Greta Thunberg : Peut-on (ou pas) parler d’artefact de communication ?

Elle est l’idole des 16-20 ans qui veulent sauver la planète de son sombre destin écologique. Elle a été élue parmi les 100 personnes de 2019 les plus influentes au monde par le renommé magazine Time. Depuis août 2018 et sa grève de l’école pour protester contre la destruction des ressources naturelles, Greta Thunberg enchaîne à une cadence d’enfer conférences, interviews et rencontres avec les grands de ce monde qu’elle fustige à longueur de temps. Objectif : les pousser à enfin passer à l’action concrète et rapide plutôt qu’aux bonnes intentions devant l’urgence climatique qui risque de détruire la Terre d’ici quelques décennies. Son message d’alerte à la limite de la panique est martelé et répercuté à travers les médias et les réseaux sociaux. Avec tellement d’impact que l’adolescente de 16 ans détrône les experts de l’environnement avec sa communication « coup de poing » huilée. Tellement huilée qu’elle irrite quantité de détracteurs et suscite des interrogations. Manipulation ou démarche authentique ?

Le moins que l’on puisse dire, est que Greta Thunberg a réussi le tour de force de placer en moins d’un an l’urgence climatique à l’agenda prioritaire de tous les débats. Son constat alarmiste n’est pourtant pas si éloigné de la célèbre formule que Jacques Chirac, président de la République, avait prononcée en 2002 au 4ème sommet de la Terre en Afrique du Sud : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Dans son manifeste publié en avril 2019, la jeune fille écrit ces mots à l’écho similaire : « Si votre maison est en feu, vous sortez en courant et vous vous assurez que tout le monde soit dehors pendant que vous appelez les pompiers. Cela exige un certain niveau de panique ». Les images sont les mêmes mais la voix d’une jeune fille déterminée porte plus. Pourquoi et comment ?

Une « good story » à la suédoise

Greta, c’est d’abord une histoire qui touche et interpelle. Une « good story » comme diraient volontiers les directeurs de campagnes et les spin doctors aux Etats-Unis, qui permet de propulser sur la scène politique et médiatique, une jeune Suédoise aux nattes sagement tressées qui ne sont pas sans rappeler les couettes de l’héroïne de littérature pour enfants Fifi Brindacier créée en 1945 par la romancière suédoise, Astrid Lindgren. Or, la comparaison ne relève pas simplement d’une certaine gémellité physique. Celle qui s’appelle en version originale, Pippi Långstrump, est une véritable icône nationale au pays d’Ikea, d’Abba et de Zlatan. Une icône qui incarne entre autres une liberté et une indépendance farouches qui entendent titiller les rapports de pouvoir entre adultes et enfants mais aussi les stéréotypes sexistes. Ecrit initialement pour la fille de l’auteure atteinte d’une pneumonie, l’ouvrage fait un carton auprès des enfants au point d’être traduit dans 75 langues mais aussi des polémiques chez nombre d’adultes qui jugent qu’un tel personnage destiné aux enfants se devrait d’être sage et moins hors-norme que ne l’est Fifi Brindacier.

Alors, toute ressemblance ne serait-elle que fortuite ? Il est en tout cas assez frappant de constater que le parcours de Greta Thunberg emprunte beaucoup à l’emblématique et engagée héroïne populaire. L’historiographie officielle de la jeune égérie date la prise de conscience environnementale à l’âge de 8 ans (1). C’est à l’école qu’elle entend parler du changement climatique sur fond de réchauffement de la planète. Là où d’autres petites filles sont encore dans les jeux d’enfance, Greta se plonge dans les lectures assidues pour les huit années qui vont suivre. Elle va même jusqu’à dire que le syndrome d’Asperger dont elle est atteinte, est en fin de compte un « cadeau » qui lui permet de rester concentrée sur ses recherches. A 12 ans, elle décide d’arrêter de manger de la viande et d’acheter des produits futiles. Au passage, elle convertit ses parents à la cause.

