[Campus TF1 Communication Responsable] : Les entreprises et les marques à la recherche du consommateur citoyen

Il est présent sur toutes les lèvres. Il est même devenu l’obsession des communicants et des marketeurs tant ce consommateur qualifié de citoyen n’entend plus se satisfaire des discours de marques enjolivés, ni d’entreprises flirtant avec le « greenwashing ». La bonne conscience ne suffit plus. Les actes et les preuves sont exigés séance tenante par ces consommateurs plus informés, plus critiques et plus engagés. Le 4 juin dernier, le Campus TF1 Communication Responsable a convié des experts pour dresser le portrait-robot de ce consommateur pas comme les autres au cœur des préoccupations du moment d’un monde en pleine mutation. Temps forts.

Le temps des vœux pieux et du vernis vert est-il révolu pour les entreprises ? Président de la fondation Positive Planet, Jacques Attali n’en a aucun doute. Si les questions sociétales et environnementales ont longtemps été décorrélées du business des entreprises ou juste brandies en vitrine pour s’assurer une image positive, celles-ci se sont dorénavant invitées aux agendas des comités de direction et aux stratégies de communication. Plus question de faire l’impasse ou de jeter un voile pudique sur des sujets aussi cruciaux que l’écoconception des produits, l’empreinte écologique, les conditions de travail des collaborateurs et mille autres choses encore. Qu’on l’appelle RSE, développement durable, « Purpose », raison d’être, etc, l’entreprise, ses produits et ses services sont attendus de pied ferme par une frange influente de consommateurs avertis et exigeants.

« Positive attitude » et Larry Fink

L’expression qu’avait lancée il y a quelques années déjà un ancien premier ministre français, s’impose désormais comme une condition sine qua non pour les entreprises. En d’autres termes, elles doivent apporter leur écot positif à la transition environnementale et sociétale et non plus s’en tenir à des positions plus frileuses qui consistent à pondérer ou limiter les impacts négatifs de leurs activités. Fondatrice et présidente d’Utopies, cabinet de conseil RSE, Elisabeth Laville insiste fortement sur ce changement de paradigme obligatoire pour les entreprises. A ses yeux, de nombreux signes irréversibles y concourent.

Il y a d’abord la fameuse lettre de Larry Fink qui a tant fait couler d’encre en janvier 2019. PDG de Black Rock, plus grosse société d’investissement financier sur la planète, il a exhorté pour la seconde fois les entreprises à exercer et élargir leurs responsabilités environnementales et sociétales (1) : « La société, usée par les grands changements qui ont lieu au sein de l’économie et par l’incapacité des gouvernements à fournir des solutions pérennes, s’attend de plus en plus à ce que les entreprises, publiques comme privées, s’attaquent aux problèmes sociaux et économiques les plus urgents (…) Alimentée en partie par les réseaux sociaux, la pression du public sur les entreprises s’accroît et se propage dorénavant plus vite (…) Les entreprises qui accomplissent leur raison d’être et leurs responsabilités envers leurs parties prenantes en récoltent les fruits à long terme; celles qui les ignorent trébuchent et échouent. Cette dynamique devient de plus en plus évidente à mesure que les exigences du public pour les entreprises s’accroissent ».

Changement de paradigme en cours

Au-delà de l’avis toujours très écouté de Larry Fink par la communauté financière et entrepreneuriale, c’est tout l’écosystème des entreprises qui s’est mis en branle. Les Nations Unies ont par exemple établi 17 objectifs prioritaires à atteindre d’ici 2030 en matière de développement durable. Autre indice tangible : l’influence grandissante de B Corporation en termes de référent absolu. Cette communauté fondée en 2006 aux Etats-Unis, réunit dans le monde les entreprises qui souhaitent affirmer leur mission sociétale au cœur de leur raison d’être et qui souhaitent progresser et démontrer leur impact positif en étant évaluées sur leur performance globale tous les 3 ans. Les entreprises labellisées à date sont de toutes tailles et tous secteurs. En France, un groupe comme Danone s’est engagé dans la démarche depuis plusieurs années.

Dans la même optique, la loi PACTE a été adoptée en avril dernier. Même si les sénateurs ont tenté d’en expurger quelques exigences sans succès, le texte relatif à la RSE des entreprises intègre au final la notion de « raison d’être » de l’entreprise ainsi que la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux. Elisabeth Laville y voit là une notable évolution. Dans les années 80/90, les entreprises se contentaient de faire de la philanthropie avant de progressivement se pencher sur la réduction des risques dans le cadre des premiers programmes RSE. Aujourd’hui, le champ ne se restreint plus au seul périmètre de l’entreprise mais aussi des effets collatéraux qu’elle peut engendrer en bien ou en mal.

