Communication politique & François de Rugy : Lynchage médiatique ou investigation journalistique aboutie ?

Après moult mises en causes mordantes de Mediapart, la tête du ministre de la Transition écologique a fini par rouler à terre le 16 juillet dernier. L’issue de la démission que François de Rugy a longtemps refusée d’envisager, était devenue inexorable tant les controverses s’abattaient à une cadence de métronome sur le n°2 du gouvernement actuel. Maintenant que le fracas de la polémique largement insufflée par Mediapart est en train de retomber et que la publication de deux rapports d’enquête a souligné des manquements mineurs, n’a-t-on pas assisté à une affaire où information et communication ont largement failli. De ce vaudeville, ne restera qu’une histoire de homards ancrée et de dressing à 17 000 € dans une opinion publique déjà bien mal disposée à l’égard des décideurs politiques. Pour autant, l’exercice journalistique tel que pratiqué par Mediapart y a-t-il vraiment gagné ? Ainsi que la communication de l’ex-ministre ?

Il aura fallu moins d’une semaine à Mediapart pour faire vaciller puis déboulonner le ministre de la Transition écologique. Le premier coup de semonce a retenti le 10 juillet. L’attaque est frontale. Fruit d’une investigation (ou de sources spontanées ?), le site d’information fondé par Edwy Plenel accuse François de Rugy, à l’époque des faits reprochés, président de l’Assemblée nationale, et son épouse Séverine Servat-de Rugy, journaliste et chef des actus au magazine people Gala, d’avoir tenu une dizaine de fastueux dîners à caractère privé dans l’enceinte même de l’hôtel de Lassay et sur les deniers publics de la dite Assemblée. Des noms familiers des soirées mondaines parisiennes commencent à filtrer en même temps que la composition des menus où figuraient de grands crus comme un Mouton-Rothschild 2004 et des mets fins dont les fameux homards qui nourriront à eux seuls la chronique des jours à venir. Attention, feuilleton de l’été (mise à jour le 24/07/2019).

Le feuilletonnage, marque de fabrique de Mediapart

Avec ces premières révélations appuyées par des documents, des témoignages et des photos des agapes, Mediapart met en branle sa technique éditoriale favorite : le feuilletonnage. Dès sa création en 2008, le site d’investigation journalistique a pris le parti de distiller au compte-goutte des éléments de dossiers sulfureux mettant en cause des figures politiques. Au rang des faits d’armes éditoriaux les plus connus, on peut citer l’affaire Bettencourt où Nicolas Sarkozy, président de la République, et Éric Woerth, ministre du Budget à l’époque, ont été copieusement bousculés. Mais c’est sans doute en décembre 2012 avec l’affaire Cahuzac que Mediapart a porté au plus haut le feuilletonnage en fer de lance. Ce dernier accuse le ministre du Budget d’avoir des comptes bancaires non déclarés en Suisse et à Singapour. Face aux dénégations répétitives de l’impétrant, Mediapart lâche de nouvelles pièces compromettantes à intervalles réguliers. Des pièces additionnelles qui détricotent la communication du ministre et instillent de plus en plus le doute. La pression ne cesse alors de monter. Le 19 mars 2013, Jérôme Cahuzac quitte le gouvernement avec l’ouverture d’une information judiciaire. Trois semaines plus tard, il flanche et reconnaît les faits que lui impute le site d’Edwy Plenel.

