Réputation & Empreinte digitale : Ce que nous révèle la nomination de Laurent Pietraszewski

A peine nommé, déjà scanné ! C’est une hallucinante résurgence de traces digitales qui a eu lieu le 18 décembre sitôt faite l’annonce du remplacement de Jean-Paul Delevoye par Laurent Pietraszewski au poste de haut-commissaire à la réforme des retraites. En l’espace de quelques heures, le profil digital du nouveau nommé a été épluché de long en large par les internautes et par les médias qui en ont repris la substance. Quels enseignements retenir de cet épisode en matière de gestion de la réputation d’une personnalité publique devenue plus exposée du fait de ces nouvelles fonctions ?

Si l’opinion publique et la presse auront probablement encore quelques difficultés à mémoriser l’orthographe du patronyme du successeur de Jean-Paul Delevoye, il est en revanche des informations qui ont déjà infusé et imprimé sur les réseaux sociaux et dans les médias. Nombreux sont celles et ceux qui se sont rués sur Internet pour en savoir plus que l’annonce et la biographie officielles présentées par le gouvernement. Dans ce contexte, Google est immédiatement le premier réflexe. Or, un coup d’œil aux suggestions automatiques du moteur de recherche en dit déjà assez long sur les intentions et les motivations des requêtes. Pêle-mêle, on trouve les associations suivantes avec le nom de Pietraszewski : « député », « Auchan », « origine », « justice », « Pologne », « HATVP », « âge », « parents » et « femme ».

Première source d’information à émerger tout naturellement : le site Web de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) qui n’aura sans doute jamais autant connu de notoriété soudaine que ces dernières semaines. Sur ce site, il est possible en effet de consulter les fiches individuelles de tout élu politique qui doit consigner (et mettre à jour) sa déclaration d’intérêt et de patrimoine. La mèche ne tarde guère à être allumée. Au micro de la matinale d’Europe 1, l’ancien député socialiste et spécialiste des finances publiques, René Dosière, commente la fiche de Laurent Pietraszewski qu’il a lui-même consultée (1) : « Elle n’est pas claire à 100%. Il y a peu de renseignements sur les activités qu’il a pu exercer durant les cinq années précédant son élection comme député » avant d’ajouter : « Je pense que sa déclaration mériterait d’être un peu plus précise. Il va d’ailleurs être amené à en faire une en tant que ministre ». Si tant est qu’il fallait pareille déclaration pour déclencher la fouille digitale, celle-ci s’engage de toute manière illico.

Marqué au fer rouge de Twitter

En l’espace de quelques heures, le portrait numérique de Laurent Pietraszewski est brossé de façon évidemment partiale et partielle. Deux marqueurs s’imposent d’emblée. Ils proviennent de son long passé professionnel comme cadre aux ressources humaines de l’enseigne de distribution Auchan. C’est d’abord la somme de 71872 euros versée par l’enseigne nordiste en septembre 2019 et mentionnée sur la déclaration d’intérêt qui fait tiquer. Tout ce que compte le gouvernement d’opposants s’empare derechef de l’information. Celle-ci est alors triturée dans tous les sens avec force conjectures et même accusations de pots-de-vin pour les plus extrêmes.

Du côté du Rassemblement national et de la France Insoumise, c’est un carrousel de tweets déchaînés et scandalisés qui sont rapidement viralisés par des comptes estampillés Gilets Jaunes, anti-Macron, etc. Auchan devient alors « tendance du moment » sur Twitter avec 18 800 tweets sur le sujet. Le grand complot entre le gouvernement et une multinationale bat son plein quand à 12h00, l’explication tombe enfin. La dite somme correspond aux indemnités de licenciement économique qu’Auchan devait payer à Laurent Pietraszewski dans le cadre d’un refus de transfert de poste. Pas assez pour calmer les spéculations des plus excités. Le flot des tweets se poursuit

Dans le même temps, un article du quotidien L’Humanité en date d’août 2017 refait « opportunément » surface. Celui-ci relate un épisode de 2002 où jeune responsable RH dans un magasin Auchan de Béthune, Laurent Pietraszewski met à pied à titre conservatoire une employée du rayon boulangerie, qui est aussi déléguée CFDT. Motif : une erreur de caisse de 85 centimes d’erreur. La salariée sera finalement réintégrée car la faute ne lui incombait pas mais c’est assez pour que les twittos s’emparent goulument de l’affaire et la fassent circuler avec l’ancien article du journal communiste comme preuve à l’appui. Objectif ? Affubler le nouveau haut-commissaire d’une étiquette antisociale et démontrer ainsi que le projet de réforme des retraites est un attentat pour les droits sociaux des travailleurs et conduit de surcroît par un casseur social.

Que faire désormais ?

Le pire dans cette brève mais intense tempête numérique est qu’un grand nombre de médias a embrayé à la vitesse virale de Twitter. Dès que les premiers tweets cinglants ont été décochés, ont vite fleuri quantités d’articles plus ou moins pondérés reprenant l’histoire des 71782 € et celle de la mise à pied d’une salariée, le tout sur toile de fond siglée Auchan, la grosse vilaine entreprise. Il n’en fallait pas plus pour enfoncer le clou du canardage en règle.

La mauvaise nouvelle est que chaque personne appelée à un moment donné de sa carrière à prendre plus de surface médiatique, est dorénavant susceptible de faire l’objet d’un passage au peigne fin de ce qu’il a fait, écrit, déclaré. Certes, Laurent Pietraszewski n’est pas le premier à voir son passé soudainement questionné et exhumé. On se souvient par exemple de la nomination de Gaspard Gantzer en avril 2014 en tant que conseiller communication de François Hollande alors président de la République. Méconnu jusque-là du public, il va vite faire le buzz, un petit malin ayant récupéré sur le profil Facebook (non sécurisé) du jeune homme, des photos où il semble apprécier des cigarettes coniques qui ont parfois la vertu de faire rigoler. La presse en fera ses choux gras.

La différence est qu’à part une grosse poilade éphémère sur l’insouciance de Gaspard Gantzer dans la gestion de sa propre image (tandis qu’il devait veiller sur celle du Président), il n’y eut pas de suite, ni de tabassage digital en vue de déstabiliser et de juger coupable sans jamais attendre des éléments de clarification. Le cas de Laurent Pietraszewski augure malheureusement de pratiques délétères qui ont tendance à se développer fortement en matière de réputation. Pour les communicants ayant à veiller sur l’image d’une personnalité (ou en train de le devenir), il va falloir impérativement intégrer le réflexe préliminaire d’inventorier immédiatement et systématiquement le passé de cette dernière, avec une attention particulière sur l’empreinte numérique (Twitter en premier lieu). Tout potentiel grain de sable non anticipé ou non traité constituera une arme réputationnelle pour celles et ceux qui ont intérêt à nuire.

Sources

– (1) – Antoine Terrel – « Selon René Dosière, la déclaration d’intérêts de Laurent Pietraszewski « n’est pas claire à 100% » » – Europe1.fr – 18 décembre 2019