Déremboursement de l’homéopathie : la communication comme levier d’influence et de contre-influence

Le président de la République et la ministre de la Santé ont tranché dans la foulée du verdict de la Haute Autorité de Santé rendu le 28 juin. Pour l’instance sanitaire, il n’est pas question de maintenir le remboursement des traitements homéopathiques par la Sécurité Sociale. Aux yeux des experts de la HAS, le bénéfice thérapeutique n’est pas avéré. Cet épisode qui jette une pierre dans les jardins des partisans de la médecine alternative, n’est que le énième d’une guerre de communication déclenchée le 18 mars 2018 avec la publication d’une tribune virulente qualifiant l’homéopathie de « fake med ». Sur les réseaux sociaux et dans les médias, détracteurs et partisans ne cessent de s’écharper. Quels enjeux ? Quelles forces en présence et surtout quelle issue possible à cette polémique bien française ?

Bien qu’il s’agisse d’une vieille pratique thérapeutique issue des travaux du docteur allemand Samuel Hahnemann en 1796 et tout particulièrement prisée depuis des décennies en France, l’homéopathie a toujours suscité de vives controverses médicales dans son sillage. Au départ, cette pratique consister à soigner des symptômes à partir de substances végétales, minérales ou animales qui sont connues pour engendrer les mêmes effets. Autrement dit, on combat le feu par le feu mais à des doses infinitésimales. Les substances actives sont en effet diluées de manière très poussée et en fonction d’un certain nombre de dilutions pour obtenir la dose censée soulager le patient.

Pour nombre de scientifiques, cette médecine alternative relève carrément de l’hérésie ou du charlatanisme au motif qu’aucune étude sérieuse n’a objectivement démontré la supériorité de l’homéopathie face à l’effet placebo. En dépit des critiques à répétition, l’homéopathie a continué son bonhomme de chemin jusqu’à accéder au statut de médicament à la création de la Sécurité Sociale puis pris en charge en 1984 sur décision de la ministre de la santé de l’époque (1). Depuis 2011, le remboursement s’est quelque peu restreint. Il ne comprend plus que 1163 produits éligibles (2) à 30% de remboursement à condition d’avoir une ordonnance médicale. En 2018, la caisse d’assurance-maladie a ainsi pris en charge des traitements homéopathiques prescrits à hauteur de 128,6 millions d’euros (3), une facture en baisse de 2% par rapport à l’année d’avant et qui ne pèse que 0,3% du total des remboursements de la Sécurité Sociale. Pourtant, le camp de la médecine conventionnelle ne désarme pas. Il est revenu à la charge contre l’homéopathie jusqu’à aboutir pour l’instant à l’avis anti-remboursement de la HAS.

Des clivages profonds

En juillet 2015, Christian Boiron, président du laboratoire homéopathique éponyme (par ailleurs, leader mondial du secteur) avait publiquement déclaré à l’intention de ses opposants en blouses blanches (4) : « Il y a un Ku Klux Klan contre l’homéopathie ». A première vue, les propos pourraient sembler excessifs. Pourtant, ils reflètent bien le niveau élevé d’adversité qui règne entre les tenants des médicaments classiques et les hérauts du granule homéopathique. Ces phrases étaient-elles annonciatrices de tumultes futurs ? Toujours est-il que le 18 mars 2018, un collectif de 124 médecins et professions de santé baptisé « No Fake Med » assène un coup de boutoir particulièrement incisif. Dans une tribune publiée dans le Figaro, ils attaquent frontalement la crédibilité et l’efficacité de l’homéopathie (5) : « L’homéopathie, comme les autres pratiques qualifiées de « médecines alternatives », n’est en rien scientifique. Ces pratiques sont basées sur des croyances promettant une guérison miraculeuse et sans risques (…) Les thérapies dites « alternatives » sont inefficaces au-delà de l’effet placebo et n’en sont pas moins dangereuses. Dangereuses, car elles soignent l’inutile en surmédicalisant la population et en donnant l’illusion que toute situation peut se régler avec un « traitement ». Dangereuses, car elles alimentent et s’appuient sur une défiance de fond vis-à-vis de la médecine conventionnelle comme le montrent les polémiques injustifiées sur les vaccins. Dangereuses enfin, car leur usage retarde des diagnostics et des traitements nécessaires avec parfois des conséquences dramatiques, notamment dans la prise en charge de pathologies lourdes comme les cancers ».