C’est exactement la même approche éditoriale qui a prévalu avec les révélations autour de François de Rugy. Le site dévoile d’abord de luxueux dîners qui n’auraient pas de caractère officiel, ni professionnel avec force photos de plats raffinés et de vins classés. Le premier bâton de dynamite explose et l’intégralité de la classe politico-médiatique et des réseaux sociaux s’emparent de l’affaire. La cacophonie outrée est enclenchée. C’est à ce moment précis que Mediapart envoie la deuxième salve : le couple de Rugy aurait fait rénover à grands frais ses appartements au ministère de la Transition écologique, avec au passage un mystérieux séchoir à cheveux plaqué or qui aurait été acquis sur les fonds publics. A peine le temps d’encaisser le coup qu’une troisième publication sort. Cette fois, il s’agit d’un appartement que le ministre louerait à Nantes à un tarif préférentiel qui interpelle. Enfin, le coup de grâce est asséné successivement avec l’apparition d’un lobbyiste réputé très proche des industriels de l’énergie dans des dîners officieux, les voyages à vide du chauffeur du ministre entre Paris et Nantes au lieu de recourir à une prestation locale et enfin l’utilisation de son indemnité parlementaire pour régler ses cotisations au parti d’EELV. Malgré le soutien assumé du président de la République, le soldat de Rugy est plombé par le calendrier impitoyable des révélations de Mediapart. Le 16 juillet, il dépose les armes avec un communiqué de démission envoyé à l’AFP et publié sur sa page Facebook. Mediapart compte une tête ministérielle de plus à son tableau de chasse.

Une communication inaudible et amateuriste

A la différence d’un Jérôme Cahuzac qui se drapait la plupart du temps dans un silence résolu ou bien menaçait de poursuites en justice tous ceux qui osaient émettre des doutes et des soupçons à son égard, François de Rugy a très vite entamé un marathon médiatique (et sur sa page Facebook) pour tenter de contrer et de déminer les dossiers déterrés par Mediapart tout en laissant fortement entendre qu’il n’est pas question de démissionner de son maroquin de ministre. Dès la première attaque au sujet des dîners truffés de homards et de personnalités, François de Rugy s’emmêle pourtant les pinceaux dans les grandes largeurs. Sans doute par acculé par la pression instaurée par Mediapart, il essaie d’expliquer que les invités sont issus de la société civile pour l’aider à nourrir sa propre vision de l’action publique. Problème : la composition des tables ne tarde pas à fuiter et montre que le casting provient avant tout du carnet d’adresses « people » de son épouse où l’on retrouve des gens (1) « de la communication, du journalisme, des réalisateurs, des producteurs, des gens de la finance, des actrices et des écrivains ». Quant aux homards servis à table, le ministre invoque n’en avoir pas mangé du fait d’une « intolérance aux crustacés et aux fruits de mer ». Et une vieille photo de remonter aussitôt du passé où l’on voit le supposé allergique savourer une araignée de mer. Avec de telles déclarations, François de Rugy ne fait alors qu’accréditer la thèse adverse qui veut qu’il ait triché et qu’il dissimule.

Cette rhétorique communicante mal engagée va se poursuivre avec les révélations suivantes. Le ministre de la Transition écologique a beau avoir le courage (ou l’aveuglement ?) de continuer à monter au créneau et de ferrailler contre tout ce que Mediapart lui objecte, c’est peine perdue. Ces explications sont soit trop techniques pour être vraiment comprises (notamment sur la rénovation des appartements du ministère), soit trop vaporeuses pour être jugées crédibles par les médias et l’opinion publique. Résultat : le tintamarre médiatique est à son climax face à un personnage incriminé qui fluctue et semble toujours être à contre-temps de la situation. Pas la meilleure posture en effet pour espérer ensuite dérouler un plaidoyer offensif et convaincant qui puisse atténuer l’onde de choc provoquée par Mediapart.

D’autant plus qu’il procède au passage au licenciement déstabilisant de Nicole Klein, sa directrice de cabinet et qu’il ose établir une comparaison plutôt excessive entre son cas personnel et l’affaire Bérégovoy où la presse avait tapé dur envers le Premier ministre. Sans parler de l’opération « transparence » menée par son épouse qui fait visiter ses appartements à une journaliste du Point sans obtenir le moindre impact. Et pour cause ! Dans un contexte sociétal où les dirigeants politiques sont accusés de tous les maux (malheureusement à raison dans de nombreux cas), François de Rugy est passé à la trappe. Une autre communication était-elle pour autant possible ? Sans doute oui en partie comme en démissionnant d’emblée face aux mises en cause de Mediapart pour couper l’herbe sous le pied et en engageant une procédure judiciaire (engagée depuis mais à contre-temps) dans la foulée comme d’autres l’ont fait dans le passé. Cela aurait eu l’avantage de desserrer quelque peu l’étau médiatique.