A 16 ans, elle bannit l’avion pour ses voyages et passe à l’acte à tel point qu’elle se coltinera 32 heures de train (2) pour se rendre au Forum économique mondial de Davos en janvier 2019 et y admonester sans gants les grands dirigeants de ce monde (3) : « Je veux que vous paniquiez. Je veux que vous agissiez comme si vous étiez en crise. Je veux que vous agissiez comme si notre maison était en feu. Parce qu’elle l’est ». Quelques mois auparavant, elle avait fait l’école buissonnière pour manifester chaque jour devant le Parlement suédois avec une pancarte au slogan devenu célèbre : « grève de l’école pour le climat » (Skolstrejk för klimatet en suédois). Tout le storytelling de Greta Thunberg tient en ces étapes clés pour s’imposer comme figure de proue de la lutte contre le changement climatique.

Un heureux timing

En soi, le changement climatique n’est pas un sujet véritablement nouveau. On ne compte plus les milliers de rapports scientifiques établis depuis les années 70 qui tiraient déjà la sonnette d’alarme. Malgré une couverture médiatique de plus en plus abondante et l’intensification des COP nées à la suite du sommet de la Terre à Rio en 1992, l’urgence climatique a péniblement progressé dans les esprits des dirigeants politiques et économiques mais aussi au sein des populations. Pire, des controverses virulentes ont émaillé le sujet avec l’apparition des « climato-sceptiques » jamais en reste pour démonter la thèse du bouleversement du climat et le réduire à l’état de faribole.

Ce n’est que tout récemment qu’une large prise de conscience s’est opérée (particulièrement chez les plus jeunes) à mesure que les ouragans, les canicules et les montées des eaux gagnent en intensité et en fréquence. Chacun peut désormais toucher du doigt la concrétude du changement climatique. Or, c’est précisément à ce moment que Greta Thunberg fait irruption sur la scène écologique. Même si les politiciens suédois la snobent dans un premier temps, elle rallie très vite à elle les jeunes du pays puis ceux du monde entier.

Un « astucieux » marketing de la peur

Tout le corpus argumentaire de Greta Thunberg est articulé autour de l’urgence, de l’inaction des décideurs en place pour une transition écologique et de la peur de l’avenir pour les plus jeunes générations et celles à venir. Avec 2050 comme ligne d’horizon où tout pourrait basculer dramatiquement si rien n’est concrètement et rapidement enclenché pour inverser le processus. Ce triptyque simple et immédiatement compréhensible se retrouve par exemple dans la mordante déclaration faite par la jeune militante lors de la COP 24 en décembre 2018 à Katowice en Pologne (4) : « En 2078, je célébrerai mon 75e anniversaire, et si j’ai des enfants, ils fêteront peut-être ce jour avec moi. Peut-être qu’ils me parleront de vous, qu’ils me demanderont pourquoi vous n’avez rien fait quand il était encore possible d’agir ».

Des déclarations cogneuses qu’elle multiplie à l’envi durant ses prises de parole publiques et qui sont même déclinées en posters et en vignettes digitales pour être propagées partout sur les réseaux sociaux comme dans les écoles. Son discours aux accents catastrophistes est de surcroît rehaussé et incarné par une posture physique froide. Très rares sont les portraits où la jeune fille sourit vraiment et fait preuve d’empathie. Au contraire, elle cultive une sévérité du regard et garde les mâchoires serrées comme pour appuyer sa détermination à faire aboutir son combat.

Greta, pas si « clean » qu’elle n’y paraît ?

Face à une attitude aussi clivante et un discours basique mais percutant, Greta Thunberg n’a évidement guère tardé à engendrer quantité de détracteurs. D’aucuns y voient une jeune personne « instrumentalisée par les ayatollahs écolocatastrophistes qui veulent imposer aux jeunes une réduction massive de leurs libertés » comme l’écrit de manière cinglante, le Dr Laurent Alexandre. De son côté, le romancier et essayiste Pascal Bruckner dénonce ce qu’il qualifie (6) de « dangereuse propagande de l’infantilisme climatique ». D’autres la soupçonnent d’être au contraire le bras armé caché du capitalisme vert comme s’en indique Isabelle Attard, ex-députée écologiste et se définissant comme une « écoanarchiste » (sic). Bien qu’elle partage les préoccupations de la jeune activiste, elle se désole de la manipulation dont elle est l’objet à ses yeux (7) : « Ceux que dénoncent Greta, ce sont aussi ceux qui l’embauchent. Je pense qu’il ne faut pas être dupe du rôle de certains adultes autour d’elle, spin doctor, mentor, spécialistes du greenwashing, de la croissance verte et du capitalisme. Pour lutter efficacement, ne pas être dupe est une nécessité ». Et la récente venue de Greta Thunberg à l’Assemblée nationale a de nouveau provoqué de vives réactions (pour des raisons différentes) chez les ultras de la droite et de la gauche dures.