« More Good »

Une évolution nette et radicale mais qui implique une contrepartie incontournable. Il ne s’agit plus de faire des mesurettes « vertes » ou des effets d’annonce pour être perçu comme responsable en tant qu’entreprise. La société entend disposer de plus de transparence et de concrétude sur ce qu’accomplissent vraiment (ou pas) les entreprises. « Le niveau s’élève » constate Florence Laville, « On est en train de passer de la gamme verte parmi d’autres gammes à une refonte globale de l’offre sur des critères durables et responsables ». Autrement dit, il n’est plus question de laisser des pans entiers de l’entreprise hors du spectre RSE.

Diverses études soulignent d’ailleurs que cette transition est fortement attendue par le corps sociétal. 83% de la génération Y souhaitent que les entreprises soient citoyennes, 82% qu’elles présentent un impact positif, 79% qu’elles parlent de leurs réalisations. Cet engagement n’est donc plus une option mais une obligation. Avec une bonne nouvelle à la clé pour les entreprises : l’intention d’achat d’un produit est 2,4 fois supérieure si ce dernier est perçu comme positif. Directrice Strategic Insights pour Kantar Media, Gaelle Le Floch abonde dans le même sens. Les citoyens sont prêts à payer plus si la qualité globale est garantie et que les marques sont militantes. 86% émettent en tout cas le souhait dans cette direction mais 48% jugent dans le même temps que marques et entreprises ne sont pas responsables comme elles devraient l’être.

Le virage se négocie

Selon l’experte, si le virage n’est pas amorcé par les marques, le risque est grand de se voir dépasser, voire reléguer par d’autres marques qui savent incarner et prouver leurs engagements comme Sanex, Cristaline, Malongo ou encore Fleury Michon. Directeur Stratégie & Innovation de Fleury Michon, David Garbous le constate concrètement au sein de son propre portefeuille de jambons. 50% de celui est composé de jambons Bleu-Blanc-Cœur, bio et Label Rouge. Ces derniers enregistrent une progression de 10% de leurs ventes. A contrario, le reste de la gamme qui est classique recule de 2%. Pour lui, le gain économique est étroitement lié aux efforts entrepris par Fleury Michon. A la différence près qu’une transition ne peut pas se mener au pas de charge. « Cela représente des investissements industriels colossaux », note-t-il, « La remise à plat de nos filières et l’élaboration de cahiers des charges plus stricts requièrent du temps. Ce qui n’est effectivement pas toujours compatible avec l’impatience avérée des consommateurs sur les questions de durabilité. Néanmoins, je pense que nous pouvons y parvenir si nous construisons ensemble, en passant progressivement d’un modèle à l’autre et en communiquant les uns avec les autres ».

Une marque est d’ailleurs revenue à intervalles régulières durant les présentations et les tables rondes : C’est qui le Patron. Lancée en 2017 par deux entrepreneurs atypiques, la marque s’est précisément fondée sur les attentes d’engagement que les consommateurs citoyens appellent de leurs vœux. Elle s’est donc dotée d’un postulat militant intangible : garantir au producteur un prix d’achat fixe et indépendant des cours et/ou des rapports de force économiques d’avec les gros industriels. Plus encore que la composition du produit, c’est l’engagement sociétal que véhicule ce dernier qui constitue le marqueur communicant. La combinaison est gagnante puisqu’aujourd’hui encore C’est qui le Patron est une des rares marques laitières qui continue à progresser sur un segment où la consommation quotidienne s’érode.

Même si le consommateur citoyen est loin d’être monolithique en termes d’âge, de revenus et de catégorie sociale comme les interventions suivantes l’ont montré, les marques et les entreprises doivent impérativement intégrer cette dimension responsable dans leur communication. Faute de quoi, le décrochage interviendra quelle que soit l’aura originelle de la marque. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer le mouvement opéré par la légendaire Coca-Cola qui ne cesse de multiplier les lancements de boissons nettement plus « healthy » que le soda contenant l’équivalent de 5 sucres qui a pourtant assuré son succès au cours des dernières décennies. Mais attention pour autant, à ne pas répéter les embardées dans le fossé du « greenwashing » qui reste encore bien tentant aux yeux d’aucuns. Les consommateurs ne s’y tromperont pas.

Sources

– (1) – « Raison d’être et bénéfices » – Texte de la lettre sur la gouvernance d’entreprise de Larry Fink aux PDG

Pour en savoir plus

– Pour voir ou revoir toutes les interventions de la session du 4 juin du Campus TF1, cliquer ici
– Pour avoir un autre regard sur la conférence, lisez le très bon billet d’Hervé Kabla



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