Au lieu de cela, François de Rugy entend désormais faire rendre gorge aux journalistes de Mediapart. Durant son plaidoyer au journal de 20 heures de France 2 le 23 juillet, il attaque bille en tête avec une déclaration qui fleure bon la punchline préparée : « Je me présente à vous en homme blanchi, en honnête homme ». Ce propos induit une lecture très différente des deux rapports établis à son encontre. Or, même si l’impétrant s’estime mis hors de cause, certaines commentaires issus des rapports pointent tout de même des écarts comme le dressing au coût excessif de 17 000 euros ou l’organisation de trois dîners à caractère familial et amical. Dès lors, comment espérer regagner en crédibilité en s’exonérant de faits constatés  d’autant que l’ex-ministre admet qu’il va rembourser les trois dîners? Il en va de même pour la contre-attaque de François de Rugy au sujet de l’utilisation impropre de son compte bancaire IRFM (indemnité représentative de frais de mandats). Au Canard Enchaîné, il confie le 24 juillet qu’il s’agit « d’une avance de trésorerie que j’ai rapidement remboursée » (2). Alors pourquoi n’avoir pas d’emblée rectifié lors des premières attaques de Mediapart ? S’adressant toujours à l’hebdomadaire satirique, il se justifie ainsi (3) : « si j’avais eu accès immédiatement à mes relevés bancaires – ce qui était impossible – je n’aurais pas démissionné« . Un argument ubuesque à l’heure où consulter ses comptes par Internet est d’une simplicité enfantine.

Deux poids, deux mesures ?

Alors que le vacarme médiatique est en train de retomber quelque peu depuis que François de Rugy a rendu les clés de son ministère, de nouvelles révélations jettent le trouble, on peut par ailleurs s’interroger sur l’acharnement à charge inflexible dont Mediapart n’a pas manqué de faire preuve pour obtenir à tout prix la tête du ministère de la Transition écologique. Même s’il faut admettre qu’il existe des manquements çà et là à l’encontre de François de Rugy, était-ce pour autant acceptable d’engager une telle blitkrieg éditoriale pour Mediapart alors que les faits reprochés sont tout de même très loin des errements inacceptables d’un Jérôme Cahuzac, fraudeur patenté.

C’est là où le travail journalistique de Mediapart pose question. Le feuilletonnage pratiqué devient en l’espèce une sorte de goutte-à-goutte vers la phase terminale médiatique. Plutôt que publier un gros dossier étayé avec de multiples angles au regard des éléments trouvés, Mediapart sème volontairement et au fur et à mesure des petits cailloux qui n’ont qu’une visée : déstabiliser le camp adverse. Techniquement, c’est effectivement réussi tant François de Rugy n’a cessé de pêcher avec une communication balbutiante. Mais peut-on encore parler de journalisme avec ce procédé quelque peu « borderline ». Co-responsable du pôle enquêtes à Mediapart, Michael Hajdenberg ne le pense pas (4) : « Je ne crois pas que ce soit de l’acharnement de continuer à documenter ce qu’il a pu faire par le passé ». Dont acte !

Dans ce cas, pourquoi Mediapart ne déploie-t-il pas autant de pugnacité sur d’autres cas récents de politiques un peu lestes avec les règlements et les usages ? Des cas totalement comparables à celui de François de Rugy comme par exemple Sophia Chikirou, ancienne conseillère en communication de Jean-Luc Mélenchon (laquelle occupe un deux-pièces à Paris pour un loyer inférieur au prix du marché) ou encore Bruno Retailleau, sénateur LR (lequel avait utilisé son indemnité de représentation de frais de mandat pour financer la campagne de Nicolas Sarkozy). Le marigot politique français regorge de petits arrangements (ce qui ne les rend pas acceptable pour autant !). Toutefois, on note une propension croissante de Mediapart à choisir ses cibles, surtout si elles appartiennent à l’écosystème du pouvoir.