Devant cette levée de boucliers, Greta Thunberg est-elle donc un pantin « programmé pour transformer la jeune Suédoise en héroïne internationale » (8) comme l’écrit Isabelle Attard ? La pancarte peinte à la main de Greta a-t-elle été le seul déclencheur ou y a-t-il un dispositif marketing plus élaboré derrière son ascension médiatique fulgurante ? C’est le journaliste d’investigation suédois Andreas Henriksson qui a été le premier à émettre des doutes en s’intéressant à un personnage qui gravite dans l’écosystème de Greta Thunberg depuis le début. Celui-ci s’appelle Ingmar Rentzhog. Expert en relations publiques et en communication financière en Suède, il est président d’un think tank appelé Global Utmaning qui se consacre aux questions de développement durable. Mais ce n’est pas la seule corde à son arc. Il est aussi le fondateur d’une start-up baptisée We don’t have time qui consiste en un réseau social impliqué dans la lutte contre le réchauffement climatique. Or, le journaliste suédois a noté des concordances de temps entre Ingmar Rentzhog et Greta Thunberg lorsque cette dernière a lancée sa grève le 20 août 2018 devant le Parlement suédois. Le même jour, le start-upper poste activement des photos (qu’il a de plus personnellement prises) de Greta et sa pancarte sur Facebook et Instagram dont les grands quotidiens suédois ne tardent pas à se faire l’écho.

Greta Great Again ?

Alors, opération de relations publiques « borderline » ou pas ? Toujours est-il que le journal Svenska Dagbladet révèle en février 2019 que l’entrepreneur a utilisé le nom et l’image de la jeune militante dans le cadre d’une levée de fonds de 10 millions de couronnes suédoises (environ 1 million d’euros) pour … sa start-up ! Greta Thunberg avait aussitôt publié un long post sur Facebook pour réaffirmer qu’elle agissait en toute indépendance et qu’elle n’acceptait pas d’argent (9) : « Beaucoup de gens aiment répandre des rumeurs disant que j’ai des gens « derrière moi » ou que je suis « payée » ou « utilisée » pour faire ce que je fais. Mais il n’y a personne « derrière » moi, sauf moi-même ». De même sur les liens exacts entretenus avec Ingmar Rentzhog, elle précise (10) : « Il m’a parlé et a pris des photos, qu’il a affichées sur Facebook. C’était la première fois que je le rencontrais et que je lui parlais ». De côté de l’entreprise, un communiqué a été également diffusé où la start-up (11) « rejette les accusations d’exploitation de Greta Thunberg mais s’excuse pour un problème de communication ». Problème dû au fait que les parents (très connus par ailleurs en Suède) n’avaient pas été prévenus au préalable. Tout en ajoutant qu’entre eux, il n’y a « pas de collaboration formelle » (12). En l’état actuel, difficile de savoir s’il y a collusion effective ou pas.

Artefact de communication ou pas, une chose est dorénavant acquise : Greta Thunberg s’est durablement implantée dans le débat autour du changement climatique. A tel point qu’on parle déjà abondamment de sa présence (en prenant un bateau à voile ?) au Sommet des Nations Unies à New York en septembre et à la COP 25 au Chili en novembre. Avec une communauté digitale plutôt conséquente et active : 758 000 abonnés sur Twitter, 987 000 sur Facebook et 2,2 millions sur Instagram. Et des détracteurs qui, mine de rien, amplifient son message lorsqu’ils la critiquent (souvent sans ménagement). Professeur à l’Université Paris 2-Panthéon-Assas et spécialiste de la communication politique, Arnaud Mercier constate que Greta Thunberg impacte fortement (13) : « La symbolisation autour de cette jeune fille fonctionne des deux côtés. Il y a celui des défenseurs de l’environnement qui font d’elle une icône pour la planète. Et en réaction, il y a celui des autres chez qui elle suscite des crispations et une symbolisation négative ».