Le texte obtient un retentissement énorme, notamment au sein des organismes de santé représentatifs et des pouvoirs publics qui sont par ailleurs vivement interpelés pour que l’homéopathie ne soit plus remboursée, ni reconnue par des diplômes. Médecin généraliste et membre du collectif signataire, Céline Berthié enfonce le clou sur les objectifs visés (6) : « L’étape suivante, pour nous, ce serait qu’on arrête le mélange des genres. On ne veut pas l’interdire, on ne veut pas stigmatiser les gens qui en prennent, mais on souhaite que les médecins choisissent. Soit ils sont médecins, et se basent sur les données acquises de la science, soit ils décident d’être homéopathes. Les patients nous font confiance, nous ne sommes pas là pour glisser nos croyances ». Dans la foulée, l’Ordre des Médecins louvoie mais rappelle quand même que l’homéopathie fait partie des pratiques non éprouvées par la science. De son côté, le ministère de la Santé saisit la HAS pour faire évaluer l’efficacité de l’homéopathie et le bien-fondé de son remboursement. Enfin, la faculté de médecine de Lille décide de suspendre son diplôme d’homéopathie pour l’année universitaire 2018-2019 en attendant l’avis du HAS. Pas de doute ! La tribune des 124 a enfoncé un sacré coin dans le débat.

Boiron mène la contre-offensive

Le texte du collectif No Fake Med fait évidemment hurler dans le camp adverse. Le Syndicat national des médecins homéopathes français (SNMHF), qui regroupe la majorité des 5 000 médecins exerçant l’homéopathie à titre principal réagit vertement. Il dépose des plaintes à l’encontre d’une soixantaine de médecins devant les conseils départementaux de l’ordre où ils exercent. Des figures politiques comme Laurent Wauquiez, Gérard Collomb et Xavier Bertrand apportent leurs soutiens aux industriels de l’homéopathie ainsi qu’aux personnes qui recourent à cette pratique. En parallèle, des facultés de médecine et de pharmacie divergent. Si celle d’Angers décide de mettre un terme à son diplôme universitaire d’homéopathie, d’autres plaident pour le maintien des filières de formation afin de préserver un encadrement académique sérieux.

©-Tim-Douet

Mais c’est bel et bien chez les trois industriels français (Boiron, Lehning et Weleda) que l’émoi est le plus vif. A la pointe du combat médiatique, on trouve le laboratoire Boiron, numéro un incontesté du secteur mais en phase de fragilisation. La totalité de son chiffre d’affaires émane de l’homéopathie et 60% de celui-ci dépend des produits qui bénéficient des 30% de prise en charge de la Sécu (7). Pour complexifier la donne, l’entreprise d’origine lyonnaise voit ses ventes régulièrement s’éroder, y compris en France qui constitue son débouché majeur. Valérie Poinsot, la directrice générale qui remplace Christian Boiron depuis 2019, est excédée (8) : « Nous n’avons jamais vu une attaque aussi violente visant à nous casser aussi rapidement ». Et ne pas hésiter à mettre alors dans la balance les menaces sur l’emploi et de possibles restructurations qu’induit une campagne anti-homéopathie.

