. Refusée dans un premier temps, celle-ci sera finalement entérinée le 3 octobre. Depuis, Gérard Collomb enchaîne les tournées sur le terrain lyonnais avec dans son sillage la presse locale.

Feu de paille ou tactique durable ?

Ces quatre exemples soulignent indubitablement que la démission n’est plus un acte ultime à un temps mais le déclencheur d’une stratégie de communication pensée au préalable. Avec un objectif invariable en ligne de mire : valoriser l’image du sortant dont le départ est la plupart du temps lié à l’impossibilité de faire entendre sa voix et ses convictions au sein d’un collectif gouvernemental. Une démission est effectivement souvent perçue comme un aveu d’échec avec toutes les connotations négatives qu’elle peut induire pour celui ou celle qui descend à quai. En jouant de l’écho médiatique très vite multiplié par celui des réseaux sociaux, le démissionnaire peut alors espérer inverser l’image pour tenter de faire de cette décision, un choix de courage, de détermination et de fidélité à ses principes.

En revanche, le fait que ces dirigeants abandonniques veuillent dorénavant conférer une amplitude médiatique maximum à leur départ, va devoir être ajouté aux potentiels scénarios de crise. Là où les démissions faisaient auparavant l’objet d’un ou deux jours de couverture média, ces dernières ont nettement tendance à se transformer en feuilletons à rebonds d’autant que livres et interviews ne manquent pas d’essaimer dans la foulée. Même la démission fracassante de Jacques Chirac alors Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing en 1976 n’avait pas suscité autant de ressac médiatique au point d’écorner l’image de ceux qui restent en place. Or, avec les cas Taubira, Villiers, Hulot et Collomb, ce sont les présidences de François Hollande (pour la première) et d’Emmanuel Macron (pour les trois autres) qui se sont retrouvées sur le grill de l’opinion publique et de l’écosystème politico-médiatique. Il est fort à parier que d’autres s’essaieront prochainement au petit jeu de bonneteau démissionnaire pour asseoir sa communication et préserver son image.