Autant l’éditorialiste exigeant récemment d’un journaliste de Mediapart qu’il révèle ses sources sur le scandale de Rugy est un réflexe déplacé et non avenu, autant il est légitime d’interpeler les journalistes de Mediapart. Non pas sur la qualité de leurs enquêtes (pour lesquelles très peu de procès ont été perdus) mais sur les priorités données dans les révélations opérées. L’affaire de Rugy n’est quand même pas le scoop du siècle. Que celui-ci soit rendu public est normal. Qu’il soit monté en épingle au regard des points litigieux soulevés laisse dubitatif sur certaines intentions éditoriales du site fondé par Edwy Plenel. L’air du temps est déjà suffisamment hystérisé pour plutôt se consacrer aux vrais gros scandales. Fraude fiscale, trafic d’influence, corruption par exemple ! Quant à François de Rugy, il serait plutôt avisé de cesser le combat contre Mediapart. En s’obstinant, il ne fait que renforcer la position de Mediapart qui n’a pas manqué d’ajouter de nouveaux documents sur son site le 23 juillet au soir arguant que la majorité des dîners n’était pas professionnelle. La communication, c’est aussi savoir baisser pavillon lorsque la situation le requiert.

Sources

– (1) – « Dîners fastueux, travaux, sèche-cheveux plaqué or… La longue liste de ce qui est reproché à Rugy » – L’Obs – 12 juillet 2019
– (2) – M. PF – « François de Rugy, l’homme qui démissione plus vite que son ombre » – Le Canard Enchaîné – 24 juillet 2019
– (3) – Ibid.
– (4) – Interview vidéo de Loopsider – 18 juillet 2019



4 commentaires sur “Communication politique & François de Rugy : Lynchage médiatique ou investigation journalistique aboutie ?

  1. Cécile Beaudoin  - 

    Faire tomber un ministre pour un journaliste n’est pas nouveau… déjà Maupassant décrit dans Bel-Ami, les manœuvres de Georges Duroy journaliste de La Vie Française pour faire tomber le ministre Laroche-Mathieu… et s’enrichir au passage, le tout au sein d’une même société mêlant artistes, journalistes, communicants et femmes d’influence … rien de neuf sous le ciel de Paris!

  2. écolosemblant88  - 

    Les températures atteignent des pics inédits du fait du réchauffement & du dérèglement climatiques.Au cours des prochaines décennies les pics de chaleur devraient se multiplier et atteindre des sommets inégalés avoisinant les 50°c.Il est évident que ces vagues de chaleur répétées auront des impacts négatifs sur les organismes humains notamment les + fragiles.L’espérance de vie des êtres humains en sera donc affectée.Qu’ont fait les dirigeants français au cours des dernières années pour faire face à cette crise climatique ?Ils se sont souvent évertués à faire croire qu’ils faisaient quelque chose pour enrayer la crise climatique.En fait,tels des aristocrates d’ancien régime,avec l’argent public,ils se sont servi de généreux salaires,ils n’ont pas lésiné sur les dîners somptueux et ont fait preuve d’une étonnante largesse pour réaliser des travaux dispendieux destinés à améliorer le confort de leurs luxueux appartements de fonction.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour
      Je ne vois pas très bien le lien entre mon billet et votre commentaire sur le réchauffement climatique. Hormis le fait que François de Rugy a été ministre de la Transition écologique. Mais ce n’est pas son action en tant que ministre qui est traitée mais sa stratégie de communication suite aux révélations … Un p’tit coup de chaud peut être ?

Les commentaires sont clos.