Une coalition se forme

Toujours sous la houlette de Boiron, les industriels ainsi que plusieurs organismes professionnels de l’homéopathie lancent alors la riposte. Début avril, une plateforme de pétition en ligne est ouverte. Intitulée « Mon Homéo, Mon Choix », elle lance un appel pour contrer le possible déremboursement qui pourrait résulter de l’enquête de la HAS et in fine, de la décision du Ministère de la Santé de suivre l’avis émis. Outre l’argument des emplois de la filière qui est à nouveau dégainé, le site milite pour la liberté de choix des patients et explique qu’un déremboursement condamnerait les moins argentés à se priver de traitements qui leur conviennent. En parallèle, il propose des vignettes graphiques avec des chiffres clés et des slogans chocs que chaque internaute peut viraliser sur ses réseaux sociaux. L’initiative est également répliquée sur Facebook (6873 abonnés à ce jour), Instagram (1024) et Twitter (312). Des chiffres plutôt chiches mais qui sont compensés par le nombre de signataires sur la plateforme qui s’élève actuellement à plus de 1,2 million. A noter que les deux concurrents de Boiron sont totalement solidaires bien que leurs activités aillent au-delà de l’homéopathie à la différence du leader du secteur. Sur les sites corporate des deux sociétés, les messages de la campagne « Mon Homéo Mon Choix » sont fidèlement relayés.

Au cœur du dispositif de campagne, Boiron fait feu de tout bois et ne néglige aucun canal. En plus de l’axe digital, l’entreprise a mis en place un numéro SMS (32 321) pour ceux qui veulent appuyer l’action en envoyant le mot « homéo ». Des affiches sont distribuées dans le milieu médical et pharmaceutique. Même les influenceuses Instagram sont sollicitées. Plusieurs d’entre elles spécialisées lifestyle s’associent à la campagne en postant des visuels engagés. Enfin, les dirigeants de Boiron multiplient les interviews dans la presse nationale pour dénoncer le procès d’intention fait à leur égard et le coup mortel qu’on veut leur porter comme le déplore Valérie Poinsot (9) : « L’agressivité qu’on subit est impensable. On a connu quelques poussées de fièvre dans notre histoire, mais cela restait correct. Là, c’est menaçant à un point que nous n’avions jamais connu. On martèle contre l’homéopathie des contrevérités. Nous sommes victimes de fake news ».

Le « fake » comme objection des médecins

Fake est justement le mot pivot sur lequel martèle sans compter le collectif No Fake Med et tous ses alliés. Sur les réseaux sociaux, les adhérents sont particulièrement actifs pour démonter l’argumentaire de l’homéopathie. Sur le site Web au graphisme certes moins élégant que celui des adversaires homéopathes, ils compilent nombre de documents et de sources scientifiques établissant que l’homéopathie n’est pas une science médicale. Tout est passé au peigne fin, y compris les facultés de médecine et de pharmacie ! Un « fakemed-O-mètre » classe celles-ci en fonction de leur perméabilité aux fakemedecines. Sur YouTube, deux chaînes médicales drainent une audience importante (Asclépios avec 80 000 abonnés et La Tronche en Biais avec 144 000 abonnés) et étrillent régulièrement l’homéopathie. Le compte Twitter du collectif enregistre lui aussi un nombre non négligeable de près de 9500 abonnés mais aussi et surtout des taux d’engagement qui ne se démentent pas pour contrer les pro-homéopathie.

C’est d’ailleurs sur Twitter que le collectif No Fake Med a choisi de répliquer à la campagne « Mon Homéo Mon Choix » avec un ton décapant et persifleur. Pour marteler l’absence de preuves scientifiques sur les produits homéopathiques, il a alors imaginé un détournement du slogan de ces derniers en lançant un hashtag #MonHariboMonChoix. L’idée ? Montrer que l’homéopathie se résume en fin de compte à autant de grammes de sucres que ceux contenus dans les confiseries de la célèbre marque. Autrement dit, granule ou Dragibus, c’est la même chose. Le tacle est assumé et là encore, fonctionne très bien. Pour s’en convaincre, il suffit de relire le thread des tweets les plus populaires et noter le volume soutenu de partages et de commentaires cinglants où Boiron en prend particulièrement pour son grade.

Match nul ?