La jeune militante a véritablement opéré un tour de force. En quelques mois, le sujet du changement climatique s’est fortement imposé partout. En revanche, il serait souhaitable que l’action de Greta Thunberg ne se limite pas à des incantations et des objurgations à l’émotion parfois trop excessive. Ce n’est pas celle-ci qui malheureusement fera s’activer les décideurs de la planète pour résoudre cet impératif problème du climat. C’est là la limite d’une stratégie de communication qui se cantonne au buzz et aux émotions et qui ne cherche pas à susciter des coalitions plus vastes et plus influentes.

Sources

– (1) – Greta Thunberg – « I’m striking from school to protest inaction on climate change – you should too » – The Guardian – 26 novembre 2018
– (2) – Axel Leclerc – « Greta Thunberg à Davos : après 32h de train, elle bouscule les puissants » – Positivr – 24 janvier 2019
– (3) – « De la COP 24 à Davos : Greta Thunberg, la militante écolo qui ne mâche pas ses mots » – Francetvinfo.fr – 23 juillet 2019
– (4) – Mooréa Lahalle – « Greta Thunberg, 16 ans, l’activiste écolo qui inspire la jeunesse du monde entier » – Madame Figaro – 23 juillet 2019
– (5) – Laurent Alexandre – « Greta Thunberg, le coup marketing de la décennie » – L’Express – 3 avril 2019
– (6) – Pascal Bruckner – « Greta Thunberg ou la dangereuse propagande de l’infantilisme climatique » – Figaro Vox – 9 avril 2019
– (7) – Jacques Pezet – « La militante écolo Greta Thunberg récupérée par un pro du greenwashing » – Libération – 8 mars 2019
– (8) – Isabelle Attard – « Le capitalisme vert utilise Greta Thunberg » – Reporterre – 9 février 2019
– (9) – Jacques Pezet – « La militante écolo Greta Thunberg récupérée par un pro du greenwashing » – Libération – 8 mars 2019 (10) – Camille Adaoust – « Trop jeune, manipulée, payée… Nous avons passé au crible les critiques faites à Greta Thunberg » – Francetvinfo.fr – 23 juillet 2019
– (11) – Jacques Pezet – « La militante écolo Greta Thunberg récupérée par un pro du greenwashing » – Libération – 8 mars 2019
– (12) – Ibid.
– (13) – Paul Véronique – « Greta Thunberg à l’Assemblée : pourquoi tant de haine ? » – L’Express – 22 juillet 2019



2 commentaires sur “Greta Thunberg : Peut-on (ou pas) parler d’artefact de communication ?

  1. Bonneville  - 

    Remarque préliminaire : pourquoi cet article n’est pas signé? La liberté d’expression existe encore et elle entraîne à mon avis la responsabilité de celui qui s’exprime . D’autant plus que l’auteur se cantonne dans la neutralité informative . Un fait est certain Greta T. a placé la question du réchauffement climatique et de la catastrophe qui se profile derrière sur le devant de la scène .Nul ne peut désormais ignorer le problème que l’on soit pour ou contre les thèses soutenues . « ce n’est pas celle-ci ( l’action deG.T.) qui malheureusement fera s’activer les décideurs de la planète  » – qu’en savez-vous ? et les millions d’adolescents et d’enfants qui vont enfin lever le nez de leur smartphone et se passionner pour LA cause ? ils n’ont pas (encore) les inhibitions de la plupart des adultes et peuvent se lancer dans l’action . Je l’ai déjà dit ,écrit , et je le répète en attaquant Greta (ce qui est mesquin de la part des adultes ; voir le pamphlet de Michel Onfray : Greta la science ) , on ne veut pas traiter la question réellement importante : que doit-on faire tout de suite pour éviter la catastrophe ? car je ne peux pas croire qu’après avoir entendu tant de scientifiques éminents dans diverses disciplines tirer la sonnette d’alarme ,sauf aveuglement religieux , on doute encore du réchauffement climatique , de l’augmentation du pourcentage des gaz à effet de serre ,et de toutes les répercussions qui s’enchaînent sur les écosystèmes.

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