Maintenant que l’avis de la HAS a été rendu et entériné par Emmanuel Macron et Agnès buzyn, (tandis que les campagnes de communication continuent à battre leur plein), qui semble  avoir conquis des points précieux dans la bataille d’image et de perception ? Sans trop risquer de se tromper, les détracteurs de l’homéopathie ont acquis une certaine longueur d’avance. Tant en termes d’écho de leurs arguments dans les médias que sur les réseaux sociaux, les critiques portant sur l’aspect scientifique mais aussi sur le non-sens économique sont très présentes comme en atteste cette punchline de François Chast, pharmacien des hôpitaux et président honoraire de l’Académie de pharmacie (10) : « Ça fait cher le kilo de sucre. Un granule d’homéopathie, c’est 50 mg. Il y en a une soixantaine dans un tube, ça fait 1 000 euros le kilo. La création de 2 000 postes d’infirmières correspond à peu près à la somme que l’on dépense pour l’homéopathie. Ces postes seraient probablement beaucoup plus utiles au système de santé et aux Français que le remboursement que ce qui ne sont, au fond, que des granules de sucre ».

Pour autant, les tenants de l’homéopathie ne sont pas « morts » en dépit du déremboursement qui n’arrange pas vraiment leurs affaires. Même si l’impact de leur contre-attaque communicante après la publication de la tribune des 124, enregistre un impact plus mitigé (excepté le 1,2 million de signature collectées sur la plateforme Mon Homéo Mon Choix), ils conservent un atout populaire de taille. Un sondage Odoxa paru en janvier 2019 met en avant que 72% des Français croient dans les bienfaits de l’homéopathie. Ce socle sociétal, la campagne Mon Homéo Mon Choix cherche justement à l’exploiter pour provoquer et réclamerla tenue d’un débat parlementaire. Les troupes digitales seront-elles suffisantes pour inciter Agnès Buzyn à reconsidérer l’approche ? Une chose est en tout cas évidente. La bataille frontale entre sciences et croyances n’est pas prête de s’achever à l’instar des controverses qui règnent sur les vaccins tant les lignes de fracture sont fortes.

Sources

– (1) – Soline Roy – « Déremboursement de l’homéopathie: une polémique déjà ancienne relancée dans Le Figaro » – Le Figaro – 29 juin 2019
– (2) – Oihana Gabriel – « Déremboursement de l’homéopathie: Cinq questions pour tout comprendre au débat » – 20 Minutes – 27 juin 2019
– (3) – « Homéopathie : la Sécu a remboursé 126,8 millions d’euros l’an dernier » – L’Express – 22 mai 2019 –
– (4) – Jean-Yves Nau – « Homéopathie : réémergence de la polémique en France » – Revue Médicale Suisse n°601 – 2018
– (5) – Collectif No Fake Med – « L’appel de 124 professionnels de la santé contre les «médecines alternatives» » – Le Figaro – 18 mars 2019
– (6) – Oihana Gabriel – « Homéopathie : Pourquoi la France est-elle aussi gourmande en granules ? » – 20 Minutes – 27 juin 2019
– (7) – Léa Delpont – « Homéopathie : les laboratoires Boiron en appellent à l’opinion » – Les Echos – 16 mai 2019
– (8) – Ibid.
– (9) – Eric Favereau – « Chez Boiron, le risque du déremboursement sème l’inquiétude » – Libération – 14 mai 2019
– (10) – « Déremboursement de l’homéopathie : « Ça fait cher le kilo de sucre » » – France TV Info – 28 juin 2019



2 commentaires sur “Déremboursement de l’homéopathie : la communication comme levier d’influence et de contre-influence

  1. Movepartners  - 

    « Fake med » c’est un peu lourd à dire sur le plan communicationnel car l’homéopathie soulage des personnes. Et ce chiffre de 72% « des Français croient dans les bienfaits de l’homéopathie » est réel donc il faudra les prendre en considération.

    1. Olivier Cimelière  - 

      L’homéopathie soulage en effet des personnes mais aucune étude scientifique étayée n’est réellement parvenue à prouver et étayer l’action exacte de celle-ci sur une pathologie. Dans beaucoup de cas, c’est l’effet placebo qui joue. Dérembourser n’est pas interdire mais remettre à sa juste place une médecine de confort

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